Coup de Coeur« Belle en Savane », de Sayouba Traoré
Par Emmanuel Goujon
« C’est une maison de femmes. Une, vieillissante, la cuisse flasque. Une, blessée de guerre, ruminant sa rage. Et deux fragiles créatures, le sourcil rieur. Mais la sagesse enseigne que dans la volière, les pigeons distinguent nettement qui est le caïd. On voit bien que la grand-mère Dadah peut se montrer redoutable. Sans qu’elle ait besoin de le faire remarquer. Un prénom suffit. Pas besoin de convoquer tout le temps un patronyme. Dadah, ça fait l’affaire. »
Belle description de vieille femme puissante. Ainsi va la parole de Sayouba Traoré dans ce petit roman, véritable concentré de dictons et de poésie.Peu de gens aideront Sita. Au contraire, on cherche à l’enfoncer, à la stigmatiser à force de mauvais gri-gri et de sourires méprisants qui font plus mal que les fièvres et les retournements de boyaux provoqués par les médicaments. Mais Sita tient debout. Elle sait qu’elle est pure. Elle n’a jamais fauté contrairement à ce que tout le monde préfère croire. Comme si le blâme ne pouvait être que sur le dos de la femme, même épouse exemplaire. Sita paye parce qu’elle a tout accepté avant de presque mourir. Elle est dans le jeu, se plie aux règles. Elle laisse les autres décider pour elle parce que c’est comme ça… Mais le désir de survivre va la révéler à elle-même, bien obligée.Sayouba Traoré livre un plaidoyer contre les hommes et contre le manque de commisération qui règne dans les villages de la savane burkinabè. Mais cela pourrait être n’importe où ailleurs. C’est juste là qu’il place l’histoire de Sita, une histoire universelle de loyauté et de combats quotidiens :
« Depuis le jour de son mariage, elle a lutté pour l’honneur de Brahima. Elle a travaillé dur pour nourrir la famille. Le jour, elle n’a pas ménagé sa peine pour que la dignité de son homme reste intacte. Le soir, elle a veillé patiemment sur les petites. La nuit, elle s’est dépensée physiquement pour satisfaire le mâle. De tout temps, elle a enveloppé ses beaux-parents de son respect. A l’arrivée, tout cela n’a pas suffi à la préserver de la trahison. (…) Félonie de l’homme qui, se sachant malade, n’a pas craint d’aller se soigner secrètement à Banfora. La laissant au seuil du trépas. L’abandonnant en butte à l’opprobre. Homme-léopard, dites-vous ? Salopard, oui ! Salopard, descendant de salopards ! »Le jugement est sans appel.Sayouba Traoré n’en est pas à son premier coup littéraire. On avait bien aimé « Les Moustaches du Chat ». Mais avec « Belle en Savane », court, onirique et terre à terre à la fois, c’est un coup d’éclat que nous offre le bon géant burkinabè.(Sayouba Traoré, Belle en Savane, Vents d’ailleurs, 2011, 141 pages.) Vous trouverez également une chronique produite sur ce blog à la sortie du livre.