Deuxième volée de prix littéraires pour cette semaine où l'on distribue les récompenses à tour de bras. Aux bons élèves? Faut voir... Les lauréats du Médicis sont tous assez inclassables, et tant mieux. Revue de détail.
Un seul tour de scrutin a suffi à Antoine Volodine pour obtenir la majorité des votes et être couronné, avec Terminus radieux, par le Prix Médicis du roman français (huit voix contre à Autour du monde, de Laurent Mauvignier).
Antoine Volodine a commencé par publier dans une collection de science-fiction, ce qui était, d'un certain point de vue, révélateur et, d'un autre, un immense malentendu. Car l'écrivain, qui publie aussi sous différents pseudonymes, est attaché à la construction d'une oeuvre monumentale en rupture avec tous les genres. On peut dire, oui, qu'il y a un peu de science-fiction dans ce qu'il publie, et Terminus radieux se situe d'ailleurs dans un futur aussi lointain qu'imprécis. Mais il y a surtout une volonté d'installer ce qu'il appelle un "post-exotisme" détaché de tous les genres et qui se définit au fur et à mesure qu'il prend de la consistance, volume après volume.
Dans ce roman, situé après la chute de la Deuxième Union Soviétique, le monde est parti en lambeaux sous les radiations de centrales nucléaires déglinguées. Une toute petite partie de la population a survécu aux guerres qui ont suivi. Et encore, cette survie est relative, car beaucoup d'entre eux sont des sortes de morts vivants, au degré de conscience variable. Seul Solovieï, le président du kolkhoze Terminus radieux bénéficie de toutes les caractéristiques des vivants, et même un peu plus car il est capable de s'introduire dans les rêves et de faire croire aux autres qu'ils vivent simultanément et en différents lieux des aventures incroyables - alors qu'ils sont animés par la seule volonté de ce Solovieï.
C'est parfois un peu long. Mais il y a de belles envolées, une invention constante - rien que l'énumération des noms de plantes qui se trouve dans le début est digne d'un poème - et un élan que rien ne semble devoir briser. C'est, en tout cas, un roman digne de la vocation parfois oubliée par le Prix Médicis: mettre l'accent sur une littérature audacieuse.
L'Australienne Lily Brett reçoit, pour sa part, le Médicis du roman étranger pour son premier livre traduit en français, Lola Bensky.
Lola Bensky a vingt ans, elle travaille pour la presse
australienne et court d’un rendez-vous à un autre, à Londres puis aux
Etats-Unis. Son terrain de chasse : les musiciens qui font et feront les
beaux jours de la scène internationale. A Londres, Mick Jagger lui prépare un
thé et lui propose de rencontrer Paul McCartney, Jimi Hendrix s’intéresse aux
camps de la mort nazi – les parents de Lola ont survécu à Auschwitz –, Keith
Moon s’approche d’elle en slip moulant et elle détourne la tête en demandant à
John Entwistle si ça va mieux entre les membres des Who, elle se promène en rue
avec Cat Stevens qui lui dit son envie de construire une maison de pierres en
Grèce. Lola prête des faux cils à Cher, qui ne les lui rendra jamais, même
quand elles se reverront à Los Angeles où, comme la première fois, Sonny fait
les réponses à la place de la chanteuse. Au festival de Monterey, Jim Morrison
semble un peu plus lucide que la première fois, à New York. Elle retrouve Jimi
Hendrix qui lui reparle de ses bigoudis, elle s’ennuie en écoutant Ravi
Shankar, elle essaie d’arracher une ou deux phrases à un Brian Jones défoncé,
elle s’assied à côté de Mama Cass (The Mamas & The Papas), plus grosse
qu’elle mais qui la renvoie à ses problèmes de poids, dont elle ne se défera
jamais…
Lola Bensky a trente ans en Australie, elle est mariée avec
une ancienne rock star de son pays – mais il est devenu fonctionnaire –, elle
s’étonne d’être vivante et encore davantage que ses parents le soient, elle a
des enfants. Les portraits qu’elle publie dans la presse ont beaucoup de
succès, elle se prépare néanmoins à changer de vie.
Lola Bensky a cinquante et un ans à New York, elle a publié
un roman policier à succès, bien que son père, qui aime le genre, l’ait trouvé
assez ennuyeux. Mais elle est heureuse d’avoir créé un personnage féminin qui,
au contraire d’elle-même, ne cesse de gueuler. Et qui est juive.
Lola Bensky a soixante-trois ans, elle ne sait pas pour
quelle bonne cause a été organisée la réception où elle se trouve, dans un
immense appartement sur la Cinquième Avenue à New York. Son mari, un peintre
célèbre, pourrait peut-être le lui rappeler si elle n’en était sans cesse
séparée par le jeu des conversations. Elle est célèbre elle aussi. Et mince,
bien qu’elle continue de se sentir grosse. Mick Jagger est là, en compagnie de
L’Wren Scott. Elle est heureuse de la voir, inchangé, alors que tant d’autres
sont morts. La reconnaît-il ? Se souvient-il de lui avoir préparé un thé plus
de quarante ans avant ?
Lola Bensky, c’est Lily Brett, qui réinvente à peine sa vie dans un
livre formidable. Son évocation des années soixante montre le milieu du rock
comme on ne l’avait jamais vu, dans le reflet de ses hantises, le passé des
camps de la mort et les kilos en trop. C’est tragique et drôle à la fois,
profondément humain. Les icônes de la pop music ne sont pas si différentes des
gens normaux, en somme.
Quant au Prix Médicis essai, il couronne Frédéric Pajak pour le troisième tome de son Manifeste incertain, préféré (de justysse) avec cinq voix aux Barrages de sable, de Jean-Yves Jouannais, qui a obtenu quatre voix.
Comme c'est souvent le cas avec les essais, je n'ai pas lu celui-ci - non par mépris mais par goût de la fiction et en raison de l'abondance de sa production, ce qui me laisse peu de temps pour me plonger dans d'autres choses...