D’abord, je vais vous raconter le hold up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres, qui se sont produits plus tard. C’est le hold up qui compte le plus, parce qu’il a eu pour effet d’infléchir le cours de nos vies à ma sœur et à moi. Rien ne serait tout à fait compréhensible si je ne le racontais pas d’abord. Nos parents étaient les dernières personnes qu’on aurait imaginées dévaliser une banque. Ce n’était pas des gens bizarres, des criminels repérables au premier coup d’œil. Personne n’aurait cru qu’ils allaient finir comme ils ont fini. C’était des gens ordinaires, même si, bien sûr, cette idée est devenue caduque dès l’instant où ils ont bel et bien dévalisé une banque.
Ainsi, dès les premières lignes du roman on connaît l’intrigue de la moitié de l’histoire. Une famille heureuse dans le Montana, les Parsons, avec deux ados de 15 ans, Dell et sa sœur jumelle. Une famille comme les autres avec ses joies, ses rêves et ses contradictions. Soudain tout s’écroule lorsque, pour rembourser leurs dettes, les parents décident de braquer une banque. Ils sont immédiatement retrouvés et emprisonnés. Ils ne se reverront jamais, si ce n’est le frère et la sœur une quarantaine d’années plus tard.
C’est intéressant mais si le récit s’arrêtait là, je n’aurais que moyennement aimé. Heureusement, après avoir oublié ce début pendant vingt ans, Richard Ford l’a repris et la deuxième partie – celle qui se déroule au Canada – est excellente. La lecture en est devenue si passionnante que j’y ai passé toute la nuit.
Pour éviter le placement en orphelinat, Dell, selon les dernières volontés de sa mère, franchit la frontière et se retrouve au Canada, dans un village perdu du Saskatchewan.Il est totalement seul, à la merci d’un personnage étrange et dangereux, sorti de Harvard mais criminel en fuite, devenu patron d’un hôtel de passe.
Il y fait son apprentissage, à la dure mais efficacement,
Mais enfin pourquoi nous laissons-nous séduire par des gens que nous sommes bien les seuls à croire honorables et intègres, quand autrui les voit dangereux et imprévisibles ?
Quel dommage que je me sois fait prendre dans les filets d’Arthur Reminger sitôt après l’incarcération de mes parents ! Malgré tout, quand on se trouve mêlé à une vilaine histoire, quand des menaces planent, il est vital de se rendre compte qu’on est déjà passé par là et qu’on va se retrouver tout seul, à découvert dans le paysage, que la prudence est donc de mise.
Et moi, bien sûr, au lieu de manifester cette prudence, je me suis laissé « prendre en mains » par Arthur Reminger et Florence La Blanc, comme si c’était la conséquence la plus logique et la plus naturelle du plan de ma mère pour m’éloigner après sa catastrophe personnelle.
. Professeur heureux et époux comblé, par la suite, il évite le cynisme en ouvrant au maximum son champ d’intérêt et en appliquant les bons conseils reçus: pratiquer la générosité, savoir durer, savoir accepter, se défausser, laisser le monde venir à soi – de tout ce bois, le feu d’une vie.
Un roman sombre et optimiste à la fois, que j’ai beaucoup aimé.
Voici la liste des livres étudiés avec ses élèves : des livres qui lui semblent secrètement traiter de ses jeunes années et qui le rendent heureux : Au cœur des ténèbres, Gatsby le Magnifique, Un thé au Sahara, Les Aventures de Nick Adams, Le Maître de Casterbridge, histoire d’un homme de caractère.
Ma métaphore centrale est toujours le franchissement d’une frontière; l’adaptation, le franchissement progressif d’un mode de vie inopérant à un autre, fonctionnel, celui-là. Il s’agit parfois aussi d’une frontière qui, franchie, ne se repasse pas.