Selon le Dr Bouamrane Chikh, « on trouve une curiosité plus grande à l'égard d'une civilisation proche et mal connue. Si l'on publie beaucoup sur l'Iran depuis sa révolution, sur l'Asie, l'Orient ou l'Afrique, les analyses sont souvent subjectives, fragmentaires ou superficielles. Les tendances idéologiques et le paternalisme européen dominent dans beaucoup de cas et expliquent la réserve, voire l'hostilité des savants et des fidèles de l’Islam pour lesquels les orientalistes et les islamologues constituent en général des propagandistes ou des complices de l'ordre colonial ou néocolonial. Il reste beaucoup à faire pour établir un véritable dialogue et un réel climat de confiance. Les ouvrages des savants que nous avons cités, malgré leur petit nombre, peuvent y apporter une contribution non négligeable. »
Une perpétuation de l'ordre colonial en Occident ?
Lisons.
Michel Peyret
Le Prophète de l'Islam d'après quelques orientalistes
Par le Dr Bouamrane Chikh
El Moudjahid – 2 juillet 2014
Il existe de nombreuses études sur le Prophète de l'lslam que l'on doit à des orientalistes occidentaux, On passera en revue quelques-uns d'entre eux, faute de pouvoir les mentionner tous, en essayant d'analyser brièvement les principales tendances et les œuvres les plus marquantes. Il faudra distinguer les adversaires déterminés du Prophète et les savants plus respectueux des faits, même s'ils les interprètent souvent en fonction de leurs préoccupations personnelles.
Les adversaires du Prophète
Les adversaires du Prophète sont principalement des hommes d'Eglise et des orientalistes plus ou moins imprégnés de l'idéologie coloniale. Parmi les premiers, Jean Damascène (m. en 749) considère l'Islam comme une «hérésie chrétienne». Ne connaissant guère le Prophète, il conteste sa mission et sa sincérité. Selon un historien récent, Jean Damascène combine « la passion et la mauvaise foi ». En fait, il représente « le préjugé chrétien face à l'Islam» et son œuvre constitue l'une des sources de ce préjugé tenace depuis des siècles. Par la suite, les Croisades renforcent les polémiques, même si les guerres permettent parfois de mieux découvrir l'adversaire
Les missionnaires de l'Occident deviennent de plus en plus nombreux et veulent découvrir les territoires musulmans. Raymond Lullee (m. en 1316), franciscain de Maïorque, se rend au Maghreb, en particulier à Tunis et à Béjaïa dans le but de convertir les infidèles et s'obstine malgré ses échecs répétés. Il a l'avantage sur Jean Damascène de mieux connaître l'Islam et sa culture ; pratiquant la langue arabe, il compose plusieurs traités où il expose le point de vue islamique avec moins de partialité.
Cette tradition missionnaire se poursuit pendant tout le Moyen Age et les siècles postérieurs jusqu'à l'expansion coloniale de l'Europe aux 19e et 20e siècles. Il suffit de citer deux contemporains : Henri Lammens, jésuite belge dont l'œuvre publiée à Beyrouth est toute entière hostile à l 'Islam et à son fondateur ; G. Théry, dominicain français, auteur d'un pamphlet virulent contre le Prophète de l'lslam, publié sous le pseudonyme de Hanna Zakarias ; son ordre est obligé de le désavouer. Certains missionnaires protestants ne sont guère plus objectifs et leur action n'est pas moins hostile à l'Islam en Asie et en Afrique.
Les savants plus respectueux des faits
Parallèlement à cette tendance hostile, on trouve une autre tendance plus compréhensive, celle des savants qui respectent davantage les faits et s'efforcent d'en rendre compte aussi objectivement que possible. Pour nous en tenir aux plus importants, nous citerons quatre auteurs occidentaux qui ont publié une biographie du Prophète dans les principales langues européennes.
