Genre: drame, horreur, trash (interdit aux -18 ans en version uncut)
Année: 1971
Durée: cut 1h28/ uncut 1h36
L'histoire: Dans le New York de la fin des années soixante, Moon, un gourou violent et illuminé, prépare ses disciples à la nuit du jugement. Inspiré d'un fait divers réel, ce film retrace cette nuit de cauchemar où tous les membres d'une congrégation furent massacrés au cours d'une orgie de sexe et de sang.
La critique d'Inthemoodforgore:
Il est comme ça des films que l'on a vu dans son enfance ou son adolescence, et qui laisse une trace indélébile dans la mémoire. Ma première rencontre avec Le Messie du Mal (aka The Love Thrill Murders aka Sweet Savior) eu lieu un soir d'hiver 1984, dans le vidéo club que je squattais assidûment. Bien que n'ayant pas l'âge légal pour voir ce film, le responsable de l'établissement (qui était devenu un pote, à force...) se fit un malin plaisir de mettre cet objet impur à la disposition de ma juvénile innocence (hum hum). Ainsi, j'accédais aux joies de l'univers underground pour la première fois.
Et l'expérience le marqua à tel point que, durant des années, je me mis à la recherche de cette oeuvre étrange, devenue au fil du temps, une véritable chimère. Et puis, voici quelques semaines, j'ai pu enfin mettre la main sur la très rare vhs (le film n'existe pas en dvd) française et en version intégrale.
Alors, Le Messie du Mal est-il à la hauteur des souvenirs que j'en avais conservé ? La réponse dans ce billet. Attention toutefois à ne pas confondre ce film avec son homonyme de 1973, chroniqué par Olivier il y a quelques mois, intitulé Messiah of Evil de son titre original. Le film qui nous intéresse aujourd'hui n'a strictement rien à voir. Il s'agit ici du premier Troma de l'histoire.
Troma est une firme américaine qui fit les beaux jours du cinéma bis dans les années 70 et 80. Troma à qui l'on doit le très culte Toxic Avenger ou encore Bloodsucking Freaks. La politique de la maison Troma était simple: nichons à gogo, gore à tous les étages, un maximum de mauvais goût et un troisième degré revendiqué haut et fort. Il y eut cependant quelques exceptions notables dont Le Messie du Mal.
Nous sommes en 1971 et l'Amérique tout entière reste encore sous le choc de l'épouvantable assassinat de Sharon Tate par les adeptes de Charles Manson, deux ans auparavant. C'est ainsi qu'au cinéma, un nouveau genre va naître quasi instantanément: la mansploitation. Et le début des années 70 va voir fleurir quantités de films sur les gourous satanistes et meurtriers. Ajoutez à cela, la révolution sexuelle de l'époque, ne cherchez pas plus loin: vous tenez le sujet du film.
Précisons que bien que contenant certains passages à caractère pornographique (dans sa version intégrale), Le Messie du Mal ne peut sûrement pas être considéré comme tel. Non, ce qui fascine avant tout dans cette oeuvre singulière, c'est climat à nul autre pareil. Dans le rôle de Moon, le gourou, on retrouve Troy Donahue, particulièrement habité par son personnage aux antipodes des rôles de jeunes premiers qui l'ont fait connaître dans les feuilletons familiaux américains de la fin des années cinquante.
Attention spoilers: Sandra Barlow, une actrice lubrique sur le retour, prépare une orgie dans sa superbe villa aux environs de New York. Elle invite des amis triés sur le volet pour une soirée de débauche qui s'annonce autant agréable qu'inattendue. L'actrice charge son "ami" Moon, un gourou charismatique et manipulateur, de fournir suffisamment de drogues aux invités pour que la fête soit totalement réussie.
Mais celui ci, qui voue une haine sans limite à la bourgeoisie, prépare en fait, la nuit du jugement a laquelle il veut faire participer ses adeptes. La partie fine va se terminer en nuit cauchemardesque où tous les participants vont être exécutés les uns après les autres.
Quel film étrange... Le malaise à l'état pur. L'ambiance lourde et pesant d'un "porno" sacrificiel où le spectateur se trouve comme suspendu aux inévitables dérapages dont les acteurs auraient pu, à tout moment, se rendre responsables. Car, visiblement, ceux ci n'étaient pas dans leur état normal en tournant certaines scènes. Tout aurait pu arriver et le réalisateur, Bob Roberts, avouera plus tard que Le Messie du Mal fut interprété et même réalisé (!) sous héroïne et LSD, entre autres.
Même si à l'époque, il n'était pas si rare de jouer sous l'influence de produits illicites, Le Messie du Mal reste une curiosité malsaine et un témoignage de son temps. Et que dire des dialogues, à eux seuls, un vrai bonheur. On a vu bien plus trash et scandaleux que ce film mais il doit détenir le record du monde du nombre d'insanités prononcées à la minute. Durant les quatre vingt seize que dure le film, les "bites", "couilles", "chatte" sont employés comme ponctuation surréalistes de situations qui ne le sont pas moins. Un exemple? Le bras droit de Moon, shooté à mort, qui réalise qu'il vient de faire l'amour avec un travesti:
- Mais tu es un homme !
- Tu n'as pas entendu parler des progrès de la chirurgie, toi. Non, je suis une femme mais j'aime tellement la queue, que je m'en suis fait greffé une...
Le sommet du raffinement étant cette tirade superbe: "Ecarte ton vagin et recrache mon sperme, que je t'assassine !" Ah, la belle chose...
A priori, une oeuvre pareille est indéfendable. Hé bien moi, j'ai très envie de la défendre. Ce monument underground mérite sûrement une autre place que les oubliettes poussiéreuses où il végétait depuis plus de quarante ans. Certes, le première moitié du film est assez poussive. Certes, l'image est granuleuse et si sombre que les exécutions finales se déroulent dans une quasi obscurité. C
ertes le scénario tient sur un dé à coudre et pourtant ce film reste, encore aujourd'hui, sacrément osé. En effet, comment oublier le gros plan sur le sexe écarté d'une femme qui fait le poirier ?!! Le Messie du Mal est à considérer avant tout, comme un témoignage de l'atmosphère qui régnait en Amérique à cette époque. Une époque aux moeurs complètement libertaires où flottait un parfum de révolte de la part de la classe populaire vis à vis des privilégiés.
En ce début des seventies, qui voit les États Unis s'enliser dans une guerre du Vietnam interminable, la naissance du mouvement hippie et du flower power va pronfondement changer la face de la société américaine. Dans cette ambiance baba cool, où la révolution sexuelle flirte allègrement avec une consommation massive de drogues, les proies vont s'avérer très faciles à recruter pour les sectes qui voient le jour aux quatre coins du pays. Celle de Charles Manson est évidemment la plus célèbre.
S'inspirant de la véritable histoire d'une famille massacrée au cours d'une longue nuit de rites sanglants, en 1970, à New York, Le Messie du Mal nous renvoie des images d'une temps révolu. Le temps d'une insouciance sexuelle d'avant le SIDA, d'une expression de totale liberté des corps et des mentalités mais aussi d'une lutte sociale, à présent dépassée.
Le Messie du Mal pourra, peut être, apparaître aux yeux de certains, comme kitsch et assez daté. Pourtant, je le conseille vivement aux amateurs de curiosités underground. Ce film crépusculaire mérite vraiment que l'on lui laisse une seconde chance. Une pépite dans son genre.
Note: 15,5/20