Enfin, dernier trait "bernhardien", ce geste de vouloir envoyer balader tout la bonne facture du cinéma français (à côté, Chéreau paraît d'un emprunté), de donner un grand coup de pied dans la fourmilière tout en se plaçant dans la lignée du film de prestige national (gros casting, film très écrit, mais un peu à la manière de ces citations) exactement de la façon dont TB, dans Maîtres anciens, par exemple, règle son compte à toute la tradition littéraire allemande tout en se plaçant comme son plus avisé continuateur.
Mais ce qui m'a fait recoller au film, et l'a fait sortir de sa misanthropie originelle, ce sont les scènes médicales finales où les ponctions et autres protocoles de la greffe sont véritablement filmés comme les gestes d'une naissance: pas tant l'arrivée d'un nouvel être dans la famille que l'arrivée d'un nouveau sentiment (gratitude ? apaisement ? réconciliation ?) qu'il va falloir accueillir.
Porté à l'écran, on aurait pu croire un projet assez formel. Il n'en est rien. Car c'est sans compter avec la deuxième influence de Bégaudeau lors de l'écriture: celle... d'Abdelatif Kechiche, plus précisément du rendu de la langue parlée adolescente dans L'Esquive. Voir ainsi le parcours d'une influence cinématographique qui irrigue la littérature puis revient au cinéma, par le biais des dialogues, est déjà l'un des premiers plaisirs d' Entre les murs. Le deuxième est de constater que Laurent Cantet a retrouvé sa caméra fluide qui donnait tout le prix de son court Tous à la manif (1994) et qu'il paraissait un peu avoir mise de côté dans ses précédents longs. Grand portaitriste de groupe qui envoie balader l'artificialité des films choraux, Laurent Cantet dresse le tableau fuyant et diffracté d'une communauté qui pourrait bien être la France de 2008 (qui aurait autant de mauvaise conscience que l'Autriche de TB ?). Certes, on tient là le film qui, dans quelques mois, fera la une et les pages dossiers de Télérama et du Nouvel Obs (du genre "comment va l'école?"), mais ce n'est pas ça qui gâchera notre plaisir.
C'est sur cette dernière projection que je quitte le festival. A noter que cette dernière réussite vient compléter le tableau assez glorieux des mixtes documentaire-fiction (après Blind Love de Juraj Lehotsky, Ce cher mois d'août de Miguel Gomes et Tulpan de Sergey Dvorstevoy). 24 City venant compléter cette tendance, mais de manière nettement moins imaginative. Cela dit, parce que Pékin, parce que 2008, parce que droits de l'homme, parce que badge des athlètes, parce que le réalisateur est l'un des premiers de la classe des grands festivals et parce que L'Oréal a des usines en Chine, il y a fort à parier qu'il sera au palmarès.