[Critique] VIE SAUVAGE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Note:

Origine : France
Réalisateur : Cédric Kahn
Distribution : Mathieu Kassovitz, Céline Sallette, Romain Depret, Jules Ritmanic, David Gastou, Sofiane Neveu, Jenna Thiam, Tara-Jay Bangalter …
Genre : Drame/Adaptation/Histoire vraie
Date de sortie : 29 octobre 2014

Le Pitch :
Philippe Fournier (Paco) étant séparé de son ex-compagne Nora, partage la garde de ses deux enfants dans des conditions difficiles. Un jour, à la fin des vacances scolaires, il décide (avec l’avis de ses enfants) de ne pas les ramener au domicile de Nora. S’ensuit alors une cavale de 11 années, durant lesquelles ils vont régulièrement changer d’identités et de lieu de vie… Histoire vraie…

La Critique :
Lors de la promotion de son film, Cédric Kahn a dit dans une interview : « En aucun cas je ne rentre dans cette histoire en me substituant ni à un juge, ni à un moralisateur, puis de toute façon je trouve que ce n’est pas la place du cinéma. La place du cinéma, c’est de comprendre l’intime. C’est d’attraper les personnages, et d’arriver à les faire aimer quoiqu’ils fassent. » Et lorsque l’on se renseigne davantage sur le fait divers de la cavale des Fortin, on comprend aisément pourquoi il s’est exprimé ainsi. Tellement de choses ont été dites sur cette histoire qui a beaucoup secoué à l’époque, qu’il est extrêmement difficile de démêler le vrai du faux, et d’émettre un jugement catégorique. En revanche chaque partie a donné sa propre version des faits, et c’est sur ces différentes versions que Cédric Kahn s’est basé pour réaliser son long métrage. Un long-métrage dans lequel il a surtout mis de l’émotion et de la compassion, en ne faisant jamais l’impasse sur la peine engendrée par la situation. On retrouve de l’humain dans Vie Sauvage, de l’humain avec ses qualités mais aussi avec ses imperfections.

Et pour raconter cette histoire complexe, le réalisateur a décidé de se placer du point de vue des enfants. Ces derniers sont clairement les personnages principaux de cette histoire, et le déroulement des événements s’effectue à travers leurs yeux. Force est de reconnaître que ce choix intelligent offre un rendu assez réussi car forcément non manichéen. La caméra ne se place ainsi jamais en juge et ne prend aucun parti. On voit donc Okyesa et Tsali Fournier respectivement interprétés par Jules Ritmanic et Romain Depret, grandir, évoluer, apprendre, s’épanouir mais aussi affronter les nombreuses difficultés de la vie (dans l’histoire réelle, Okyesa Fournier s’appelle Okwari Fortin et Tsali Fournier se nomme Shahi’Yena Fortin). Et l’histoire est tellement prenante, qu’au bout d’un moment, on n’a plus l’impression d’assister à un film, mais plutôt à une véritable tranche de vie, dans laquelle on est happé.

Les moments coups de poing filmés caméra à l’épaule placent le spectateur tel un témoin en l’ancrant dans la narration, ce qui favorise ce sentiment d’immersion. La photographie qui utilise une lumière naturelle est quant à elle au plus proche de la nature, et rend les paysages réels. La réalisation rend donc compte d’une nature belle et bucolique retranscrite par quelques moments en particulier, mais dépeint aussi clairement la pénibilité de la vie paysanne. C’est d’ailleurs cette âpreté des conditions de vie qui ressort le plus, virant même parfois au glauque lors de passages choisis. L’aspect romantique de la vie à la campagne n’est pas absent du film mais reste très nuancé. La mise en scène est quant à elle simple, l’accent est mis sur l’aspect sensoriel qui instaure une dimension contemplative très présente, et confère finalement une tonalité poétique au tout.

Le métrage n’en demeure pas moins porteur d’un regard neuf sur la vie en autarcie ou encore en auto-suffisance. Ainsi on apprécie le message écologiste délivré par Paco (le père des deux garçons) brillamment interprété par un Mathieu Kassovitz très investi. Un message écologiste qui prône un biocentrisme marqué, et qui est propre aux cultures indigènes comme celle des amérindiens par exemple, dont s’est inspiré Xavier Fortin dans la vraie vie (Paco Fournier dans le film) pour l’éducation de ses enfants. Leur apprenant à se débrouiller par eux-mêmes et à vivre en symbiose avec l’environnement.

« Tout marche en rond dans la nature, vous voyez quelque chose de carré ici ? Parce que tout est rond, tout est fluide. »

Non content de porter un regard neuf sur les modes de vie qui diffèrent d’une certaine norme, le film aborde également de manière discrète la question de l’incompréhension qu’ils génèrent et l’intolérance qui en découle. « Hors système, 11 ans sous l’étoile de la liberté » c’est d’ailleurs le titre du livre écrit par Okwari, Shahi Yena et Xavier Fortin, qui décrit ce genre de mode de vie. Certaines anecdotes réelles sont d’ailleurs rendues à l’exactitude dans ce long-métrage.

Cédric Kahn, à travers son film, ne prône jamais un mode de vie en particulier, mais raconte simplement une histoire en essayant de maintenir une certaine tolérance et une ouverture d’esprit. Le caractère extrêmement radical de Paco (Xavier Fortin) est d’ailleurs clairement mis en avant, on observe ainsi une certaine face sombre et rigide par le biais du personnage. Un radicalisme surtout mis en exergue lors des confrontations avec son fils aîné Tsali en période d’adolescence.

Vie Sauvage questionne aussi d’une certaine façon le droit des pères dans la société, mais encore une fois sans jamais prendre partie dans ce fait divers, car la profonde souffrance de Nora, la mère des deux garçons (Catherine Martin dans la vie) interprétée par une Céline Sallette touchante, est clairement mise en avant. La souffrance d’une mère privée de ses enfants pendant tant d’années est d’ailleurs parfaitement illustrée par une scène finale très poignante, et assez brutale car elle laisse sur sa faim. Mais au final, la seule chose que l’on a envie de faire en sortant de la salle, c’est de se renseigner un peu plus sur cette histoire qui malgré la peine qu’elle déclenche, est tout à fait passionnante et prenante. À noter que Catherine Martin a également écrit un livre intitulé Au nom de mes fils.

À noter également que toute la famille dans son ensemble a été d’accord pour la diffusion de ce film, certains ayant participé au scénario et à sa promotion. Cédric Kahn a même dit avoir eu l’impression d’enfin les réunir à travers le cinéma.

@ Audrey Cartier

Crédits photos : Le Pacte

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