L'île du point Nemo de Jean-Marie Blas de Roblès

Par Sylvie

LITTERATURE FRANCAISE


Editions Zulma, 2014

Autant le dire tout de suite : cette critique fera pâle figure devant l'original ! On ne peut rester que pantois devant un tel déploiement d'imagination, de fantaisies, de baroque. Jean-Marie Blas de Roblès, que j'avais découvert avec le remarquable recueil de nouvelles  La mémoire du riz, signe ici le plus rocambolesque des romans d'aventure où s'enchassent de multiples intrigues secondaires. Un  tourbillon d'images, d'histoires, de personnages et surtout un magnifique hommage aux grandes heures de la littérature : Dumas, Conan Doyle, Jules Verne, Herman Melville, Agatha Christie sans oublier les Mille et une nuits....Alors acceptez de vous perdre dans ces dédades labyrinthiques où l'objet livre et la pratique de la lecture ont une place centrale...

Trois intrigues principales où les mises en abyme abondent...

La première, la plus importante : 3 pieds droits sont retrouvés échoués sur le rivage, avec des chaussures de pointures différentes. Elle portent toute la marque Anaké, marque qui n'existe pas...sauf pour désigner un diamant très cher d'un lord écossais. Pour percer l'énigme de ce diamant et de ces trois pieds, Martial Canterel, un dandy faisant penser à Des Esseintes de Huysmans. Il vient d'être dérangé dans sa magnifique reconstitution de la Bataille de Gaugamèles par John Shylock Holmes, l'enquêteur bien sûr mais pas le vrai, juste un amateur de whisky qui travaille au service des restitutions chez Christie's...Ce dernier l'embarque pour l'Ecosse au château de Lady McRae, qui vient de se faire dérober son diamant. Les 3 compères, accompagnés de leurs fidèles serviteurs, partent alors retrouver ce cher diamant qui les mènera de Paris à Londres puis de Moscou à Pékin jusqu'au bout du Pacifique, sur l'île la plus éloignée de toute habitation, l'Ile du Point Némo.

Deuxième intrigue, sans doute la plus belle et la plus classique. Dans une grotte au fin fond du Périgord Noir, Damien, gérant d'une fabrique de cigares, est au chevet de Dulcie, sa dulcinée caribéenne, qui lui a appris la pratique de la lecture à voix haute, héritée des usines de Cuba et de Saint-Domingue. Ainsi, au 19e siècle, est née cette tradition dans les fabriques de tabac afin d'éduquer les masses. Tradition bien réelle ! Voir l'article http://www.cubania.com/post/cigare-lecteurs-havanes/ . Dulcie est tombée dans le coma. Alors, pour la réveiller, il lui lit des histoires à voix haute (belle référence détournée aux Mille et une nuit...).

L'usine à tabac périgourdine vient d'être rachetée par le chinois Monsieur Wang, fabriquant de liseuses électroniques et dictateur lubrique qui filme ses ouvrières. Bientôt, il sera victime de ses agissements....

Enfin, l'histoire d'un couple en panne sexuelle ! il en découle de multiples scènes tout aussi extravagantes les unes que les autres avec un humour ravageur...Amis de l'ordre moral, s'abstenir !

On est à la fois dans un roman steampunk (un roman qui se passe au 19e siècle en faisant référence à des machineries fantastiques qui pourraient se déployer dans le futur) et un récit philosophique et sociétal faisant allusion aux grandes questions  du XXIe siècle (la croissance et l'écologie).

Sous ses allures foutraques et baroques, cet opus est une oeuvre immense sur les enjeux de la lecture, du XIXe siècle à aujourd'hui où le contenant numérique compte plus que le contenu...La lecture, dernière utopie ? Réponse en lisant !