A la question “Quel serait votre plus grand Malheur ?”, Marcel Proust avait répondu : « Etre séparé de maman ». Jeanne Proust est née en 1849 dans une famille juive. Possessive, aimante, omniprésente même après sa mort dans l’œuvre de son fils, elle l’a protégé, éduqué et influencé.
Polyglotte, pianiste, amoureuse des livres, héritière d’une bourgeoisie juive éclairée et épouse d’un fils d’épicier catholique sans fortune, Jeanne demeure, à bien des égards, un mystère ».
Née au milieu du XIXe siècle, immensément riche dès sa naissance, cultivée, Jeanne Proust aurait joui de nos jours d’une vie agréable, épanouissante et insouciante.
Sous la 3e république « la vie sociale de l’épouse est bien souvent le prolongement de la vie professionnelle de son conjoint ». En bonne épouse de médecin hygiéniste, personnage considérable, dont les funérailles, presque nationales, vont couronner une carrière brillante où ne manquent ni la fortune, ni les relations les plus flatteuses, mais « lourd et insignifiant » en privé, elle veillera toute sa vie (elle est morte à 56 ans) à l’homogénéité sociale de son rang, lourde de contraintes mondaines, domestiques et familiales.
Elle remplira tous ces rôles avec brio :
Elle se pâmera d’ennui dans les milieux feutrés de la grande bourgeoisie qu’elle est amenée à fréquenter de par son rang ; proche de Mme Félix Faure, épouse du Président de la République, on lira dans ses Carnets qu’à l’Elysée « dans une atmosphère de parfait ennui, la conversation roule sur la santé des parents, enfants, cousins et cousines des visiteurs ». Qu’à cela ne tienne Jeanne Proust offrira à tous « sa disponibilité et le masque de sa gaité ».
Elle doit régenter les domestiques, nombreux : cuisinières, lingères, servantes, portiers, l’employée qui nettoie les cuivres (uniquement !), les extras venus lors de réceptions, et j’en passe. Un travail à plein temps, incontournable. Elle traînera même ce petit monde en cure où elle descend à l’hôtel mais qui pourrait retrouver du service si elle est amenée à louer une maison !
Jeanne Proust, épouse modèle, fermera les yeux sur l’infidélité de son époux qu’elle chérira, on se demande pourquoi car ils ne partagent AUCUN intérêt commun. Cependant elle ne faiblira pas quand l’affaire Dreyfus, conflit social et politique majeur, surviendra à la fin du XIXe siècle. Elle s’opposera à son mari catholique, en tant que juive et se déclarera une dreyfusarde dès la première heure.
Enfin, Jeanne Proust vouera une passion hors norme à son fils aîné, Marcel, qui a failli mourir à la naissance, asthmatique, d’une sensibilité extrême, handicapé de la vie pratique. Aimante, certes, mais possessive, voire castratrice. En mourant, Jeanne Proust a emporté aussi le petit Marcel, confie-t-il. Après deux ans de descente aux enfers, inconsolable, naîtra l’écrivain que l’on connaît, à 36 ans.
Jeanne Proust s’octroie un seul plaisir quotidien : elle se confie à ses Carnets. « Elle y note ses pensées, laisse affleurer ses souvenirs et charge sa plume de garder vivants ceux qu’elle a aimés».
Un essai biographique (prix Renaudot de l’essai en 2004) qui se lit comme un roman, absolument captivant !
mjo