Je ne renonce ni ne recule, je suis la renoncule

Publié le 04 novembre 2014 par Ecosapiens

A Rémi bien sûr,

Certains pensent que la lutte écologique est récente. Ceux qui parlent du péril vert ou des écolo-djihadistes en font bien sûr des tonnes parce que la stratégie est toujours la même :

« D’abord ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, ensuite ils vous combattent et enfin, vous gagnez » (Gandhi)

L’ignorance c’est bien sûr le silence médiatique sur ce barrage. Jusqu’au drame que l’on connait. Et là bien entendu les tenants de la modernité (les partis politiques institutionnels et les incontournables figures du paysage médiatique) n’ont pas manqué au préalable de ringardiser Rémi Fraisse et le mouvement zadiste en général. Pour cela, les forces de l’ordre ont même du mentir, laissant accroire qu’il était ou ivre ou violent, ou fragile…

Comment leur en vouloir ? Ces gens-là ne comprennent pas ce qui se passe. Ils vont aux obsèques d’un vieux magnat du pétrole, du fleuron étatico-industriel quine paye ni ses frasques polluantes ni d’impôts. L’argent rend fou décidément.

Peut-être que nos représentants ne mesurent pas le sérieux de la situation environnementale. Rien que ces 30 derniers jours pourtant…

Devant l’accumulation des preuves accablantes à propos de notre mode de développement, non durable, injuste, non souhaitable et non généralisable, force est de constater que nous avons d’une part des représentants qui ne font rien… et des doux rêveurs  qui meurent idiotement pour leurs idées parce qu’ils ont pris au sérieux le caractère grotesque de nos modes de vie.

Diantre ! Il y a donc des gens qui ont le courage de tirer les conséquences de ce qu’ils savent !

Je disais au début que la lutte « pour la vie » n’était pas récente. J’aime à la faire remonter jusqu’aux philosophes cyniques qui prenaient un malin plaisir à prendre le contre-pied de leur siècle. Leur anti-conformisme était une joie de vivre soucieuse de liberté et de rapprochement avec la Nature. Plus proche de nous, la figure de Henry David Thoreau, père du transcendantalisme, et surtout son récit Walden ou la vie dans les bois, est un hymne à la liberté et à la Nature justement.

C’est qu’au fond la Nature a encore beaucoup de choses à nous raconter. Je m’amuse encore à demander autour de moi si les pingouins volent. Petits ou grands me répondent inlassablement que non et je m’empresse de leur montrer le bel envol du pingouin.

Quant à la renoncule, je suis certain que d’aucuns pensent que c’est une fleur improbable. C’est notre bête bouton d’or, la butterflower des Anglais car oui eux aussi s’amusent enfant à de mander « t’aimes le beurre » en faisant dorer ses pétales pour dessiner une tâche jaune soleil sur une gorge espiègle.

Alors oui la renoncule qu’étudiait Rémi était un peu spéciale. Elle était rare et protégée et on la dit à feuille en langue de serpent. Ophioglosse. Ce n’est pas très flatteur car ne dit-on pas d’un fourbe qu’il a une langue de vipère ?

On m’a souvent dit d’un ton condescendant : « Arrête d’idéaliser la Nature, elle n’est pas bonne, regarde il y a bien des poisons naturels ». J’ai toujours trouvé ce genre de sortie très révélatrice.

Premier aveu. Ces personnes (qui souvent ignorent tout de la faune et de la flore) imaginent que les amoureux de la Nature la serait une forme de bonté absolue comme le Dieu Amour des monothéistes ?

Second aveu. Ces personnes confondent « bon » et « bon pour moi être humain ». L’écologie est une pensée qui, à la manière de Galilée, Darwin ou Freud (non nous ne sommes pas le centre de l’univers, ni du vivant, ni de la conscience…) remet l’espèce humaine à une place parmi d’autres. Donc la baie d’if constitue effectivement un poison (quoique les botanistes savent bien que vous pouvez manger la drupe rouge de l’if… à condition de ne pas avaler la graine à l’intérieur !) mais ce n’est pas un dispositif machiavélique… A la rigueur un rappel : pour aimer la Nature, il ne faut pas la craindre mais l’apprivoiser.

Après, il y a un débat sur le rôle de l’homme dans tout ce bazar. Car indéniablement, si l’espèce humaine est un taxon animal parmi d’autres, il a franchement quelques caractéristiques étonnantes, au même titre que la langue du fourmilier ou la longévité du corail… Selon moi, ces caractéristiques sont la Technique (la sudation technique dont parle Leroi-Gourhan) et la Parole. Bon il y a aussi la Bêtise mais c’est une notion morale…

La Technique, c’est par exemple le barrage.

La Parole, c’est le débat, l’expertise, la manifestation et la confrontation par rapport à ce barrage.

La Bêtise, on l’a vue une fois de plus.

Et bien j’aime à penser que l’intérêt de Rémi Fraisse pour cette renoncule « langue de serpent », pour cette fleur traitresse et fourbe est une grandiose métaphore du destin de l’Homme. Non ce n’est pas la fleur qui est mauvaise, c’est la nature de l’homme qui est comme elle est, avec sa propension à suer la Technique et à parfois ignorer les vertus de la Parole. Et cela dure depuis bien longtemps.

Bien avant les Cyniques…