Le dernier rapport des experts du GIEC sur le changement climatique est alarmant. Comment en finir avec les gaz à effet de serre ? La Suède tente sa chance.
Des panneaux photovoltaiques sur la commune Fille sur Sarthe (Pays de la Loire). (GILE MICHEL/SIPA)
Par L' Obs Publié le 03-11-2014
Multiplication et aggravation des vagues de chaleur, acidification des océans, explosion des risques de conflit... C'est le constat accablant d'une évaluation mondiale dévoilée dimanche 2 novembre par le Groupement d'experts intergouvernemental sur le climat (GIEC).
Sur le siècle écoulé, observent-ils, la quantité en dioxyde de carbone, l'un des principaux contributeurs aux gaz à effet de serre, a été supérieure à celle produite pendant 800.000 ans. Comment éviter la catastrophe que représenterait une hausse supérieure à 2° d'ici à 2100 ? "Réduire les gaz à effet de serre de 40% à 70% d'ici à 2050, et les supprimer d'ici à 2100", recommandent les experts. Autrement dit : "décarboner" radicalement l'économie.
Un pays a relevé le défi : la Suède. Ici, fini les émissions de CO2. Le mix énergétique repose à la fois sur de l'énergie hydraulique, de l'énergie nucléaire et des énergies renouvelables thermiques (biomasse et éolien).
Décomposition de la production d'électricité en Suède en 2011
charbongazbiomassehydrauliquenucléaireéolien1%7%45%41%4%Source : Commission Européenne / Crédit : L'ObsLa France s'est engagée dans la réduction de ses émissions à travers la loi sur la transition énergétique. Pas sûr pour autant qu'elle parvienne à aller aussi loin et aussi vite que la Suède, dont la politique zéro émission repose sur cinq piliers.
# Donner un prix au carbone
S'il fallait ne retenir qu'une mesure de la transition suédoise ? "La force de la Suède est d'avoir donné un prix au carbone", résume Denis Baupin, député EELV et co-rapporteur de la loi sur la transition énergétique. En 1991, le pays décide de taxer le CO2 émis par... tous. Depuis 2009, cette taxe est fixée à 1050 SEK par tonne (120 euros).Nous sommes loin des 5 euros par tonne propres au dispositif des marchés de CO2 de l'Union européenne, qui concerne les grandes installations industrielles et la production d’électricité. "Un prix beaucoup trop bas", juge Alain Grandjean, économiste et co-auteur de "Miser (vraiment) sur la transition écologique" (2014, Les Editions de l'Atelier). Lui préconise de faire monter ce prix à "un niveau proche de 50 euros par tonne".
Sur le versant financier, la Suède a également joué la carte de la fiscalité :
La Suède a fait une refonte de sa fiscalité, en prélevant plus d’impôts sur les sources polluantes."
Les actions de décarbonation, au contraire, font l’objet de déductions de charges. Dommage que l'Union européenne ne puisse imposer aux pays membres un tel dispositif, regrette Alain Grandjean.Dans l’urgence actuelle, elle devrait pouvoir y inciter fortement."
# Maintenir une dose de nucléaire
La Suède s’appuie à hauteur de 41% sur le nucléaire pour sa production électrique. La loi actuelle interdit la construction de réacteurs supplémentaires (10 actuellement) mais autorise leur remplacement par des réacteurs plus performants ; ce qui fait de la Suède le seul pays au monde à avoir procédé à l'augmentation de puissance de réacteurs existants.Le nucléaire a l'avantage de rejeter peu de CO2 dans l’atmosphère. En Suède comme ailleurs, cette énergie est toutefois fortement contestée en raison du risque d'accident et de la délicate gestion des déchets nucléaires. Pas question de "sortir du nucléaire" pour autant. Même si, à terme, rien n'est exclu.
Il faut laisser le temps au temps", explique Alain Grandjean. On ne peut sortir du nucléaire si c’est pour recourir au charbon et aux énergies fossiles."
En France, le nucléaire représente 77% dans la production électrique française. Cette part a vocation à descendre à 50% à l'horizon 2050, comme le prévoit la loi de transition énergétique.# Miser sur les énergies renouvelables
L'énergie hydraulique est développée en Suède plus que nulle part ailleurs : elle représente 45% de la production électrique. Celle-ci est complétée par 11% d’énergies renouvelables thermiques (7% de biomasse et 4% d’éolien).Vu de France, c'est énorme. Dans l'Hexagone, l'hydraulique représente 13% de la production électrique et toute velléité de développement se heurte aux résistances locales. Quid des autres énergies renouvelables ? Pour Alain Grandjean, le principal obstacle à leur croissance réside dans leurs coûts d’investissement et de financement, qui représentent jusqu’à 80% du coût de la production d'électricité. Faire baisser le coût du financement permettrait, selon lui, de diminuer le coût de l'électricité verte de 30%.
# Circuler sans fossiles
Pas de quartier pour les carburants ! En 2009, la Suède a également décidé d'éliminer d'ici à 2030 toutes les voitures roulant à l'essence et au gazole. Elle peut actuellement se targuer de compter l'un des carburants les plus chers au monde, à environ 14,50 couronnes (1,60 euro) le litre. Mais cela risque de ne pas suffire.En décembre dernier, l'Institut de la conjoncture, organisme de recherche économique dépendant du ministère des Finances, a jugé que l'objectif était incompatible avec la fiscalité actuelle et que pour le tenir, il faudrait augmenter "d'environ 900% les taxes" sur le carburant. Soit une multiplication par 10.
Sans en arriver là, l'une des clés de la transition réside dans la bascule de la mobilité, et particulièrement du parc automobile, estime Denis Baupin, auteur d'un rapport parlementaire sur le sujet.
Si on construisait des voitures limitées à 130 km/h ou moins, au lieu de 190 km/h aujourd'hui, on consommerait 40% de pétrole en moins", martèle-t-il. "Cela représenterait des économies gigantesques et immédiates, puisque le parc automobile se renouvelle tous les 7 à 9 ans".
Evidemment, la voiture décarbonée roule au gaz, à l'électricité et aux carburants renouvelables. Autant d'hypothèses actuellement à l'étude chez les constructeurs, sans qu'aucune ne se soit imposée à ce jour.# Financer l'efficacité énergétique
La Suède a en partie réussi sa transition énergétique grâce à la mise en place d'un plan d'ensemble, soutenu par une dévaluation monétaire. Or la zone euro est en situation de déflation. Si le président de la Commission européenne Jean-Claude Junker veut lancer un plan d'investissement, celui-ci "doit être centré sur les questions énergie-climat", souligne Alain Grandjean.C’est d'ailleurs l'objectif du rapport final d’une étude sur la création d'une Société de financement de la transition énergétique (SFTE), qui sera dévoilé mardi 4 novembre.