- L'orientaliste finlandais H.Holma veut s'écarter de tout « préjugé théologique, politique ou racial ». Il reconnaît l'influence du Prophète dans tous les domaines, religieux, politiques et culturels : «Tout le monde spirituel de l'Islam et sa conception générale de la vie portent encore de nos jours le sceau indélébile de sa forte personnalité ».
- Le savant suédois Tor Andrae, professeur protestant à l'Université d'Upsala, admet l'honnêteté et la sincérité du Prophète et remarque que rien ne permet d'en douter. Il ne se contente plus de tout expliquer par le milieu historique et met plutôt en plein relief la personnalité du Prophète.
- Le savant anglais Montgomery Watt a résumé les résultats de ses recherches dans un ouvrage remarquable paru en 1962. Il se propose de décrire les faits et donne son point de vue, en tant que pasteur, au terme de l'étude. Pour lui et à la suite de son compatriote Carlyle, la sincérité du Prophète est maintenant admise par la plupart des savants. Il observe que «les contemporains de Mahomet le considéraient comme un homme vertueux et droit et l'Histoire ; a reconnu en lui un réformateur des valeurs morales et sociales».
- Maxime Rodinson, savant français, connu pour ses idées marxistes, s'appuie davantage sur l'histoire sociale et politique et tente d'esquisser un portrait impartial du Prophète, même s'il admet que l'objectivité totale en cette matière est impossible. Il s'attache surtout à l'homme dont il analyse le comportement et les actes. Pour lui, le Prophète «donnait en général l'impression d'un homme sage, pondéré, équilibré. Toute sa vie nous le voyons réfléchir avant de prendre une décision, mener ses affaires publiques et privées d'une façon habile».
Quelques éléments nouveaux se dessinent aujourd'hui. Si l'Occident demeure encore ignorant et hostile à l’Islam, un effort de compréhension se manifeste ici ou là. Les Eglises officielles abandonnent peu à peu leurs préjugés séculaires. Le concile de Vatican II (I965) indique une évolution de l'Eglise catholique : elle regarde «avec estime les musulmans qui adorent Dieu, vivant et subsistant... Si au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le concile les exhorte tous à oublier le passé...» Le conseil œcuménique des églises protestantes témoigne aussi d'une égale ouverture à l'égard de l'Islam. Mais le dialogue sérieux en est seulement à ses débuts.
L'ouvrage du professeur R. Arnaldez se situe dans cette perspective de respect et de compréhension. Dans son introduction, il constate que « la foi musulmane est une réalité nouvelle qui se greffe sur la réalité fondamentale Mahomet-Prophète ». En s'appuyant sur des textes choisis, il corrige certains préjugés qui circulent toujours en Occident. Concernant le Prophète et son œuvre, il note que « dès le début de sa mission, (il) a été totalement sous l'emprise de Dieu, il s'est lui-même conçu comme n 'existant et n 'agissant que sous cette emprise ».
Malgré ces efforts de compréhension, il ne faut pas se dissimuler que l'Occidental moyen reste nourri de préjugés séculaires hostiles à l'Islam et à son Prophète. Ces savants ont eu le mérite de mieux faire connaître la personnalité du Prophète et son message. L'intérêt relatif de l'Occident pour l'Islam, surtout après la Seconde Guerre mondiale et l'indépendance de nombreux pays musulmans est encore trop ambigu.
On y trouve une curiosité plus grande à l'égard d'une civilisation proche et mal connue. Si l'on publie beaucoup sur l'Iran depuis sa révolution, sur l'Asie, l'Orient ou l'Afrique, les analyses sont souvent subjectives, fragmentaires ou superficielles. Les tendances idéologiques et le paternalisme européen dominent dans beaucoup de cas et expliquent la réserve, voire l'hostilité des savants et des fidèles de l’Islam pour lesquels les orientalistes et les islamologues constituent en général des propagandistes ou des complices de l'ordre colonial ou néocolonial. Il reste beaucoup à faire pour établir un véritable dialogue et un réel climat de confiance. Les ouvrages des savants que nous avons cités, malgré leur petit nombre, peuvent y apporter une contribution non négligeable.
(Source : Etudes islamiques n°11).