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Sheldon Horowitz,
new-yorkais, juif et veuf de 82 ans, s’est installé depuis peu en Norvège, sur
l’insistance de sa petite-fille Rhea : « Je
ne veux pas que tu meures seul », lui a-t-elle dit, en même temps qu’elle
lui apprenait sa grossesse. Il ne se sent pas chez lui à Oslo et vit surtout
dans le passé, en particulier celui des trois guerres qui le hantent même s’il
n’en a fait qu’une.
Il était trop jeune pour
participer à la Seconde Guerre mondiale. Il aurait voulu, pourtant, entrer dans
la lutte contre ceux qui ont tué tant de Juifs. Et, si quelque chose le
réconcilie avec la Norvège, c’est d’apprendre comment, en 1940, quelques
soldats de ce pays l’ont défendu contre l’attaque d’un croiseur allemand. Deux
coups de canon ont suffi pour couler le navire. Les noms des canons, Moïse et
Aaron, font aux oreilles de Sheldon une musique d’autant plus douce qu’ils ont
été repris par Lars, le mari de Rhea, pour baptiser ses deux fusils.
Sheldon n’a en revanche
pas hésité à partir pour la Corée où une nouvelle guerre menaçait la
civilisation. Sur son rôle, les avis divergent. Son épouse croyait savoir qu’il
était dans un bureau. Tandis que lui se souvient des moments où, sniper, il a
abattu une dizaine d’ennemis, craignant depuis cette époque d’être pourchassé
par les Nord-Coréens désireux de venger leurs morts. Cette version est
considérée par son entourage comme un signe de démence sénile.
La troisième guerre de
Sheldon a été, par procuration celle du Vietnam. Il rêve sans cesse des
circonstances dans lesquelles son fils a été tué là-bas et se voit en
photographe de Reuters accompagnant l’opération fatale.
Trois guerres, ce devrait
être suffisant pour un homme. Mais il ne choisit pas d’en rencontrer une
nouvelle quand il réagit à l’instinct pour cacher un enfant de sept ans dont la
mère serbe a été tuée presque devant lui par des Kosovars. Il s’enfuit, pour le
sauver, avec un gamin qui ne comprend rien de ce qu’il lui dit. Une complicité
s’installe dans l’urgence entre le vieil homme et l’enfant, celui-ci se
laissant conduire par le premier dont les réflexes de soldat se sont réveillés.
Aux dépens d’une enveloppe corporelle dont les performances sont très éloignées
de celles de sa jeunesse…
Sur le rythme d’un thriller où règnent
l’instinct de survie et le sens moral opposés à un conflit transporté de
l’ex-Yougoslavie jusqu’en Norvège, Derek B. Miller a écrit avec Dans la peau de Sheldon Horowitz un premier roman
saisissant. On ne distingue pas toujours ce qui, chez Sheldon Horowitz, relève
de la réalité ou de cette démence sénile dont, au fond, il ne souffre peut-être
pas du tout. Les efforts nécessaires au lecteur pour effectuer sans cesse la
mise au point fournissent une profondeur supplémentaire au livre.