27 octobre 2014 sur http://www.lesepicesdeclaude.fr/
" Dans la vie d'un membre de Slow Food, il est un moment particulièrement important et intense : Terra Madre et le salon du gout à Turin. Turin dans le Piémont italien, fief de Slow Food dont le siège et l'université sont à Bra. Tous les deux ans la Grand-messe rassemble plusieurs dizaines de milliers de visiteurs autour de 1000 exposants venus de 130 pays.Pour le Schnaeckele, cette 10e édition est d'autant plus importante que nous y présentons la Poule d'Alsace en dégustation dans le cadre de l'inscription de la poule dans le programme des Sentinelles.
En route pour Turin…
Dans une voiture, vous mettez un Chef (Clément Fleck), un éleveur de poules d'Alsace (Gilbert Schmitt) et une adoratrice du goût, vous fermez les portes, allumez le contact et lancez le moteur pour huit heures de route (même si le GPS en annonce six !). Devinez le sujet de discussion à peine la frontière française passée ? … manger ! Nous refaisons le monde autour de quelques plats oubliés : andouillettes, pieds de porc et autre tête de veau. Et oui, les produits oubliés, vaste débat et l'une des préoccupations premières de Slow Food avec l'Arche du goût – sorte de catalogue vivant de l'immense patrimoine mondial de la biodiversité au risque de disparition certaine – et les Sentinelles – produits en voie d'extinction identifiés et que Slow Food accompagne dans sa remise en production et commercialisation. Nos conversations ont rapidement convergé vers la nécessité de préserver cette biodiversité ainsi que nos traditions culinaires, même si Clément y ajoutera pour sûr sa touche de créativité !
Terra Madre : toucher du doigt cette biodiversité donne de l'espoir
Huit heures plus tard, virgule, nous arrivons à Turin et son parc des expositions, ses parkings, ses guichets d'enregistrement… L'urgence est de déposer dans les frigos toute la marchandise pour la cuisine des Chefs. Nous commençons donc par les coulisses de Terra Madre. Un énorme économat rassemble les cartons rangés par pays d'origine : Maroc, Mexique, Ouzbékistan, Philippines, Sao Tomé… le voyage s'annonce exotique. Un petit tour dans les cuisines pour visualiser les lieux puis nous profitons des deux heures qu'il nous reste pour partir à la découverte de cet immense salon. Il est divisé en deux parties distinctes. Terra Madre rassemble les "communautés de la terre" avec en son centre une magnifique Arche de Noé du goût. 600 m² où près de 1.000 graines, fruits, légumes, légumineuses, pains, confiseries et d’autres produits alimentaires de 107 nations sont présentés (plus les produits frais et carnés exposés en photos, dont notre poule noire). Tout autour sont répartis les stands des pays et les producteurs présentant leurs produits Sentinelles. Le passage vers l'autre partie du salon comprend un concentré d'offres de food street à l'italienne et une oenoteca où l'on déguste un nombre improbable de vins de toutes les régions d'Italie, un verre à la main. Puis on arrive sur le "marché italien" : trois halls dans lesquels sont répartis de producteurs, transformateurs et vendeurs de produits par région. Nous y goutons des huiles d'olives, des pâtes de pistaches de Bronte, des noisettes du Piemont sous toutes ses formes, des déclinaisons de produits à base de réglisse, des herbes aromatiques semi-séchées aux parfums puissants, des tomates conservées en grappe dans les greniers, une spécialité de Naples… sucré, salé, nos palais commencent à saturer. Il est temps de reprendre la voiture pour Fossano.
Benvenuti !
Autre temps fort, les quelques 5 000 représentants des communautés de la terre sont hébergés par les habitants de villes environnantes, bénévoles. La délégation française et américaine (~60 pers) est accueillie par la ville de Fossano qui en fait une actualité forte sur son site. Les familles nous attendent place du marché pour nous ouvrir leur maison et nous faire partager leurs diners. Le premier soir, le traditionnel Bollito di vitelo piemontese nous est servi. Il s'agit d'un pot au feu veau où l'on retrouve la langue, la tête, et tous ces morceaux qui fondent dans la bouche après quelques heures de cuisson. Ce pot au feu servi avec son bouillon, ses crudités, sa sauce verte (persil, anchois, pignon, huile d'olive) et rouge à la tomate. Le plat ne pouvait pas mieux faire écho à notre conversation en voiture ! Les familles Barberis qui nous accueillent sont des filles de boucher, passionné de poules. Jolie coïncidence. La visite de la boucherie s'impose, on y déguste une autre spécialité : la saucisse de veau cru. Il faut une bonne dose de confiance pour la manger, c'est très fin !!Les échanges se font dans une langue universelle qui se créée de toute pièce composée de gestes, de mimiques, d'italien, de français et d'anglais. On se comprend, on partage et on rit. Voilà bien l'essentiel !
