Car, pour commencer, il faut un roi. Or, pour le « bon roi » Louis XVI, le peuple ce n’est rien. Il se voit prisonnier chez lui. Par l’intermédiaire de sa femme, « l’homme fort » de la royauté et « l’Autrichienne » de la rumeur populaire !, il supplie ses semblables, les monarques européens, de le sauver. (Que serait-il survenu s’ils avaient obtempéré ? Un massacre sans commune mesure avec la Terreur ?, me suis-je demandé.) Pour gagner du temps, il ment comme il respire.
Le changement supposait aussi que le peuple serait guidé par la raison. Or, c’est la parole qui l’enflamme. La révolution sera le triomphe d’orateurs comme Danton et Mirabeau. Ils sont exceptionnellement brillants certes, mais corrompus jusqu’à la moelle. D’ailleurs, partout la réalité fait mordre la poussière à la raison. Ainsi, la révolution récupère les dettes royales. Pour les effacer, on prend la décision, fort sensée, de vendre les biens ecclésiastiques. Plus exactement, on les hypothèque en échange « d’assignats ». Alors que rien ne semblait l’annoncer, cela va déboucher, par un enchaînement d’événements insignifiants, sur une guerre de religion. Et sur une inflation galopante. Car il est impossible de résister à la tentation d’imprimer des assignats.
Autre grand moment d’intelligence collective : les révolutionnaires déclarent la guerre à l’Europe. Elle va forcer le roi à se démasquer, se disent-ils. Ils pensent la victoire facile. Mais ils oublient que leurs officiers sont nobles. Et que la menace d’une invasion va rendre furieux le peuple.
En fait, la révolution est surtout une surenchère dans la radicalité. C’est elle qui rend impossible de mettre un terme à la révolution. Peut-être parce que personne ne peut résister à la tentation de dépasser le tenant du pouvoir sur sa gauche, en direction du peuple. A Mirabeau, proche des nobles, succède Barnave, homme de la grande bourgeoisie, qui va jusqu’à défendre la cause esclavagiste. Car les propriétaires des Antilles menacent de se rallier à l’Angleterre, patrie des droits de l’homme. C’est ensuite Brissot et les Girondins. Et enfin Robespierre et la Terreur. Terreur qui n’est pas le fait du peuple, d’ailleurs. Mais d’une poignée d’excités.
WINOCK, Michel, La grande fracture 1790-1793, Tempus-Perrin, 2014.