La littérature, c’est un voyage. Dans l’univers d’un voisin, d’un collègue de promotion, d’un romancier. Ce dernier nous fait visiter à son gré des époques, des lieux souvent exotiques pour le lecteur lambda. Gaëlle Josse, romancière française nous invite dans un lieu que beaucoup de touristes ont visité en passant à New York : Ellis Island.
Au travers du roman intitulé Le dernier gardien d’Ellis Island, Gaëlle Josse revient sur l’histoire de cette île au large de New York où débarquaient de nombreux migrants venus d’Europe et d’ailleurs. John Mitchell est le dernier gardien de ce temple de l’immigration qui a fermé ses portes en Novembre 1954. Personnage austère qui a fait toute sa carrière à Ellis Island, gravissant tous les échelons de cette structure fédérale, il narre sa vie de gardien et de fonctionnaire sur cette île au seuil des Etats-Unis, voisine de celle de la statue de la Liberté. Alors qu'il s'apprète à quitter Ellis Island où il a passé la majeure partie de sa vie, John Mitchell se remémore son séjour, son épouse, infirmière, trop tôt disparue dans l'exercice de ses fonctions à Ellis Island. Il évoque leur vie commune dans la promiscuité pesante du site. Il parle du milieu de la communauté dont il est issu. Il dresse le portrait de ses collaborateurs, ses rivaux. Certains très teigneux, furent zélés dans cette tâche consister à séparer le bon grain de l'ivraie, trop appliqués à être le dernier filtre de cette immigration que l'Amérique se choisit saine, expurgée de toute forme de pensée contestataire et révolutionnaire.
Pourquoi ces hommes et ces femmes partent-ils? Pourquoi quittent-ils leur pays d'origine? Que représente les Etats-Unis d'Amérique dans l'imaginaire de ces migrants italiens, norvégiens ou irlandais? La figure de Nella, une jeune femme d'origine italienne permet de pénétrer ces questions de manière intéressante, elle qui débarque à Ellis Island, avec son frère, déficient mental. Le lien brutal qui s'établit entre Nella et John Mitchell, directeur du centre d'Ellis Island
Il s'agit d'un roman total sur la question des migrations. Ici, certes, on est dans la première partie du siècle dernier. L'Amérique est la terre de tous les désirs, de tous les possibles, de toutes les conquêtes, de la liberté. Mais, même si cela n'est jamais évoqué, il est très difficile de ne pas penser ces mouvements migratoires de l'Europe vers les Etats-Unis par paquebot et dresser un parallèle avec les pirogues et les bateaux de fortune qui tentent d'atteindre Lampedusa ou la Sicile, venus des côtes africaines. La description de l'insalubrité et du caractère pénible du voyage pour les prolétaires dans les cales de navire pourrait renvoyer à l'enfer de Dante. L'anarchiste Lazzarini, un personnage saillant de Gaëlle Josse, en parle avec une émotion certaine, bouleversante.
Mais le plus intéressant dans ce roman réside dans les lignes de faille du personnage droit et froid qu'incarne John Mitchell. Celui qui représente le droit d'entrée sur cette terre ouverte, ce lieu d'accueuil que représentent les Etats-Unis. La rencontre avec une femme, Nella, va faire exploser tout cela. Les abus de pouvoir proposés au lecteur pose la question de l'accueil. Comment les migrants sont-ils reçus? A quel type d'allégeance, doivent-ils se soumettre? Le prix à payer par delà un voyage périlleux, quel est-il pour un prolétaire, un paysan qui abandonne une terre stérile, pour une fratrie qui fuit l'intolérance? C'est peut-être toute l'intelligence de ce roman, qui en explorant la psychologie rustre du dernier gardien d'Ellis Island ne s'empêche pas de questionner les valeurs violées par ces terres de la nouvelle chance...
On peut toutefois regretter que l'auteur se disperse. Du moins dans le traitement de ces personnages. Ils apparaissent et disparaissent, laissant le lecteur sur une soif inextinguible. Car ces histoires de départ, d'arrivée, de traversée, d'accueil, de solitude, si elles donnent une trame intéressante, elles sont particulièrement inabouties quand on les isole. Je garderai de ce roman l'atmosphère qui a pu régner à Ellis Island. Cette vision de l'immigration qu'on se choisit et celle que l'on refoule sans le moindre état d'âme quand elle n'a pas la couleur des idéologies que l'on prône. Y-a-t-il plus grande preuve d'intolérance? John Mitchell en pleure. Mais il est trop tard.
Lampedusa nous rappelle que la tragédie se poursuit, avec d'autres Mitchell.
Gaëlle Josse, Le dernier gardien d'Ellis Island
Editions Noir sur Blanc, Collection Notabilia, 167 pages, Rentrée littéraire 2014