Souvenez-vous, je vous disais dans une précédente chronique qu'un de mes meilleurs amis me conseillait de lire Bel-Ami de Maupassant depuis longtemps... Et bien voilà, c'est chose faite, j'ai enfin lu ce classique de chez classique !
Je préfère vous prévenir : il y a quelques spoilers dans cette chronique mais pas de panique : ils sont tous entre les balises spoilers, vous pouvez donc choisir de les voir ou non ;-)Georges Duroy, dit Bel-Ami, est un jeune homme au physique avantageux. Le hasard d'une rencontre le met sur la voie de l'ascension sociale. Malgré sa vulgarité et son ignorance, cet arriviste parvient au sommet par l'intermédiaire de ses maîtresses et du journalisme. Cinq héroïnes vont tour à tour l'initier aux mystères du métier, aux secrets de la mondanité et lui assurer la réussite qu'il espère. Dans cette société parisienne en pleine expansion capitaliste et coloniale, que Maupassant dénonce avec force parce qu'il la connaît bien, les femmes éduquent, conseillent, œuvrent dans l'ombre. La presse, la politique, la finance s'entremêlent. Mais derrière les combines politiques et financières, l'érotisme intéressé, la mort est là qui veille, et avec elle, l'angoisse que chacun porte au fond de lui-même.
Dans ce roman, Maupassant nous plonge dans la vie de Georges Duroy, un arriviste de la pire espèce qui n’a pas trouvé d’autre moyen pour se constituer une fortune que d’utiliser les femmes qu’il rencontre.Georges Duroy est un exemple parfait de la figure du anti-héros en littérature : méchant, arriviste, sans scrupule, manipulateur, dépensier, vulgaire, etc. Il a tous les défauts que l’on peut mépriser chez un homme. Et pourtant, il fait tomber toutes les femmes. C’est d’ailleurs la jeune Laurine de Marelle (la fille de Mme de Marelle) qui le baptise Bel-Ami.La particularité de Georges Duroy, c’est qu’il a monté l’échelle sociale grâce aux femmes. Son poste aux Echos de la Vie Française, un journal parisien tellement médiocre que les journalistes apportent plus d’importance à leur score au bilboquet qu’à leurs articles « […] car l’adresse au bilboquet conférait vraiment une sorte de supériorité, dans les bureaux de la Vie Française. » p.158, il ne le doit qu’au hasard et aux femmes qui l’ont aidé à élever sa position.Mme de Marelle, Madeleine Forestier et Mme Walter sont les trois principales femmes qui l’ont aidé dans cette entreprise. Mme de Marelle est la première qu’il séduit : elle l’introduit dans un nouveau monde et lui permet d’élargir son réseau. En ce qui me concerne, je l’ai plutôt vue comme son « coup d’essai », celle qui lui a permis de se faire ses armes de séduction. Elle a l’avantage d’être la première et d’avoir donc un rôle assez symbolique pour le héros, de telle sorte qu’il ne peut se résoudre à couper définitivement les ponts avec elle : malgré les disputes et les ruptures, il revient toujours vers elle.
Madeleine Forestier se distingue légèrement des autres femmes que Georges Duroy séduit dans la mesure où elle semble la seule à être intelligente et surtout à utiliser les mêmes méthode que lui. On comprend ainsi dès le début du livre que c’est elle qui écrit les articles de son mari : Charles Forestier, également journaliste à la Vie Française, et c’est encore elle qui écrira le premier article de Georges.Mme Forestier deviendra un personnage féminin encore plus important par la suite puisque sa relation avec Georges Duroy évoluera de manière bien particulière…D’ailleurs, j’ai trouvé Georges absolument atroce lors de la scène où Charles Forestier meurt et qu’il se lance dans sa tirade « Alors il murmura à voix basse: - Ecoutez-moi et comprenez bien ce que je veux dire. Ne vous indignez pas, surtout, dece que je vous parle d'une pareille chose en un semblable moment, mais je vous quitterai après-demain, et quand vous reviendrez à Paris il serait peut-être trop tard. Voilà... etc. » p.222. Non mais sérieusement ? Il n’a même pas eu la décence d’attendre que le corps du mari soit froid pour parler à Madeleine d’un éventuel mariage… D’ailleurs, on voit bien à quel point Duroy est un opportuniste : il n’aurait jamais pensé le tuer lui-même et ne prend aucune vraie décision, il profite juste des situations qui s’imposent à lui !Et, une dernière chose : la façon dont il propose à Madeleine de l’épouser est vraiment particulière. Ce n’est pas une belle déclaration d’amour qu’il lui fait mais une proposition de contrat… J’ai trouvé ça hallucinant.
