La conférence intergouvernementale (CIG) a abouti le 19 octobre 2007, à Lisbonne, à la rédaction définitive d’un nouveau traité, destiné à remplacer l’ancien traité constitutionnel européen (TCE)
Elaboré dans le dos des parlementaires européens, depuis juillet dernier, par des représentants de chefs d’Etat, ce texte sera sans doute soumis à ratification avant les élections municipales de mars 2008.
Mais, instruit par les déboires d’un certain Jacques Chirac, lors du référendum du 29 mai 2005, Nicolas Sarkozy n’envisage pas de s’adresser à nouveau au peuple français. Comme l’a annoncé la presse, c’est le congrès, assemblée nationale et sénat réunis en séance, qui sera convoqué pour voter ce texte par au moins 3/5 des voix.
En agissant ainsi, le président de la république tente en fait un véritable coup de force contre les votes populaires exprimés en France, mais aussi en Hollande en 2005…
Le défunt TCE compilait tous les textes et commentaires d’une seule traite. En revanche, le mandat donné aux négociateurs du nouveau traité consistait à faire une suite d’amendements aux textes existants, antérieurement à 2005.
Ces textes sont le Traité sur l'Union européenne (TUE qui était la base de la partie 1 du TCE), la Charte des droits fondamentaux (qui était la base de la partie 2 ) et le Traité sur les Communautés européennes (qui était la base de la partie 3 et qui est maintenant rebaptisé TFUE).
Une préparation opaque qui a conduit à un texte illisible
La nouvelle version du projet de traité a été préparée dans des conditions d’opacité plus grande que celle issue de la Convention qui avait rédigé, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le projet de Traité Constitutionnel.
Après l’expérience avortée de la Convention de 2005, plutôt que de confier le travail à l’assemblée des parlementaires européens, on est revenu à la pure et bonne vieille méthode intergouvernementale consistant à faire travailler des représentants des Etats dans l’ombre de la CIG.
Le résultat de ces marchandages est à nouveau un texte interminable et illisible : 255 pages au total en comptant le traité lui-même et son préambule (154 pages), les 12 protocoles additionnels (76 pages) et les 53 déclarations annexes (25 pages). Un nouveau texte certes mais tout sauf un mini traité, tout sauf un traité simplifié…
Sans parler d’une rédaction totalement opaque qui multiplie les renvois aux traités existants au point qu’un chef d’Etat européen a qualifié ce texte de «traité des notes de bas de pages» !
Le père de la Constitution européenne, Valéry Giscard d’Estaing, a d’ailleurs parfaitement résumé dans le Monde du 14 juin 2007 la méthode du nouveau traité : «Une dernière trouvaille consiste à vouloir conserver une partie des innovations du Traité constitutionnel, et à les camoufler en les faisant éclater en plusieurs textes. Les dispositions les plus innovantes feraient l'objet de simples amendements aux traités de Maastricht et de Nice. Les améliorations techniques seraient regroupées dans un Traité devenu incolore et indolore. L'ensemble de ces textes serait adressé aux Parlements, qui se prononceraient par des votes séparés. Ainsi l'opinion publique serait-elle conduite à adopter, sans le savoir, les dispositions que l'on n'ose pas lui présenter "en direct !"»
VGE a même osé déclarer devant la commission des affaires constitutionnelles du parlement européen le 17 juillet dernier : «Les gouvernements européens se sont ainsi mis d’accord sur des changements cosmétiques à la constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler.»
Que dire après un tel avis d’expert si ce n’est que nous assistons à un véritable déni de démocratie, comme rarement dans l’histoire contemporaine.
Le déficit démocratique des institutions européennes reste entier
Le Parlement européen continue d’être une institution subordonnée et cantonnée dans un léger rôle d’obstruction, en particulier pour le vote du budget.
Il n’est pas souverain comme n’importe quel Parlement en démocratie et n’a toujours pas de pouvoir de décision dans des domaines aussi stratégiques que le fonctionnement du marché intérieur (le III-130 de la Constitution se retrouve en 22 bis TFUE) et l’application des règles de concurrence (le III-163 de la Constitution se retrouve en 83 TFUE)
La Commission conserve au contraire son monopole d’initiative (le I-26 de la Constitution se retrouve dans le 9 D du TUE) et verrait même les pouvoirs de son président renforcés.
La concurrence libre et non faussée est toujours là
L’obligation de la concurrence libre et non faussée demeure. Le nouveau traité ne propose aucun changement aux nombreuses références à la concurrence libre et non faussée qui existent dans les traités actuels dans tous les domaines de la politique économique européenne : monétaire, budgétaire, commerciale …
En matière de services publics, un protocole de pure forme se contente de souligner « l’importance des services d’intérêt général». Une bonne intention mais rien ne permet de contrarier l’application de la libre concurrence aux services publics imposée par les traités actuels.
