« Viva »
DEVILLE Patrick
(Seuil)
Viva ! Le Lecteur clame d’emblée son enthousiasme. Ce roman-là, qui inclut un long moment de l’Histoire, l’a passionné de bout en bout. L’Histoire, puisque les deux protagonistes principaux en sont Léon Trotsky et Malcom Lowry, dans le cadre du Mexique de la fin des années trente. Trotsky, exilé et poursuivi jusque dans son refuge par les sbires de Staline. Lowry, admirateur du premier, dont le roman« Au-dessus du volcan » se nourrira du séjour qu’il effectua dans un pays alors plongé dans les utopies révolutionnaires. Les deux hommes ne s’y rencontreront jamais, mais Michel Deville réussit l’exploit de les rapprocher en mettant en scène des personnages majeurs de la vie culturelle d’alors. Frida Kahlo et Diego Rivera entre autres. Tina Modotti, Maïakovski, Siqueiros, Dos Passos (pour ne citer que celles et ceux qui sont familiers au Lecteur). Mais aussi André Breton (un Breton dans un rôle fort peu reluisant) et Antonin Arthaud, tant il est vrai que la Révolution ne devrait, en principe, pas connaître de frontières. Les rêves des unes et des autres s’exaspèrent sur cette terre où l’effervescence intellectuelle ne connaît pas de contraintes. L’alcool et les substances euphorisantes sont leur lot commun. Sauf pour Trotsky qui, via la Quatrième Internationale, œuvre à mettre en forme les perspectives d’une autre Révolution, celle que ne s’approprieraient pas les tenants d’un communisme totalitaire. Patrick Deville n’élude rien. Patrick Deville entremêle les combats, fait revivre les espoirs (que d’autres jugent aujourd’hui insensés) portés par les hommes et les femmes de cette belle génération. Mais aussi les coups bas, les coups tordus, les trahisons, alors que les nazis règnent déjà sur l’Allemagne et que les Républicains espagnols viennent d’être vaincus par les fascistes à Barcelone. Tout un moment de l’Histoire, devenue matière à roman, que l’Ecrivain enchante, dans le maelström de laquelle il immerge le Lecteur ébloui de découvrir ces hommes et ces femmes qui laissèrent tant de traces irradiantes.
« Mais chez Lowry et Trotsky, c’est la question bien plus grande : savoir dans que but vendre son âme au Diable. Pourquoi cette belle et terrible solitude et ce don de soi qui leur font abandonner la vie qu’ils aimeraient mener, les êtres qu’ils aiment, pour aller toujours chercher plus loin l’échec qui viendra couronner leurs efforts.
Ils ont le même goût du bonheur, un bonheur simple et antique, celui de la forêt et de la neige, de la nage dans l’eau froide et de la lecture. Chez ces deux-là, c’est approcher le mystère de la vie des saints, chercher ce qui les pousse vers les éternels combats perdus d’avance, l’absolu de la Révolution ou l’absolu de la Littérature, où jamais ils ne trouveront la paix, l’apaisement du labeur accompli. C’est ce vide qu’on sent et que l’homme, en son insupportable finitude, n’est pas ce qu’il devrait être, l’insatisfaction, le refus de la condition qui nous échoit, l’immense orgueil aussi d’aller voler une étincelle à leur tour, même s’ils savent bien qu’ils finiront scellés à la roche et continueront ainsi à nous montrer, éternellement, qu’ils ont tenté l’impossible et que l’impossible peut être tenté. Ce qu’ils nous crient et que nous feignons souvent de ne pas entendre : c’est qu’à l’impossible chacun de nous est tenu. »
Viva - Patrick Deville