Franck Venaille publie La Bataille des éperons d’or, au Mercure de France.
JE VOUS ÉCRIS
tant qu’il me reste un peu d’orgueil
Je vous écris pour me situer
dans cet hiver qui jamais ne se terminera
(hiver, comme je vous ai aimé,
vous en souvenez-vous ?)
Je vous écris du fond de mon malheur
là
où l’on me prend pour ce que je suis :
mon propre assassin
mais ce n’est plus l’heure d’en débattre
Tueur ?
c’est en dessous
sous les égouts
./
C’EST D’UN SCENARIO DRAMATIQUE
dont vous avez besoin
et avec la discrétion d’un professionnel
J
e
participe à la fête
à la fête où j’ai convié mes amis
ce qui me reste de famille
je suis une sorte de débiteur de lui-même
mais, là encore, je prends toutes
les erreurs à mon compte
tandis qu’une femme à son piano l’après-midi
me renvoie dans les prairies gelées
de l’inconscient
./
J’HABITAIS un glacier d’où j’entendais sortir ma voix
la nuit – la nuit – la nuit
elle disait les choses
elle les disait mais avec retard
et – et – et
l’on ne me trouvait jamais où je devais être
ce sont tous ces sentiments
qui m’ont gravement affecté le cœur à vie
L’EAU
des tourbières
l’eau où mon règne perdure
avant de glisser ce qui me reste de voix dans la fanfare
et
d’en être le speaker jamais abattu
l’eau
m’attire – tire – cette eau
j’ai bien connu le bourgmestre
il faisait apparaître la ligne d’horizon
souris – mulots – hérissons – taupes
devinrent mes amis ces années-là
où je fus désigné fournisseur en eau potable pour récitals il
faut être celui-ci qui bouleverse la salle entière
ainsi
la poésie un jour fermera boutique
baissera une dernière fois ses rideaux métalliques
comme cela fera chic et bon genre
Franck Venaille, La Bataille des éperons d’or, Mercure de France, 2014, pp. 59 à 62. Livre en librairie le 6 novembre 2014.
Présentation du livre sur le site du Mercure de France
Ma vie nul ne la prend mais c'est moi qui la donne. Chaque jour je parcours des distances infinies qui me font traverser les anciennes frontières. Mon but ? Aller voir comment fonctionne le monde. J'en reviens à chaque fois brisé. L'état de guerre n'en finit pas. À terre les corps encore, copeaux de chair, lourds sacs, déserteurs aux membres las. Alors que du ciel, le soleil noir, le soleil, aveuglé, tente de s'extirper. Tremblements. La consigne est toujours la même: pas de prisonniers ! Alors le glaive ! Mais que ferai-je de ma vie lorsqu’il sera devenu noir de sang? Dois-je l'avouer ? Je suis désespéré et me retrouve quoi? Enfant ! Que s'est-il passé, autrefois que je n'ai pas compris, jamais admis. Pourquoi ce sang? Le rouge, couleur du combat mené contre les forces du Malin. Mais que les mots parviennent jusqu'à moi. Ils deviendront nos alliés.
Franck Venaille a choisi de nous emmener loin dans le temps et l’espace pour nous parler d’un sujet qui le hante depuis longtemps. La bataille des éperons d'or est pleine encore des images de la guerre, comme l’étaient Chaos, Ça et C'est à dire de la guerre vécue, celle d’Algérie. Sous les variations des vers et de la prose, dans un style intact, il donne à entendre un tragique sourd et continu que viennent illuminer, par intermittences, des éclairs de beauté foudroyants.
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