Clément Fleck, après une visite à la ferme Schmitt pour découvrir l'élevage de poules noires d'Alsace de Gilbert, a imaginé présenter la poule en deux préparations tant les parties de cette volaille ont un gout et une texture différentes : le suprême en croute d'herbes, la cuisse en ballotine farcie d'une duxelles de champignons et d'abattis sur un lit de risotto de petit épeautre de Haute Provence (autre Sentinelle française), sauce suprême. Cent portions, zéro gâchis, objectif atteint.
Pendant que nous sommes au service, en cuisine les plats suivants sont en cours d'élaboration. Un Chef islandais prépare de l'agneau fumé aussi fort en odeur, qu'en bouche alors que Joe Barza, Chef libanais, assaisonne un moghrabieh (perles de semoule) d'épices aux parfums et aux saveurs toutes douces. Un Chef indien avec son turban rouge sur la tête, passe faire du repérage pour le lendemain… Chacun goûte les plats de l'autre et échange en toute bonhomie. Cette cuisine voit défiler des associations de couleurs de saveurs et d'odeurs, un peu surréalistes parfois, il faut bien le dire !
Pour le Salon du Gout tu te prépareras…
Tout visiteur doit impérativement préparer son passage à ce salon, entre dégustations, conférences, ateliers du goût, échanges, on pourrait être à plein d'endroits différents à la fois, j'ai compté plus de 60 évènements par jour !
Après ce moment intense, nous choisissons de nous "reposer" en allant écouter une conférence sur l'alimentation dans les écoles. La cantine peut-elle réduire les inégalités en termes de santé et d'éducation en permettant un accès à une nourriture saine et bonne. Alice Walters, vice-présidente de SF international, a présenté le programme de jardins dans les écoles aux USA soutenu par Michèle Obama, Jamie Oliver son action pour changer les repas de cantines en Angleterre. J'y ai découvert un Chef au discours et à l'engagement politique très fort avec son appel au "Food revolution day" le 16 mai. Impressed ! Les groopies ont assailli Jamie, laissant Carlo Petrini vivre un petit moment de solitude…
La chaleur et la convivialité italiennes ne sont pas de vains mots
Le samedi soir, la ville de Fossano remercie les familles d'accueil autour d'un dîner avec toute la délégation française et américaine. 400 personnes installées dans une salle de sport autour de grandes tables pour un dîner comme seuls les italiens savent encore le faire. Pasta, primi, secondi e tutti cuanti… Des spécialités locales préparées avec des produits et des producteurs sélectionnés par Slow Food. Un régal. Bonne humeur, chansons populaires et vins, le cocktail idéal pour ne plus avoir trop de voix au réveil le lendemain matin !!
Ces quatre jours partagés avec Gilbert, Clément et nos familles d'accueil ont été riches, intenses et fortes en émotions. J'ai adoré ! Vivement dans deux ans pour revenir avec la poule noire d'Alsace parmi les exposants de Sentinelles.
Du beau, du bon, du bonheur
A côté du parc des expositions se trouve le concept store "Eataly", absolument grandiose. Que des produits italiens et à chaque rayon son espace restauration. Avec le rayon pâtes, riz, boulangerie, le comptoir des pizza, facaccia et autres risotto et pasta. Au rayon liquides, bar à vin et à bière. Au rayon cafés et thés, le salon de thé. Au rayon boucherie, le plats de viandes idem à la poissonnerie… Un monde fou qui fait ses courses et mange en même temps en famille ou entre amis.Qu'il s'agisse de ce concept store ou du salon du gout, l'Italie sait mettre son patrimoine culinaire à l'honneur et lui donner toutes ses lettres de noblesse. Je trouve cela fabuleux, ils ont de magnifiques produits et traditions et savent en être fiers. En France, nous avons aussi une belle diversité et une richesse dans notre culture alimentaire et nous devrions les défendre avec la même ferveur avant que de ne passer aux oubliettes, avalées par l'homogénéisation et l'universalisation des goûts et des produits qui ne méritent pas de l'être. Prenons-en de la graine ! "
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