Ce roman qui n'a pas gagné le prix Goncourt hier, figurait cependant parmi les quatre finalistes. Un livre dense, écrit dans un style clair, poétique et réaliste à la fois.
Une longue plainte, une lamentation lumineuse sur l'état de déreliction de l'Algérie après l'Indépendance, sur la rancoeur d'un peuple exploité, rançonné, annihilé de temps immémorial et pas seulement à cause de la colonisation. Une absurdité un demi-siècle plus tard ...
Kamel Daoud manie la langue avec subtilité et respect. Comme une arme, mais à double tranchant. Il nous livre un hommage inattendu à l'un ce des livres qui, du temps de ma génération, était absolument indispensable d'avoir lu : L'Etranger d'Albert Camus. Sans en jamais prononcer le nom, Haroun évoque l'auteur nobélisé sous le terme de « héros ».
Voici les principaux personnages : Haroun le narrateur, qui prétend être le frère de l'Arabe tué en 1942 par Meursault sur une plage ébouie du soleil de quatorze heures, attablé dans un des derniers bars d'Oran où soit servi du vin rouge, son interlocuteur muet car « Un homme qui boit rêve toujours d'un homme qui écoute », dans le fond du café, un autre client, sourd et muet est au fond de la salle.
Haroun parle de Moussa, ce frère dont personne n'a jamais ni prononcé le prénom ni retrouvé le corps et de leur mère, omniprésente, abusive, inconsolée mais qui s'est construit une identité autour du jeune homme assassiné sans motif par un Français. Et puis il y aura enfin Joseph, un autre protagoniste, involontaire, un autre cadavre furtivement enterré au pied d'un citronnier …
Jour après jour, Haroun parle de celui dont la mort a confisqué sa vie, de sa frustration, de la lumière et de la noirceur, de la tristesse de "vivre dans un pays où le marbre des sépultures est volé chaque nuit, où tout est devenu sale, où l'on repeint sans cesse des immeubles sales insalubres" …
L'universitaire l'écoute pour trouver matière à son livre/miroir sur l'Etranger … Dédoublement … Demeure la grande interrogation : qu'est-ce qu'être Arabe ? La notion n'existe que pour les Roumis, les étrangers. « A Alger, dans le quartier, (dans le monde du narrateur), on est musulman, on a un prénom, un visage, des habitudes. Point. » L'histoire hélas se répète. C'est sa parole, à prendre ou à laisser. Deux inconnus avec deux histoires sur une plage sans fin.
A lire dans un souffle, pour la belle écriture et pour mieux comprendre un monde encore si éloigné que seule notre langue partagée par les élites unit au-delà de la mer …
Meursault, contre-enquête, roman par Kamel Daoud, aux éditions Actes Sud, 153 p., 19€.