« Corps et âme » invite à suivre le parcours initiatique de Claude Rawling, un jeune prodige du piano qui se retrouve livré à lui-même dès le plus jeune âge. Vivant dans un petit appartement en compagnie d’une mère aussi absente qu’instable, il commence à jouer sur un petit piano blanc afin de combler ses journées de solitude. Rapidement, il se découvre une passion et un don pour la musique. Grâce à l’aide d’Aaron Weisfeld, le propriétaire du magasin de musique voisin, il développe son talent et connaît une ascension musicale et sociale fulgurante. Au fil des pages le lecteur suit le parcours de ce jeune prodige, son amour pour la musique et les nombreuses rencontres qui vont en découler…
« La musique était là, simplement, sans qu’il y pense, sans qu’il se concentre sur elle. Il n’en était pas plus conscient que de sa propre respiration. Il n’avait pas l’impression qu’il la faisait mais qu’elle existait indépendamment, circulant dans un coin de son cerveau. »
De cette mère fantasque qui lui cache ses origines au sympathique marchand d’instruments qui le prend sous son aile, en passant par Catherine l’unique amour de sa vie, Frank Conroy développe des personnages secondaires complexes et attachants, tout en abordant avec intelligence des thèmes tels que l’antisémitisme ou la ségrégation raciale.
« Pendant qu’il façonnait la musique dans sa tête et la jouait, il sentait que Fredericks la façonnait et la jouait en accord avec lui, leurs âmes jointes dans une entreprise harmonieuse, comme de vieux amis qui peuvent se parler sans mots, se communiquer une pensée avant qu’elle n’émerge totalement, parce que la même pensée naît dans l’âme de l’autre. »
Si les protagonistes sont une véritable réussite, le personnage principal de cette œuvre est néanmoins la musique. Omniprésente, celle-ci donne un sens à la vie de Claude et permet de l’extraire de sa condition sociale et d’un avenir qui s’annonçait pas vraiment rose. Malgré les nombreuses références musicales et les passages plus techniques, le néophyte (comme moi) ne se retrouve jamais largué et finit même par entendre les notes jouées par Claude et la mélodie qui émane de ce roman.
« Ses mains voulaient jouer Bach, la petite Fugue en sol mineur. Les trois premières notes – la note fondamentale, la quinte et la tierce mineure – semblèrent entièrement magiques. Dans leur simplicité, il entendait la signification de toute la pièce, et, de là, de la compréhension de la fugue, lui vint la conscience totale de toute la musique, comme si toute la musique était sous-entendue dans n’importe quelle petite parcelle de musique, comme si toutes les notes étaient contenues dans n’importe quelle note. »
Si j’ai adoré les passages qui rendent hommage à la musique, j’ai également apprécié le fond historique de cette histoire qui embarque le lecteur dans le New-York des années 40 et qui invite à découvrir les différents quartiers, ainsi que leur évolution.
« Pour eux, la musique est un décor. Une distraction, un dérivatif. A la rigueur un passe-temps. Un artiste n’est qu’un amuseur de haut rang. Ils ne savent même pas qu’ils ne savent rien, ces gens-là. »
Bref, un excellent roman, à lire… et à écouter !
« C’est presque magique. C’est si bon, parfois, que c’en est presque insoutenable. je veux dire, on joue, on sent une résistance, on pousse de plus en plus fort… et soudain on débouche en pleine lumière, juste comme ça… On passe de l’autre côté du mur ! l n’y a plus de résistance, on navigue… De la pensée pure, qui se transforme en musique pure. »