d'après LE PÈRE AMABLE de Maupassant
Cinq femmes, croupes en l’air,
Piquaient du colza dans un pré
Fraîchement labouré.
Assis sur le talus, un tout jeune enfant
Jouait avec une pomme de terre.
Vint à passer un paysan
Qui s’arrêta,
Prit l’enfant sur ses genoux et l’embrassa.
Une des femmes, Céleste, s’approcha.
Elle était large d’épaules et de flanc,
Grande, aux cheveux jaunes, au teint de sang :
-« Eh ben, Césaire, te v’là.
As-tu causé à ton pé ? »
-« Oui, i’ n’ veut pas. »
-« Pourquoi qu’i n’ veut pas, ton pé ? »
Césaire montra du doigt successivement
L’enfant et un jeune paysan
Qui poussait sa charrue, là-bas,
Et s’exclama :
-« Parce que, ton éfant, c’est à li. »
La fille haussa les épaules : -« Pardi,
Tout l’ monde sait ben qu’il est à André
Oui, j’ai fauté. Et après ?
Ma mé aussi avait fauté avant mé.
La tienne, itou, avant d’épouser ton pé !
L’André, j’ l’aurai ben épousé
S’il avait pas été volailler. »
-« Mé, j’ te veux ben telle que t’es
Même avec ton éfant. N’y a qu’ mon pé
Qui s’oppose. Mais ça, j’ vas l’ régler. »
-« Tu d’vrais vé l’ curé. P’t’être qu’il t’aiderait. »
-« Bon, j’y vas. »
Céleste retourna piquer le colza.
L’homme, Césaire Houlbrèque,
Le fils d’un vieux sourd, Amable Houlbrèque,
Voulait épouser Céleste Laberre
Malgré l’avis de son père.
Celui-ci reprochait
À cette fille d’avoir eu un enfant
Avec André Ducamp,
Le pauvre volailler
De la ferme Laberre.
Césaire avait beau seriner à son père :
-« C’est une bonne fille, Céleste, j’vous dis qu’ça
Et pi vaillante et pi d’épargne. »
Le vieux répétait avec toute sa hargne :
-« Tant que j’ vivrai, j’ verrai point ça. »
Césaire ruminait ses idées :
‘’Céleste est la femme qu’i’ m’ faudrait
Mais le pé cessera pas d’ s’y opposer.’’
L’abbé Raffin dinait
Quand Césaire
Entra dans le presbytère :
-« Eh bien, qu’est-ce que vous voulez ? »
-« J’ voudras vous causer, m’sieur l’ curé. »
-« Causez, je vous écoute en mangeant. »
-« C’est une confession, quasiment. »
-« Allons, défilez-moi votre rosaire. »
-« V’là, j’ voudrais épouser Céleste Laberre. »
-« Qu’est-ce qui vous en empêche, mon gars ? »
-« C’est l’ pé qui n’ veut pas. »
-« Qu’est-ce qu’il dit votre père ? »
-« Qu’elle a eu un éfant. »
-« Elle n’est pas la première.
Quels ont été vos arguments ? »
-« J’ li dis qu’ c’est une bonne fille, mais
Ça l’ décide pas. »
-« Alors, vous voulez
Que je lui parle, c’est ça ?
Bon, j’irai le voir mais vous, mon garçon,
En échange, vous viendrez à mes sermons. »
-« Si vous faites ça pour mé, j’ vous l’ promets. »
-« Quand voulez-vous que j’aille le trouver ? »
-« Au plus tôt, anuit, si vous pouvez. »
-« Bon. J’irai après mon souper.»
-« Merci ben, m’sieur l’ curé. »
Et Césaire quitta l’abbé, le cœur léger.
Mais l’inquiétude continuait de le torturer.
Il redoutait un nouveau refus de son père,
Alors, Césaire attendit le retour du curé
À la grille du presbytère.
Satisfait de sa mission, l’ecclésiastique rentrait
Et rassurait Césaire :
-« Mon garçon, elle est réglée, votre affaire.
Venez me trouver demain, pour fixer
La date de la publication des bans. »
Césaire saisit la main du curé.
Il la secouait, la serrait,
La broyait en bégayant :
-« Dimanche…à la messe, vous m’ verrez. »
La noce eut lieu le 10 mai,
Mais dès lors, Amable ne s’intéressa plus
Ni à son fils ni à sa bru.
Césaire travailla dur pour économiser
Le salaire et les charges d’un valet.
Mais quand arrivèrent
Les mauvais jours de l’hiver,
Il se mit à haleter et tousser.
Une fièvre ardente le dévorait.
Céleste le soignait
Tandis que le père Amable observait
De loin l’agonie d’André.
Six jours passèrent ;
Un matin, Céleste au chevet de Césaire
Ne l’entendit plus respirer.
L’enterrement eut lieu le lendemain à midi.
Après la cérémonie,
Le père Amable et sa bru sont rentrés
Et la vie continua comme par le passé
Mais bientôt Céleste fut préoccupée :
‘’ Seule, j’arriverai pas à cultiver
Toutes ces terres,
Comme le faisait Césaire.
Un seul gars peut me tirer d’affaire :
André Ducamp, le père de mon enfant.
Lui, il est vaillant
Et entendu aux choses de la terre.’’
Un matin, elle alla le trouver
Et lui expliqua son projet :
-« Alors, c’est dit ? »
-« C’est dit. »
-« Ça va pour dimanche ? »
-« Oui, Céleste, à dimanche ! »
Ce dimanche-là, c’était la fête du village.
Le père Amable s’y rendit
Mais à son retour, il dut contenir sa rage :
Dans sa ferme, il vit
Que deux personnes soupaient.
Le Ducamp, assis à la place de son fils,
Semblait chez lui.
Il câlinait son enfant et l’embrassait.
-« V’nez, mon pé. »
Clama Céleste, toute gaie.
Le père Amable les regardait
Sans entendre ce qu’ils disaient.
Quand il eut fini de souper,
(Il n’avait guère mangé
Tant il se sentait le cœur retourné)
Il se leva, ouvrit la porte et sortit.
Comme le vieux tardait à rentrer
Céleste, un peu inquiète, dit :
-« V’là une heure qu’il est sorti. Qué qui fait ?
J’ vas aller voir s’il dort point su’ l’ banc
Qu’est d’vant la porte. »
Elle ne vit personne devant la porte,
Personne sur le banc.
Comme elle allait rentrer,
Elle leva les yeux vers un grand pommier
Et aperçut deux pieds
Qui pendaient.