L’obligation d’abroger toute règle nationale qui serait contraire aux règles européennes de concurrence est toujours là (III-166 de la Constitution qui se retrouve en 86 TFUE), tandis que les aides publiques à certaines productions ou services sont toujours interdites par principe (III-167 qui se retrouve en 87 TFUE) !
L’orthodoxie monétaire et budgétaire est confortée
L’obsession de chasse aux déficits publics reste entière avec différents articles inchangés concernant la discipline budgétaire des Etats (le III-184 de la Constitution se retrouve dans le 104 TFUE) comme de l’Union elle-même (les I-53-2 et I-54-2 de la constitution se retrouvent dans le 268-1 et 269 TFUE).
L’impuissance monétaire européenne continue elle aussi avec la confirmation du primat de l’objectif de stabilité des prix (III-177 de la Constitution qui se retrouve dans le 97 ter du TFUE) dans la politique monétaire et la politique de change.
Tout soutien aux politiques économiques générales reste conditionné à la défense de cette fameuse stabilité des prix (III-185 de la Constitution qui se retrouve dans le 105 TFUE).
Enfin la sacro-sainte indépendance de la banque centrale européenne est confirmée (III-188 de la Constitution que l’on retrouve en 108 TFUE).
L’harmonisation sociale toujours impossible
Alors que l’Europe a mis en place des critères de convergence en matière monétaire et financière, toute harmonisation en matière sociale continue d’être bloquée.
Le futur traité sur le fonctionnement de l’Union continuera, comme la Constitution européenne, de multiplier les clauses d’ «exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres».
C’est le cas en matière d’emploi (le III-207 de la Constitution se retrouve en 129 du TFUE). En matière de politique sociale et de protection sociale (le III-210 de la Constitution se retrouve dans le 137 TFUE.) En matière de politique industrielle (le III-279 se retrouve dans le 176-F TFUE.)
Il en est de même de la santé (176 E du TFUE), l’éducation et la formation professionnelle (176 B et C du TFUE) ou encore de la recherche et la technologie (172 bis du TFUE) où toute harmonisation est aussi exclue.
Toutes les raisons qu’il y avait de s’opposer au précédent Traité Constitutionnel Européen (TCE) se retrouvent donc dans le traité actuel.
Ce texte est loin d’être le banal règlement intérieur décrit par ses promoteurs et ne se résume pas au toilettage des institutions mais conserve la plupart des aspects négatifs du TCE, rejeté par les Français le 29 mai 2005. C’est pourquoi aujourd’hui, rien ne justifie d’un point de vue démocratique, que les Français soient tenus à l’écart.
Si les promoteurs les plus zélés de la Constitution comme VGE se félicitent de ce nouveau texte, il en est de même des deux pays qui ont joué un rôle moteur pour organiser le contournement des peuples ayant voté Non en 2005 et le sommet des pays du Oui à Madrid :
-Angela Merkel pour l’Allemagne : «La substance de la Constitution est maintenue. C'est un fait » (citée dans The Daily Telegraph, 29 juin 2007)
-José Luis Zapatero pour l’Espagne «Nous n'avons pas abandonné un seul point essentiel de la Constitution» (discours du 27 juin 2007)
Quant aux anciens candidats à la présidence de la république, Ségolène Royal et François Bayrou, ils avaient exigé au cours de la dernière campagne, qu’une nouvelle consultation des Français ait lieu :
«Je souhaite que le peuple français soit à nouveau saisi par référendum en 2009» avait ajouté Ségolène le 17 janvier 2007, à Luxembourg.
«Seul le peuple lui-même peut refaire ce que le peuple a défait» avait déclaré François Bayrou le 8 mars 2007, à Bruxelles.
Aujourd’hui, ces deux personnalités politiques n’ont pas l’air de se souvenir de leurdéclaration d’hier et se gardent bien de confirmer leur exigence initiale d’un référendum…
Une majorité des 3/5ème des voix du parlement devra être cependant trouvée pour pouvoir faire adopter ce texte par le congrès mais le Président de la République ne devrait pas trop avoir de difficultés pour franchir ce seuil électoral.
Il y a 577 députés et 331 sénateurs, soit au total 908 parlementaires. Il faut donc, par conséquent, que 545 élus se prononcent en faveur de ce texte pour qu’il soit ratifié. L’UMP et le Nouveau Centre ne disposant que de 529 sièges, il manque donc 16 voix.
Mais les jeux sont faits depuis longtemps et le PS vient encore de le confirmer le 6 novembre dernier, lors de son bureau national, en prenant position en faveur d’un vote Oui au parlement, après avoir dit précédemment qu’un référendum était nécessaire !
