Le cancérologue Dominique Belpomme prédit un «désastre économique et sanitaire» à la Martinique et préconise une réforme profonde des pratiques agricoles car l'île a été polluée par plus de 100 pesticides depuis de nombreuses années.
Les écologistes antillais en sont convaincus : les ravages de l'ouragan Dean dans les bananeraies offrent une occasion historique de faire le ménage et de rompre avec les méthodes qui, depuis des décennies, utilisent à hautes doses des pesticides toxiques pour l'homme.
Dominique Belpomme avait lancé «l'Appel de Paris», le 7 mai 2004, avec d’autres scientifiques internationaux de renom, médecins, représentants des associations de protection de l’environnement et de malades, sur les dangers sanitaires de la pollution chimique. Après ce colloque «Cancer, Environnement et Société», à l'UNESCO, il a pu constater en Martinique que «l'incidence des cancers de la prostate est parmi les plus élevées du monde, après celle des États-Unis». Il souligne une fréquence élevée de cancers du sein, une augmentation du nombre de cas de malformations congénitales et de pertes de fécondité
Deux produits sont particulièrement visés : le chlordécone, un insecticide interdit depuis quinze ans, et le paraquat, un herbicide toujours utilisé. Mais «c'est l'arbre qui cache la forêt, pense le scientifique, car les légumes, le lait de vache, les espèces marines, l’eau douce sont contaminés et les sols rendus infertiles.
Mais pour la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, les propos du professeur Belpomme ont besoin encore «d'être confirmés par des études scientifiques de haute qualité»…
Merci à notre ami Martiniquais, Charlec Charlery, d'apporter les précisions personnelles suivantes :
De tout temps, aux Antilles Françaises, et particulièrement en Martinique où je suis né, voici 69 ans, les plantations de bananes, de cannes à sucre, socle de l’économie de notre région ont été aux mains de riches propriétaires terriens, et également, plus récemment, de fonds spéculatifs… Le travail était dur…
Et pourtant, le bonheur était présent, la mer et ses richesses, le soleil, les fruits juteux, l’eau pure qui descendait en abondance, cascadant le long des pentes des volcans, le rire des enfants qui pêchaient les ouassous, grosses crevettes d’eau douce dans les rivières ou les bassins naturels, l’entretien du jardinet familial, le sourire des voisins, l’entraide faisait couler la vie, calme et douce. Chacun avait sa cabane, ses poules, sa vache à longues cornes, son porc même parfois…
Mais innocents, nous ne savions pas… nous ne savions pas que pour plus de productivité, plus de profits, les bananeraies, les plantations de canne à sucre, les terres fertiles, étaient empoisonnés par l’usage abusif de pesticides, et en particulier du chlordécone…
Ce produit, signalé comme dangereux depuis 1972, n’a été interdit sur le sol de la métropole qu’en 1990, … et en 1993 pour les Antilles. Dans les faits, malgré l’interdiction, des stocks ont été utilisés jusqu’en 2002.
C’est en 1998 que la DIREN a donné l’alerte, ses analyses ayant démontré que les cours d’eau étaient très contaminés. Des études complémentaires furent donc lancées en 2005…
http://www.martinique.ecologie.gouv.fr/download/SEQeau_pesticides_bilan.pdf
http://www.ifremer.fr/envlit/actualite/20070716.htm
Les conclusions sont formelles : Les légumes racines communément consommées par les possesseurs de jardins (dachine, ignane, carotte, patate douces, gingembre…) tous ceux qui touchent le sol (concombre, melon, potiron, certaines variétés basses de bananes, ananas…) contiennent d’importantes quantité de pesticide. On en trouve également dans les poissons d’eau douce, les écrevisses, le lait, les œufs, la viande de poulet et même dans les poissons de mer, les langoustes…
Cette substance potentiellement toxique est susceptible de causer des effets neurologiques, hépatotoxiques chez l’homme, et a été classée comme potentiellement cancérigène. Des effets de perturbation endocrine se traduisant par des troubles de la spermatogenèse ont aussi été rapportés.
Le chlordécone présente toutes les caractéristiques d’un polluant organique persistant : il est bioaccumulable (il a été identifiée dans les denrées végétales et animales) et rémanente (il subsiste encore dans les sols plus de quinze ans après son utilisation), constate le rapport de 2005.
Or, ces atteintes semblent confirmées par les résultats des récents travaux du professeur Dominique Belpomme qui nous parle du taux de cancer de la prostate « en augmentation foudroyante» aux Antilles »...
Des études complémentaires sont actuellement en cours (suivi de 1200 femmes enceintes et de 200 bébés jusqu’à 18 mois ; facteurs du risque du cancer de la prostate)…
Fin 2005, les autorités ont décidé :
- d’interdire l’exploitation des jardins dans les zones les plus contaminées et de sanctionner par de lourdes amendes les contrevenants.
- de traiter, à la source les eaux de consommation (filtre à charbon actif…) ce qui a fait considérablement augmenter son prix pour le consommateur.
- de recourir pour certains produits à l’importation. Le corollaire de cette mesure étant là aussi une augmentation des prix.
Quand on connaît le taux de chômage qui sévit aux Antilles, quand on sait qu’en Martinique, si les 48 627 foyers fiscaux qui payent des impôts sur le revenu, ont un revenu annuel moyen net imposable de 25 581 euros, les 151 036 qui n’en payent pas, ont un revenu annuel moyen net imposable de 4 476 euros, soit 373 euros par mois, on a vite compris que ces coûts supplémentaires sont insupportables pour les trois quarts de la population et en particulier pour ceux qui ne peuvent plus consommer leur production personnelle.
http://www.insee.fr/fr/insee_regions/martinique/rfc/chifcle_fiche.asp?ref_id=REVTC002&tab_id=1724
Et qui dira nos peurs, nos combats… Et qui parlera de cette angoisse qui nous saisit quand nous regardons nos enfants, nos petits-enfants…
De quoi sera fait demain ? « La pollution est multiple, diffuse, énorme » dit le professeur Belpomme et nul ne sait quand ces pesticides présents dans nos terres, nos eaux seront dégradés…
Nous ne voulons pas que pour fuir cette terre empoisonnée, pour simplement pouvoir vivre, nos enfants ne nous quittent, partent en France ou s’expatrient…
Pour eux, nous exigeons l’information, la vérité, la réparation, la justice.
Et surtout, nous n’accepterons plus de lire dans les rapports officiels :"La situation présente est donc particulièrement délicate à gérer et nécessite un accompagnement soigneux en terme d’information et de communication".
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