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un normand entêté

Publié le 05 novembre 2014 par Dubruel

d'après LE PÈRE AMABLE de Maupassant

Cinq femmes, croupes en l’air,

Piquaient du colza dans un pré

Fraîchement labouré.

Assis sur le talus, un tout jeune enfant

Jouait avec une pomme de terre.

Vint à passer un paysan

Qui s’arrêta,

Prit l’enfant sur ses genoux et l’embrassa.

Une des femmes, Céleste, s’approcha.

Elle était large d’épaules et de flanc,

Grande, aux cheveux jaunes, au teint de sang :

-« Eh ben, Césaire, te v’là.

As-tu causé à ton pé ? »

-« Oui, i’ n’ veut pas. »

-« Pourquoi qu’i n’ veut pas, ton pé ? »

Césaire montra du doigt successivement

L’enfant et un jeune paysan

Qui poussait sa charrue, là-bas,

Et s’exclama :

-« Parce que, ton éfant, c’est à li. »

La fille haussa les épaules : -« Pardi,

Tout l’ monde sait ben qu’il est à André

Oui, j’ai fauté. Et après ?

Ma mé aussi avait fauté avant mé.

La tienne, itou, avant d’épouser ton pé !

L’André, j’ l’aurai ben épousé

S’il avait pas été volailler. »

-« Mé, j’ te veux ben telle que t’es

Même avec ton éfant. N’y a qu’ mon pé

Qui s’oppose. Mais ça, j’ vas l’ régler. »

-« Tu d’vrais vé l’ curé. P’t’être qu’il t’aiderait. »

-« Bon, j’y vas. »

Céleste retourna piquer le colza.

L’homme, Césaire Houlbrèque,

Le fils d’un vieux sourd, Amable Houlbrèque,

Voulait épouser Céleste Laberre

Malgré l’avis de son père.

Celui-ci reprochait

À cette fille d’avoir eu un enfant

Avec André Ducamp,

Le pauvre volailler

De la ferme Laberre.

Césaire avait beau seriner à son père :

-« C’est une bonne fille, Céleste, j’vous dis qu’ça

Et pi vaillante et pi d’épargne. »

Le vieux répétait avec toute sa hargne :

-« Tant que j’ vivrai, j’ verrai point ça. »

Césaire ruminait ses idées :

‘’Céleste est la femme qu’i’ m’ faudrait

Mais le pé cessera pas d’ s’y opposer.’’

L’abbé Raffin dinait

Quand Césaire

Entra dans le presbytère :

-« Eh bien, qu’est-ce que vous voulez ? »

-« J’ voudras vous causer, m’sieur l’ curé. »

-« Causez, je vous écoute en mangeant. »

-« C’est une confession, quasiment. »

-« Allons, défilez-moi votre rosaire. »

-« V’là, j’ voudrais épouser Céleste Laberre. »

-« Qu’est-ce qui vous en empêche, mon gars ? »

-« C’est l’ pé qui n’ veut pas. »

-« Qu’est-ce qu’il dit votre père ? »

-« Qu’elle a eu un éfant. »

-« Elle n’est pas la première.

Quels ont été vos arguments ? »

-« J’ li dis qu’ c’est une bonne fille, mais

Ça l’ décide pas. »

-« Alors, vous voulez

Que je lui parle, c’est ça ?

Bon, j’irai le voir mais vous, mon garçon,

En échange, vous viendrez à mes sermons. »

-« Si vous faites ça pour mé, j’ vous l’ promets. »

-« Quand voulez-vous que j’aille le trouver ? »

-« Au plus tôt, anuit, si vous pouvez. »

-« Bon. J’irai après mon souper.»

-« Merci ben, m’sieur l’ curé. »

Et Césaire quitta l’abbé, le cœur léger.

Mais l’inquiétude continuait de le torturer.

Il redoutait un nouveau refus de son père,

Alors, Césaire attendit le retour du curé

À la grille du presbytère.

Satisfait de sa mission, l’ecclésiastique rentrait

Et rassurait Césaire :

-« Mon garçon, elle est réglée, votre affaire.

Venez me trouver demain, pour fixer

La date de la publication des bans. »

Césaire saisit la main du curé.

Il la secouait, la serrait,

La broyait en bégayant :

-« Dimanche…à la messe, vous m’ verrez. »

La noce eut lieu le 10 mai,

Mais dès lors, Amable ne s’intéressa plus

Ni à son fils ni à sa bru.

Césaire travailla dur pour économiser

Le salaire et les charges d’un valet.

Mais quand arrivèrent

Les mauvais jours de l’hiver,

Il se mit à haleter et tousser.

Une fièvre ardente le dévorait.

Céleste le soignait

Tandis que le père Amable observait

De loin l’agonie d’André.

Six jours passèrent ;

Un matin, Céleste au chevet de Césaire

Ne l’entendit plus respirer.

L’enterrement eut lieu le lendemain à midi.

Après la cérémonie,

Le père Amable et sa bru sont rentrés

Et la vie continua comme par le passé

Mais bientôt Céleste fut préoccupée :

‘’ Seule, j’arriverai pas à cultiver

Toutes ces terres,

Comme le faisait Césaire.

Un seul gars peut me tirer d’affaire :

André Ducamp, le père de mon enfant.

Lui, il est vaillant

Et entendu aux choses de la terre.’’

Un matin, elle alla le trouver

Et lui expliqua son projet :

-« Alors, c’est dit ? »

-« C’est dit. »

-« Ça va pour dimanche ? »

-« Oui, Céleste, à dimanche ! »

Ce dimanche-là, c’était la fête du village.

Le père Amable s’y rendit

Mais à son retour, il dut contenir sa rage :

Dans sa ferme, il vit

Que deux personnes soupaient.

Le Ducamp, assis à la place de son fils,

Semblait chez lui.

Il câlinait son enfant et l’embrassait.

-« V’nez, mon pé. »

Clama Céleste, toute gaie.

Le père Amable les regardait

Sans entendre ce qu’ils disaient.

Quand il eut fini de souper,

(Il n’avait guère mangé

Tant il se sentait le cœur retourné)

Il se leva, ouvrit la porte et sortit.

Comme le vieux tardait à rentrer

Céleste, un peu inquiète, dit :

-« V’là une heure qu’il est sorti. Qué qui fait ?

J’ vas aller voir s’il dort point su’ l’ banc

Qu’est d’vant la porte. »

Elle ne vit personne devant la porte,

Personne sur le banc.

Comme elle allait rentrer,

Elle leva les yeux vers un grand pommier

Et aperçut deux pieds

Qui pendaient.


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