Des milliards d’euros de recettes fiscales évaporées grâce à des accords fiscaux secrets. Plus de 300 multinationales concernées, parmi lesquelles des stars de l’économie comme Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea, Deutsche Bank…Dans une enquête réalisée en partenariat avec le consortium de journalisme d’investigation américain ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists) et quarante médias étrangers (The Guardian au Royaume-Uni, le Süddeutsche Zeitung en Allemagne, la télévision publique canadienne Canadian Broadcasting Corporation, l’Asahi Shimbun au Japon, etc.), Le Monde révèle les dessous du système fiscal luxembourgeois.
- Pourquoi s'intéresser au Luxembourg ?
De son côté, la Commission européenne enquête, depuis juin, sur les pratiques d’un pays qui a bâti un régime fiscal sur mesure pour ces grands groupes, dérogatoire du droit commun. Elle estime que les avantages accordés à certaines entreprises sont potentiellement assimilables à des aides d’Etat illégales. Un bras de fer juridique s’est engagé avec le Luxembourg.
Le prochain sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, prévu à Brisbane, en Australie, les 15 et 16 novembre, doit adopter un plan de lutte contre l’optimisation fiscale agressive des multinationales.
- Que révèlent ces accords fiscaux ?
Ces documents montrent comment les géants du Net, des télécoms, de la finance ou de la grande consommation s’appuient sur le Luxembourg et ses règles fiscales souples, mais aussi sur les failles de la réglementation internationale, pour y transférer des profits afin qu’ils n’y soient pas taxés, ou très faiblement.
Ces groupes réalisent des milliards d’euros d’économie chaque année grâce à la création d’une holding ou d’une filiale au Luxembourg avec très peu d’activités et de salariés. Ils lèsent donc les Etats où ces profits sont effectivement réalisés.
Ces accords fiscaux recouvrent des opérations d’ampleurs et de natures très différentes. Ces dernières vont du déplacement d’un siège social au Luxembourg à la création d’entités ad hoc destinées à porter des actifs ou à réaliser des acquisitions. Toujours stratégiques, ces opérations visent un but unique : acquitter l’impôt le plus faible possible, sinon obtenir une exonération totale.
- Quelles sont les entreprises les plus agressives fiscalement ?
Ils mettent au jour des montages complexes d’évasion fiscale dans lesquels le Luxembourg n’est qu’un maillon de chaîne, aux côtés de centres financiers offshore plus exotiques. Ils montrent aussi que l’optimisation fiscale qualifiée d’agressive par les experts de l’OCDE est un « sport » auquel semblent s’adonner la plupart des grandes entreprises.
Allemands, néerlandais, suédois, belges, de grands groupes européens sont pris dans les mailles du filet de ces révélations… Le cas d’Ikea est emblématique. Dans les données émanant de PwC, des groupes français apparaissent, tels Axa et le Crédit agricole, mais à un moindre niveau. Ils profitent d’un environnement favorable à la gestion de fonds d’investissement.
- Le Luxembourg est-il prêt à faire évoluer ses pratiques ?
Dans un entretien accordé au Monde, le ministre des finances luxembourgeois, Pierre Gramegna, défend le système. Il explique ainsi que « la pratique des tax rulings fait partie [du] patrimoine [du Grand-Duché] » et qu’il entend la « perpétuer dans le respect des règles. » « Le maintien d’une certaine compétitivité, loyale, entre les Etats dans le domaine fiscal est indispensable », dit-il.
Par Anne Michel LE MONDE | 05.11.2014