#TAFTA #CETA #traitétransatlantique
2 novembre 2014
Monsieur le président de la République,
vous êtes en ce moment en visite officielle au Canada. Nous ne doutons pas que, dans la perspective de la conférence climat que la France accueillera en 2015, vous aborderez avec le Premier ministre Harper les enjeux climatiques vis-à-vis desquels il affiche le plus grand mépris et la plus totale irresponsabilité. Mais nous souhaitons ici vous interpeller sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA). Alors que la Commission européenne et le gouvernement canadien ont annoncé, fin septembre, la conclusion de cinq années de négociations, se pose dorénavant la validation- ou non – du résultat obtenu, par le Conseil européen, le Parlement européen et très probablement les Parlements nationaux.
Avant d’engager un tel processus de ratification, il conviendrait d’attendre. Trop de questions restent sans réponses convaincantes et préoccupent les citoyens européens. Car à la différence des accords de libre-échange classiques, qui portent sur la réduction des droits de douane, les négociations commerciales trans-atlantiques visent d’abord à «harmoniser» les règles et normes qui encadrent nos économies et nos sociétés, à en limiter l’impact sur les flux commerciaux. Ces «obstacles au commerce» sont pourtant des choix de société, démocratiquement construits, qui touchent à la protection de l’environnement, de la santé, des travailleurs et des consommateurs, aux libertés et aux droits humains fondamentaux. Alimentation, protection des données personnelles, services publics, agriculture, marchés publics, énergie, propriété intellectuelle, principe de précaution, capacité des institutions politiques à agir… tout est sur la table des négociations !
Côté canadien, de nombreuses voix critiquent l’accord car il remet en cause la politique de santé en faveur des médicaments génériques, favorise la libéralisation des services financiers alors que la régulation canadienne avait permis d’échapper au tsunami de 2008, ou encore interdit la possibilité de valoriser les origines locales dans les marchés publics.
Côté européen, on craint l’impact sur l’élevage des nouveaux quotas de viande canadienne ? Quel rôle jouera le nouveau cadre de coopération réglementaire UE-Canada censé superviser l’harmonisation des règles ? Quid du principe de précaution contesté outre-Atlantique ? Comment se traduira l’objectif de limiter l’impact commercial des législations européennes sur les OGM ? Que restera-t-il de la capacité des collectivités, des Etats et de l’Union à réguler librement, potentiellement au détriment de la libre circulation des biens, des services et des investissements ? Il n’aura pas fallu plus de trois semaines après la fin des négociations pour que la Commission européenne revienne sur son projet d’interdiction des importations de carburants canadiens alors qu’ils sont issus, pour partie, des très polluants sables bitumineux.
Nous dénonçons, en outre, l’existence dans l’accord avec le Canada, comme dans les négociations avec les États-Unis, du fameux mécanisme d’arbitrage investisseur-État, dit ISDS. Ce dispositif instaure une nouvelle juridiction supranationale, privée, qui contourne les juridictions nationales. Toute entreprise peut y contester la décision d’une collectivité locale, d’un État ou de l’UE, si elle considère que cette décision remet en cause ses bénéfices, et réclamer des centaines de millions d’euros de dédommagement. Les accords transatlantiques donnent ainsi aux compagnies un pouvoir supérieur à celui des citoyens. Ils conditionnent au bon vouloir des multinationales notre capacité à décider de la société que nous voulons, que nos choix portent sur le droit du travail, sur l’éducation, l’environnement, les services publics ou la finance.
Ainsi, Philip Morris attaque-t-il la nouvelle législation antitabac du gouvernement australien et lui demande des milliards de dollars de dédommagement ! Ce mécanisme ISDS très développé en Amérique du Nord permet encore à l’entreprise américaine Lone Pine d’attaquer le gouvernement québécois pour son moratoire sur l’exploitation de gaz de schiste. Il est une machine infernale à construire de l’impuissance politique. Alors que partout, notamment en Allemagne, ce dispositif suscite critique et contestation, nous constatons la frilosité du gouvernement français. En 1998, pour ces raisons, Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait mis fin à la négociation de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI).
Monsieur le Président,il est temps de corriger certaines dérives des politiques nationales et européennes, comme il est urgent de tirer les leçons des dernières séquences électorales. Les citoyens européens exigent plus de démocratie. Mais malgré les demandes répétées du Parlement européen en matière de transparence, les dirigeants européens continuent d’organiser une opacité inacceptable des négociations commerciales. Les citoyens attendent de l’Europe d’être mieux protégés, en matière sociale, de santé, d’environnement ou de services publics. Ils constatent que leurs dirigeants les exposent toujours plus aux dérives de la mondialisation, et font primer les intérêts de quelques acteurs privés globaux sur l’intérêt général.Enfin, les Européens attendent de l’Europe qu’elle soit plus efficace. Mais celle-ci ne sera en mesure de contribuer à la régulation de la mondialisation qu’à la seule condition de se doter de politiques communes, économique, fiscale, industrielle, énergétique et bien entendu sociale. Faute de cette nouvelle étape d’intégration qui laisse l’Europe trop souvent divisée sur la scène internationale, ces accords de libre-échange déboucheront sur une dilution du projet européen, comme de notre capacité à en construire un spécifique, articulant de façon équilibrée les quatre piliers que sont la démocratie, le social, l’environnement et l’économie. La grande lessiveuse des négociations transatlantiques ne peut constituer l’horizon politique qui redonnera de la couleur à l’Europe.
Par Yannick Jadot (EE-LV) et Emmanuel Maurel (PS) Eurodéputés, membres de la commission du commerce international
Vous pouvez également retrouver cette tribune sur le site de Libération.