Un film de Laïla Marrakchi (2013 - Maroc) avec Morjana Alaoui, Nadine Labaki, Lubna Azabal, Hiam Abbass, Abdel Bencherif, Omar Sharif, Raouia
Jolie chronique sur le Maroc d'aujourd'hui, entre traditions et modernité.
L'histoire : Tanger. Sofia revient des Etats-Unis, où elle est actrice, pour l'enterrement de son père. Elle retrouve sa mère et ses deux soeurs, restées au pays. L'une est professeur, croyante, traditionnaliste, mais plus par respect familial que par réelle conviction ; la seconde, mère au foyer, s'ennuie, et tente par la chirurgie esthétique, d'attirer le regard de son mari qu'elle trouve plus distant... Sofia est la star de la famille pour les uns, une honte pour les autres. Entre autres pour son père, qui semblait mener son petit monde d'une main de fer...
Mon avis : Une bonne surprise. Je m'attendais à une comédie franchouillarde à la Paris à tout prix ou un festival de clichés comme dans Né quelque part,sur le retour aux sources de nos compatriotes d'origine maghrébine. Rien à voir puisqu'il s'agit bien d'une réalisatrice marocaine, qui parle de son pays. Et j'ai beaucoup aimé cette incursion dans cette famille pétrie de contradictions, entre des coutumes séculaires, encore fortement ancrées, et une occidentalisation marquée, et désirée par les jeunes générations. Est-ce vraiment le but à atteindre ? Toute la question est là, mais le film suggère avec subtilité que c'est juste l'effet de la mondialisation, que la planète ne sera bientôt plus qu'un immense village aux vies plus ou moins similaires, avec quelques spécifités locales, et personne ne peut empêcher ça.
Faut-il l'empêcher d'ailleurs ? Je pense que non. Le métissage des populations, l'égalisation des modes de vie est la clé de l'avenir et de la paix. Sans que je dénigre, bien au contraire, l'attachement aux cultures anciennes, un bonheur inépuisable à admirer, chérir, un puits d'inspiration pour les créateurs.
La mort du père, symbole d'un passé révolu, cristallise le flottement entre deux mondes, l'ancien et le nouveau.
Dans le film, les "modernes" sont l'actrice aux Etats-Unis, américaine par son mariage, et son neveu ado, branché, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à n'importe quel jeune de n'importe quelle métropole dans le monde. Ils mangent des McDo (mais la mamie s'y est mise !), boivent du coca et discutent de sexe en faisant les courses. Pendant les funérailles, les hommes d'un côté, sérieux et imprégnés de religion, et les femmes de l'autres, riant sous leur léger voile en se moquant de la solennité de ces messieurs. Les femmes s'habillent comme nous, têtes nues, et quelques vérités, teintées d'autodérision, passent scène après scène : le port du foulard, c'est pour les plus "spirituelles", et ça ne dérange personne ; l'actrice à Hollywood se fait taquiner parce qu'elle n'a que des rôles de terroriste islamique ; tout le monde respecte les traditions musulmanes pour les grands événements, mais on boit de la bière et du whisky dans la vie...
Les anciens grognent, les vertus d'antan se perdent, les générations du milieu balancent entre envie et respect des coutumes... Un joyeux bazar, frais, joyeux, intelligent. Avec la participation espiègle d'Omar Sharif, en fantôme du papa décédé, qui va de ci de là, commentant l'histoire de la famille.
On n'échappe pas d'ailleurs au "secret de famille" ; il en fallait bien un pour mettre un peu de piment dans tout ça. Un tantinet cliché, mais ça passe très bien
Le petit bémol, c'est que cette famille est un peu trop riche à mon gré, ça fausse la donne. Il est évident que par leur accès facile à la l'éducation en général, et à la culture occidentale en particulier, ces gens-là peuvent avoir de bons métiers, une ouverture d'esprit et la critique fait partie intégrante de leur discours. Une famille très modeste a sûrement beaucoup moins de choix et c'est sur eux que se jettent tels des vautours les grand gourous intégristes...
Mais dans l'ensemble, c'est un film charmant.
Attention ne pas confondre avec un film israélien du même nom, même année, de Yorin Horowitz.
Le groupe britannique The Clash avait écrit une chanson, Rock the Casbah, en 1982, pour railler l'Iran, devenu islamique, qui avait interdit la musique rock. C'est devenu dans l'ensemble du Moyen-Orient une expression répandue pour symboliser la désobéissance citoyenne. Et le film israélien illustre lui aussi les conflits de société locaux. D'où ce même titre...
Les critiques presse sont parfois mitigées, mais jamais méchantes : "Ce beau film au féminin suit les arabesques d’un scénario particulièrement bien écrit. Les actrices (toutes excellentes) dansent ce "Rock the Casbah" sur les notes humoristiques et tragiques des règlements de compte familiaux." (Paris Match) ; "Malgré les maladresses et quelques clichés, on se laisse embarquer dans ce film sincère et lumineux." (Le Journal du Dimanche) "Rock the Casbah" n'a rien d'un "Festen" au Maghreb. Si l'hystérie est de la partie, humour et tendresse insufflent du charme à cette histoire familiale." (Télérama) ; "Dans un Tanger magnifié, les funérailles d'un self-made-man qui a imposé trop longtemps le silence des femmes chez lui. Un film en forme de makroud : délicieux, mais un peu trop nourrissant." (Les Fiches du Cinéma). Le défaut qui revient le plus souvent, c'est "cliché", particulièrement parce que la famille est trop bourgeoise pour incarner la réalité du pays... Même son de cloche chez les spectateurs.