Nicolas Sarkozy pourra ainsi compter sur les «oui-ouistes» du parti socialiste, des radicaux de gauche ou de la poignée de députésrescapés«bayrouistes», d’autant plus que certains députés ou sénateurs «raisonnables», pourraient être tentés par un vote positif car un prochain remaniement ministériels’annonce en 2008…
Il est décidément bien loin le temps où des hommes politiques d’envergure comme Pierre Mendès France critiquait déjà le Traité de Rome de 1957, au motif que celui-ci faisait la part trop belle à l’économique au détriment du social.
Comble de l’hypocrisie ou de la naïveté politique, plus de cinquante ans après la signature de ce traité et à l’image d’un François Hollande ou d’un Pierre Moscovici stupéfiants de crédulité, les dirigeants socialistes pensent toujours que le social en Europe, c’est pour demain…
Pour le soixantième anniversaire du traité de Rome en 2017, gageons que les mêmes nous raconteront la même fable...
Appel contre le « traité modifié » et pour un référendum
En 2005, les citoyennes et les citoyens de notre pays et des Pays-Bas ont refusé la « constitution» européenne que les chefs d’Etat de gouvernement avaient adoptée. Dans plusieurs pays, elle n’a jamais été ratifiée. Fin juin 2007, les chefs d’Etat et de gouvernement ont lancé une procédure éclair pour un nouveau traité européen, sans débat populaire, sans référendum.
Contrairement à ce que dit Nicolas Sarkozy, ce n’est pas un «mini-traité» Sous un autre nom et une autre forme, il reprend l’essentiel de la « constitution » rejetée.
Contrairement à ce que dit Nicolas Sarkozy, « le respect de l’économie ouverte de marché où la concurrence est libre » restera la pierre angulaire de la construction européenne à laquelle tout est subordonné. Aucune des principales exigences soulevées dans le débat sur le traité constitutionnel n’est prise en compte : services publics, égalité hommes-femmes, laïcité, préservation de l’environnement et des ressources non renouvelables, Europe sociale, refus de la libre circulation des capitaux et du dumping fiscal, surpuissance et missions de la banque centrale européenne (BCE), politique de paix, fonctionnement démocratique de l’Union européenne. Rien.
Les services publics restent soumis aux règles de la concurrence. La référence aux « héritages religieux » est maintenue. Aucun des obstacles à l’amélioration des règles sociales n’est levé. Les politiques environnementales sont stérilisées par les choix économiques ultra-libéraux. Le pouvoir de la BCE est préservé. L’inscription de la défense européenne dans la politique de l’OTAN, c’est à dire sa soumission aux Etats-Unis, et la militarisation de l’Europe sont confortées. La charte des «droits fondamentaux», déjà très insuffisante, reste vidée de toute portée pratique. Et, comme prévu par le traité constitutionnel, le système institutionnel actuel, profondément anti démocratique, n’est pas vraiment transformé. Bref, on retrouve tout ce qui fait de l’Europe une zone aménagée de libre échange et de promotion des politiques néo-libérales, au lieu qu’elle se construise démocratiquement et propose une autre voie que le règne sans partage des multinationales et des marchés financiers.
Nous sommes des partisans déterminés d’une Europe émancipée de cette tutelle des puissances financières, capable de refuser les politiques de domination agressive et les interventions militaires pour mettre en œuvre de nouvelles relations internationales, notamment avec les pays du Sud. Nous voulons une Europe fondée sur le refus de toutes les discriminations, le respect effectif de la diversité culturelle et la convergence par le haut des droits sociaux, des normes environnementales et des protections des consommateurs. Nous voulons une Europe bâtie sur la volonté et la souveraineté populaire. Voilà pourquoi nous refusons ce nouveau traité. Et nous proposons une démarche : l’élaboration d’un nouveau texte fondateur à la suite d’un processus démocratique, populaire et transparent ; puis sa ratification par referendum dans tous les Etats.
Nous appelons toutes celles et tous ceux qui veulent cette Europe là à se mobiliser, à faire converger leurs initiatives et à unir les forces pour expliquer le véritable contenu du nouveau traité, dénoncer la tromperie et pour ouvrir une nouvelle perspective d’une Europe démocratique, sociale, écologique et solidaire.
Pour éviter que le peuple tranche, Sarkozy veut faire adopter le nouveau traité par la voie parlementaire. Rien ne dit qu’il pourra le faire. Les citoyens et les élus, quel qu’ait été leur vote le 29 mai 2005, doivent refuser que la démocratie et la volonté populaire soient bafouées et exiger un nouveau référendum.
Le 16 octobre 2007
Premiers signataires :
AC ! – AlterEkolo - Alternatifs - APEIS - ATTAC - Cactus La Gauche – Confédération Paysanne - Coordination des Groupes de Femmes Egalité - Coordination nationale des collectifs antilibéraux - Démocratie & Socialisme - Fondation Copernic - Forces Militantes - LCR - Marches européennes - MARS Gauche Républicaine - PCF - PCOF - Pour la République Sociale - Réseau Féministe Ruptures – Union des Familles Laïques - Union syndicale Solidaires...
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