Enfin, Mme Walter est celle pour qui j’ai éprouvé le plus de pitié. Elle est vraiment utilisée comme un objet par Duroy qui ne lui montre absolument aucun respect. Car en plus des nombreux défauts qu’il a déjà, il faut également souligner que Georges Duroy n’est pas reconnaissant du tout et se comporte comme un vrai goujat lorsqu’il a atteint son but et que ses conquêtes féminines ne lui sont plus d’aucune utilité. Ainsi, une fois que Madame Walter ne lui est plus d’aucune aide, il devient absolument cruel et désagréable avec elle.
« Qu’est-ce qu’elle me veut encore, cette vieille chouette ? Je parie qu’elle n’a rien à me dire. Elle va me répéter qu’elle m’adore. Pourtant il faut voir. Elle parle d’une chose très grave et d’un grand service, c’est peut-être vrai. Et Clotilde qui vient à quatre heures. Il faut que j’expédie la première à trois heures au plus tard. Sacristi ! pourvu qu’elles ne se rencontrent pas. Quelles rosses que les femmes ! » p.322Enfin, je ne pouvais pas ne pas vous parler de l’écriture de Maupassant, et je dois forcément aborder le fait que le roman s’inscrit dans le courant littéraire naturaliste. C'est dingue de voir à quel point l’environnement dans lequel évolue Georges Duroy (le milieu de la presse parisienne corrompue) et le caractère du personnage lui-même sont en symbiose…
« Quoique habillé d’un complet de soixante francs, il gardait une certaine élégance tapageuse, un peu commune, réelle cependant. Grand, bien fait, blond, d’un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d’une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires.
C’était une de ces soirées d’été où l’air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces. » p.30Regardez le premier paragraphe : Maupassant se moque ouvertement de Georges Duroy. En effet, une certaine élégance tapageuse, ce n’est en réalité pas élégant du tout ! Et toutes les virgules qui interrompent la description et montrent l'hésitation, les yeux troués... pendant tout le paragraphe, il le tourne en ridicule avant de finir en apothéose en le qualifiant de mauvais sujet des romans populaires, et vlan !Dans le second paragraphe, c’est le Paris dans lequel le héros évolue qui nous est décrit : étouffant, lourd, putride, nauséabond… En accord parfait avec le personnage, finalement.
→ MON AVIS
J’ai trouvé que Georges Duroy était aussi répugnant qu’Holden Caulfield était attachant… c’est dire. Et pourtant, j’ai adoré suivre ses aventures. Maupassant décrit tellement bien l’univers dans lequel évolue son héros que c’est vraiment passionnant de le suivre et de savoir quelle sera la prochaine situation dans laquelle il se retrouvera. D’autant plus que Maupassant réussit, grâce à son écriture, à créer une vraie proximité avec le lecteur. On a l’impression d’être son complice et de se moquer avec lui de cet homme si bête, car il ne se contente pas de décrire simplement les faits : il agrémente le récit de petite piques lancées ici et là (comme dans la description du personnage, plus haut) ce qui donne un ton très drôle et facétieux au livre.
Au risque de me répéter : j’adore l’écriture de Maupassant ; elle est claire, limpide, rend justice à l’intrigue, mais ce que j’aime par-dessus tout c’est le fait qu’il n’a pas besoin d’artifice pour intéresser le lecteur. En écrivant très simplement, Maupassant est d’autant plus efficace et percutant. J’étais moi-même surprise de voir à quel point son style est vif et n’a pas pris une ride ; c’est un auteur que je prends vraiment beaucoup de plaisir à redécouvrir !
Je me rends compte en écrivant cette chronique à quel point elle est parsemée de petites citations et d'extraits du livre... En fait, je l'ai tellement aimé et j'ai trouvé tellement de passages bien écrits, drôles et dingues que j'ai envie de les partager avec vous, avec l'espoir que cela vous donne envie de lire ce livre. J'espère que les citations choisies susciteront votre curiosité et vous permettront de voir à quel point le style de Maupassant est simple, abordable et
« ne date pas du XIXe siècle ». En somme, j'espère que ce roman dédramatisera la vision que l'on peut se faire des classiques.Pour conclure, je vous laisse avec une citation de Maupassant qui nous éclaire un peu plus sur ce personnage qu’il a créé : « J'ai soin de dire qu'il ne sait rien, qu'il est simplement affamé d'argent et privé de conscience. Je montre dès les premières lignes qu'on a devant soi une graine de gredin, qui va pousser dans le terrain où elle tombera. Ce terrain est un journal. »*Ce livre fait partie du challenge "Lire des classiques"