Vocation à

En son temps, une petite phrase crachouillée par l’homme lige le plus vassal du président adulé des juges d’instruction avait fait son effet. L’ancien ministre, alors que cinq mille Tunisiens étaient arrivés en quelques jours sur l'île italienne de Lampedusa et que certains d'entre eux disaient vouloir rejoindre la France, avait chuchoté devant un micro qu’« un étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays ». (Le Point.fr - 15/02/2011). Il faut accorder au boutefeu enflammé de la sarkosie la paternité d’un usage désormais immodéré d’une formule très en vue chez les politiques. Le  même, dans un autre contexte, rappelait, que « l'UMP a vocation à être le rassemblement de la droite et du centre ». (AFP, 4 juin 2013).

La formule plaît. Indéniablement, elle a ses adeptes qui lui reconnaissent la capacité de dire un désir sans se dévoiler. Elle permet d’affirmer un jugement, une évaluation qu’aucun élément ne permet de contester. Dire qu’un étranger à vocation à être reconduit hors des frontières, c’est lui attribuer un avenir. Celui d’être expulsé. Pour les politiques, la langue ça sert à ça. Dire ce qu’on ne peut pas dire ouvertement, sous peine de se voir reprocher de l’avoir dit. L’euphémisation est le truc le plus adapté à la langue de bois. Les vocation à… se multiplient. Pour éviter de prendre des risques, il suffit de laisser entendre que l’objet de la prise de position se caractérise par une démarche unique. C’est la vocation à… Sous entendu, c’est moi qui le dit mais comme je ne peux pas le dire en toutes lettres alors je dis que c’est la seule solution pour l’autre.

Ça marche. Preuve par l’exemple. Manuel Valls, à l’occasion d’un point avec la presse lors d’un déplacement à La Haye, a montré la force de cette tournure à illustrer le recours à une formulation alléchante. Selon le Premier ministre, François Hollande a « vocation naturelle à être candidat en 2017 ». (Reuters le 31/10/2014). Pour attester que ses propos sont empreints d’une sincérité désintéressée, il s’est, sobrement, contenté d’ajouter que sa « loyauté à son égard ne peut pas une seconde être mise en cause », et que « pas un seul responsable socialiste avec la tête sur les épaules ne pourrait dire autre chose ». Combien de citoyens ont pleine vocation à ne pas retenir un seul petit sourire en coin ? Plus tard, le Premier ministre s’est confié à la presse pour mentionner qu’on ne parle pas « de ça entre nous mais tout doit être fait pour qu'il soit en situation de se représenter ». C’est bien connu, pour préparer son avenir et ne pas contrarier son projet vocationnel, il vaut mieux que ce soit les autres qui prennent une veste. Quand Manuel Valls sent que la formule est bonne, il ne lâche pas. Il recommence. Chez Molière, c’est le comique de répétition. Dans un entretien accordé au quotidien néerlandais NRC Handelsblad avant sa visite aux Pays-Bas, Manuel Valls avait préalablement rôdé la formule. En réponse aux déclarations de Michel Rocard, qui a déconseillé à François Hollande de se représenter, il avait noté que « Michel Rocard donne souvent de bons conseils mais là ce n'est pas le cas. François Hollande a une vocation naturelle à être à nouveau candidat. C'est ma tâche de l'aider à réussir afin que la France en 2017 soit dans un meilleur état qu'en 2012 ».

Les ambitions se préparent avec des vocations ajustées. A l’UDI, l’espoir est de faire rêver ses troupes avec des succès annoncés. C’est pour cela que «L'UDI a vocation à présenter des listes aux régionales». (04/07/2014). D’ailleurs, ce parti qui se voit jouer dans la cour des grands, a rappelé que « Le centre a vocation à porter ses couleurs à la présidentielle ». (20 octobre). De nombreuses aspirations devraient être prochainement contrariées. Les politiques ont vocation à l’humilité. Autre équilibriste, François Bayrou pense que « Le centre n'a pas vocation à être une roue de secours ni une force d'appoint, ni à être accessoire ». (RTL 04/05/2014).

Tous ne peuvent pas être cités. Ce serait lassant. Notons qu’à gauche, les responsables n’ont pas vocation à s’offusquer de la vocation des autres. Pour Pascal Cherki, « Le Front de gauche a vocation à entrer au gouvernement ». (Le Figaro). De son côté, Emmanuel Maurel, leader de la gauche au sein du PS estime que « L’Europe a vocation à rester un grand continent industriel ! » (18 mai 2014).

Après les débordements, en marge de rassemblements qui ont suivi la mort de Rémi Fraisse,  Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur a répété que les « casseurs ont vocation à être rattrapés par la justice ». (Assemblée nationale, le 29 octobre 2014).

Les politiques parlent en meute. Ce que dit l’un, l’autre le veut. C’est en parlant tous pareils, qu’ils sont devenus identiques. Jadis, ils avaient vocation à savoir se distinguer les uns des autres. Désormais, ils concourent au jeu du pareil au même. Le mot Vocation, vient du latin vocatio. Il désigne à l’origine l’appel de Dieu à une personne ou un peuple. Dans un usage courant et moderne, il suggère une idée d’unicité et de quelque chose de définitif. Le terme recèle plusieurs usages en agronomie. Des terrains sont dits à vocation agricole. On parlera alors de « la vocation culturale des sols dans le cadre des régions agricoles ». Une circulaire du ministère de l’agriculture « précise qu'il devra être tenu « le plus grand compte de la vocation agricole des régions naturelles ». (1er février 1947). Dans le langage administratif, des terrains sont dits « à vocation » de tel usage, lorsqu'en changer l'utilisation exige une autorisation ou une loi. Les politiques ignorent-ils les usages et l’historique de ce terme ? A vouloir creuser leur sillon dans la trace du champ d'à côté, nombre d’entre eux tiennent des propos terre-à-terre.