Il est encore dans le ventre de sa mère, mais déjà, il est bien conscient de qui il est. Le premier bébé issu du programme de sélection des naissances imaginé par le Führer. Le produit d’une belle Fraü et d’un solide soldat du Reich. A peine est-il né qu’on procède sur lui à toutes sortes de mesures: longueur des bras, circonférence de la tête, et même la nuance exacte du bleu de ses yeux. Il faut qu’il soit l’archétype de l’aryen parfait, avec sa dureté, sa puissance, sa résistance, sa propension au pouvoir. Et parfait, il l’est, au point que le Fürher lui-même devient son parrain lors du baptême où il reçoit le nom de Konrad. Même si sa mère aurait préféré le doux nom de Max. Mais sa mère, il en est séparé très vite: pas de place pour le sentiment quand on veut créer l’être parfait.
Ce roman m’a fait de l’oeil à sa sortie et il figure aussi parmi les romans préférés du club de lecture de mon collège. Autant vous dire que je ne suis pas la seule à l’avoir remarqué. Le concept est vraiment intéressant et à plus d’un angle. D’abord, il propose de traiter la période nazie en vous proposant d’adopter le point de vue d’un nazi convaincu, d’être à l’intérieur du système. Habilement, le jeune protagoniste démontre qu’il n’y a rien d’inhumain à cette recherche de perfection et qu’il est la première pierre d’un grand plan de sauvegarde de l’humanité. Il ne peut pourtant nous révulser complètement puisqu’il est une création du système nazi et n’est pas responsable. C’est là que le point de vue est d’autant plus pervers, car il ne s’agit que d’un bébé, la créature la plus innocente qui soit, ici pervertie avant même sa naissance. Il fait donc froid dans le dos tout autant qu’il inspire la pitié et jamais je n’ai pu, pendant ma lecture, démêler ces deux impressions.
De par sa nature d’être exceptionnel, il nous permet d’assister à tous les stratagèmes nazis qui touchent les enfants: expériences sur des êtres vivants, sélections des naissance, généralisation des viols au détriment de l’amour, infiltration dans des camp de polonais pour aryaniser des éléments récupérables, le tout avec la sensation d’impunité de celui qui sait appartenir légitimement à l’élite et donc être dans son bon droit. La précision diabolique du dispositif est rendue plus effarante encore grâce à tout le double langage, les mots de codes utilisés pour désigner ce qu’il advient réellement des éléments indésirables qui sont “réinstallés”. Le personnage est rendu plus intéressant encore par son attachement incompréhensible à un jeune juif polonais grimé en aryen mais bien décidé à venger son peuple.
Le seul bémol que j’aurais à apporter est le rythme du livre, qui suit l’enfance et l’adolescence du narrateur. Très linéaire, il souffre parfois de quelques longueurs, notamment vers la fin où, à la fin de la guerre, le monde de Konrad-Max perd son sens et où il est difficile de voir où il veut en venir.
La note de Mélu:
A découvrir!
Un mot sur l’auteur: Sarah Cohen-Scali (née en 1958) est une auteure française, qui écrit beaucoup pour la jeunesse.