(BD) Jérusalem d'Afrique

Par Nicolas S.
Cela fait un bout de temps que je vous ai présenté les quatre premiers tomes du désormais célèbre Chat du Rabbin de Joann SFAR. Il a fallu que je les relise pour aborder ce cinquième tome : "Jérusalem d'Afrique".
Et cela m'a beaucoup plu ! Le premier tome est toujours aussi original et enchanteur, la cohésion de l'ensemble est bien là ; même le troisième tome, qui m'avait paru un peu digressif il y a deux ans, m'a complètement captivé. C'est très jouissif de reprendre ce cycle à son début et de refaire l'histoire, et le dessin de Sfar tout comme sa façon de raconter les histoires permettent de multiples lectures qui ne sont pas toutes les mêmes.
Le tome 5 marque l'arrivée d'un nouveau personnage : un jeune peintre russe de confession juive débarqué dans l'action par le moyen le plus artificiel qui soit : il est livré aux lecteurs dans une malle de livres religieux en transit vers l'Afrique noire. Son arrivée a deux fonctions évidentes dans l'action : tout d'abord renouveler la galerie des personnages après le départ du Malka des lions, qui était là depuis le tome 2. Ensuite venir concurrencer le mari de Zlabya, qui s'il n'est pas le prince charmant doit forcément nous devenir antipathique ; c'est chose faite avec ce tome.
"Jérusalem d'Afrique" place plus que jamais le cycle du Chat sous le signe de la tolérance multi-confessionnelle. On se souvient qu'à la fin du "Le Paradis terrestre" (tome 4), l'antisémitisme était dénoncé par Sfar à travers l'abbé Lambert, maire d'Oran. Le propos politique s'enracine et se développe dans ce cinquième tome pour condamner en particulier l'intégrisme des vieux (le kabbaliste aveugle, qui était le rabbin du rabbin dans le premier tome) comme des jeunes (le "Professeur" Soliman dans le désert), les lectures tendancieuses du texte, l'absence de dialogue entre les religions. Plus généralement, c'est toute forme de racisme et de haine qui est attaquée, ne serait-ce qu'à travers la préface de Philippe Val et l'avant-propos de l'auteur.
L'histoire prend son temps, parce que c'est l'histoire d'une quête originelle : celle d'une ville mythologique d'Afrique noire, une cité impossible qui s'appellerait Jérusalem et où vivrait un peuple noir de peau, « Des juifs qui n'ont jamais quitté la terre de leurs ancêtres. Des gens heureux, équilibrés, bien dans leur peau. » Au lieu des 48 pages habituelles, "Jérusalem d'Afrique" en compte 84, comme si ce rêve éveillé d'une société parfaite exigeait nécessairement de sortir des carcans imposés, de se prolonger au-delà du prévisible. De fait, le périple du rabbin et de ses camarades du désert à bord de leur mythique autochenille Citroën est débordant et totalement hors du temps. Les 84 pages ne sont rien et l'intérêt ne se relâche à aucun moment. Seul bémol : Zlabya fait de nouveau tapisserie ; les garçons parlent de religion et les filles rêvent d'amour, définitivement.
A suivre dans un tome 6, "Tu n'auras pas d'autre Dieu que moi", qui se fait attendre depuis deux ans, presque jour pour jour. Allez allez, Monsieur Sfar, encore un effort !
84 pages, coll. Poisson Pilote (Dargaud) 2006 - 12,50 €