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Excellente nouvelle que ce Goncourt, attribué au cinquième tour à Lydie Salvayre pour Pas pleurer, avec six voix contre quatre à Kamel Daoud pour Meursault, contre-enquête.
Lydie Salvayre nous fait rire et pleurer (parfois de rire) depuis La déclaration, son premier roman paru
en 1990. Cette fois, elle annonce en titre : Pas pleurer. Et le premier paragraphe provoque une grimace
ambiguë : « Au nom du Père du
Fils et du Saint-Esprit, monseigneur l’évêque-archevêque de Palma désigne aux justiciers,
d’une main vénérable où luit l’anneau pastoral, la poitrine des mauvais
pauvres. C’est Georges Bernanos qui le dit. C’est un catholique fervent qui le
dit. »
En 1936, Bernanos vit en Espagne depuis deux ans. Il est,
pour le dire vite, un catholique de droite et se range, au début de la guerre, dans
son camp naturel. Avant de constater l’insupportable et d’écrire Les grands cimetières sous la lune.
L’écrivain français est une des deux voix principales.
L’autre est tenue par une de ces « mauvaises pauvres », la mère de
l’écrivaine qui, à quinze ans, dans le village de haute Catalogne où elle vit, « le 18 juillet 1936, ouvre sa gueule
pour la première fois de sa vie. »
Ce jour-là, Montse se révolte. Ce jour-là aussi, la guerre
éclate. Montse ne fera pas la bonniche chez les Burgos. Tant mieux,
probablement, pour eux qui auraient eu à demeure une graine de révolutionnaire
peu encline à se soumettre au pouvoir de la richesse.
Tout est posé dès le début : « Dans le récit que j’entreprends, je ne veux introduire, pour
l’instant, aucun personnage inventé. Ma mère est ma mère, Bernanos l’écrivain
admiré des Grands Cimetières sous la lune et l’Eglise catholique l’infâme institution qu’elle fut en 36. »
S’il ne faut pas pleurer, c’est en raison de la colère qui anime le roman de
Lydie Salvayre. Une colère armée d’un sourire.
L’hommage fait à Montse à travers le récit qu’elle fait
d’une période agitée est une tranche d’Histoire vécue de l’intérieur. Une jeune
fille audacieuse lui donne chair, à plusieurs titres, car ses élans
d’enthousiasme sont aussi amoureux et la voilà embarazada du Français dont elle s’est entichée. Qui pourrait être,
qui est d’ailleurs devenu dans la légende familiale, André Malraux…
Pas
pleurer est
un roman qui vibre dans toutes ses scènes, dans toutes ses phrases. On y entre
avec le sentiment d’une effraction, comme on arrive dans une maison inconnue
sans savoir si on y sera le bienvenu. Et on y est tout de suite comme chez soi.