Je ne veux pas perdre la substance de cette anthologie. Alors que j’abordais la dernière nouvelle, celle de Léonora Miano, mon exemplaire de Première nuit est porté disparu. Je ne le retrouve pas. Cela m’arrive parfois. Un bouquin passionnant ? Je le trimballe partout, quêtant la moindre opportunité pour avancer dans ma lecture. Dans une semaine, un ami m’appellera pour signaler le paradoxal oubli de mon bouquin chargé de désir.
Dix auteurs ont, sous la direction et avec la participation de Léonora Miano, rassemblé plusieurs nouvelles sur le thème du désir. J’avoue que je ne suis pas friand de ce type de sujets où le risque est grand de voir certains auteurs sombrés dans la reproduction de clichés attendus. Un autre dérapage plausible est celui de basculer du désir à l’érotisme et de l’érotisme à la pornographie. Force est de constater que mes inquiétudes avaient un fondement certain. Toutefois, l’ampleur de ces productions charnelles fut moins importante que ce qui était attendu. Deux concepts : #Premièrenuit et #DésirCe qu’on est en droit de se poser comme question en abordant cet ouvrage, c’est l’association entre l’idée de la première nuit (que signifie-t-elle ?) et celle du désir. En première lecture, cette première nuit traduit une sorte de célébration de la relation éphémère, la résumant dans un acte ponctuel, relation espérée ou achevée. Alfred Alexandre évolue à contre courant de cette approche dans une nouvelle très courte.
« La première nuit est une absence. C’estaprès, par bribes, par éclats, qu’on réinvente les heures inouïes »Alfred Alexandre entrevoit la première nuit ici, non pas comme un aboutissement, un Saint-Graal, une quête, un phénomène à répétition, mais plutôt comme un commencement. Une approche quelque peu marginale quand on observe les discours magnifiquement mis en scène dans cette anthologie. La qualité littéraire est au rendez-vous. Les clichés aussi. Seule la noirceur décrite est source d’interrogations.
Désir et frustrationIl y a d’abord le tchad. Un mot créole, du moins je suppose, quand il est exprimé par Frankito. Il évoque une profonde frustration. Loin de la performance que plusieurs vont avec délectation décrire avec verve et gloire, Frankito fait transpirer dans les mots d'un collégien la violence de l’inaccessible passion pour une belle qui l'ignore et qui renvoie au moi intérieur bousculé du jeune homme. Regard sur soi qui n’a rien d’agréable. Mais qui peut être source de croissance. Il est intéressant de voir comment Frankito donne au match « amoureux » de se mettre en marche. L’arrogance de la jeune fille désirée est étrangement structurante.
Présentation de l'anthologie avec Jean-Marc Rosier, Sunjata, Rodney Saint-Eloi (éditeur), Anaïs Heluin auteur de l'essai Littérature et désir, le match amoureux et Insa Sané
Le fantasme et l’attente sont une constante. Pour nombre d’idéalistes ou de blessés de la vie. Un homme qui compte ses dernières heures de vie s’accroche au souvenir d’une femme désirée dans sa jeunesse et se lance à sa recherche. Felwine Sarr emploie son talent dans cette nouvelle où le désir l’emporte sur la première nuit : « Le désir, pour devenir indestructible et demeurer intact, devait éviter la jouissance ». Le mélange des genres est donc néfaste selon Sarr.Le fantasme et l’attente peuvent prendre une tournure meurtrière. La folie ne prend pas racine dans la relation même, mais dans les à-côtés. Julien Mabiala Bissila offre la nouvelle la plus politique, la plus sadique aussi. Les sens sont déréglés, la perte de contrôle inexorable. Fantasme et attente tuent. Il y a les textes intermédiaires, qui démontrent la puissance de création de leur auteur. Edem Awumey, de ce point de vue, propose quelque chose de peu banale. Le désir ici raconte son cheminement avec le narrateur. Sa naissance assez glauque et triviale pour un élève très assidunau cours de géographie (clin d'oeil à Depestre ?). La conquête, à l’image des années 90 au Togo faite de brutalité et de changement. L’exil froid canadien où le sexe prend la forme d’un réconfort et d’un lot de consolation. Pourquoi pas ?
Désir et pornographieCertains auteurs ont choisi d’être crus dans leur narration. Souvent le texte est emprunt d’images provocantesqui illustrent la première nuit dans ce qu’elle a de « torride » et charnelle. Est-on encore dans la quête du désir ? Non, plutôt dans son accomplissement le plus bestial et stéréotypé. Apologie de la performance nécessaire et rassurante. Le texte de Sunjata s’inscrit dans cette démarche. Et il ne peut en être autrement puisque son personnage se prostitue en se livrant aux désirs variés de ses clients. Le détraquage du personnage de Julien Mabiala Bissila a besoin, pour confesse, de livrer son moment de folie avec des mots tels qu'ils viennent.
Désir et tabouJean-Marc Rosier choisit pour sa part d’exprimer le désir au travers de l’interdit, du rempart que l’apparat religieux peut dresser. Son personnage catholique peu pratiquant, ne songe qu’au moyen d’approcher une belle musulmane, qui comme lui, court. A la différence, qu’elle le fait tout en étant voilé. La poésie de l’écriture de l’antillais résonne encore dans ma tête. Les différentes langues aussi. Son personnage narrateur ne peut s’empêcher de parler une langue sortie d’outre tombe là où son interlocutrice masquée à un discours plus simple,plus « cité ». A la découverte de l’autre…
Désir et perversité
Toutes les formes de désir ne sont pas saines. Il fallait du courage de pouvoir le cocher dans une histoire. Les trois nouvelles par lesquelles je termine ce commentaire ne manqueront pas de gêner le lecteur. Enfin, je pense. Dans le texte d’Insa Sané, la perversion naît sûrement d’un trouble identitaire. La scène est une cité, du moins d'une cave de cité. Les acteurs sont deux frangins de longue date qui ont cessé de veiller l’un sur l’autre et pour lesquels, le corps de la femme est un lieu de répression et d'expression d’une lutte qui n'a plus rien de fraternel. La fraternité dans ce qu’elle peut avoir de plus glauque, le corps de la femme comme terrain de démarcation. Femme objet. Où est le désir? Quoi de plus machiste ? Julien Delmaire conduit le lecteur dans un délire tout aussi glauque Peut-on parler de désir. Il faudrait la sans domicile fixe de l’histoire. Pulsion égoïste que l’on veut libérer dans un acte qui pourrait passer pour de l’altruisme…Décidemment, c’est compliqué. Trash. Glauque. Et en même temps, dans les fanges le désir existe aussi…Ben ça alors, ben ça alors… Le meilleur pour la fin, c’est la nouvelle de Georges Yemi. Les écrivains racontent des histoires.Ils mettent en place des procédés pour nous faire part des errements de l’âme de celui qui nous fait face. Parlera-t-on d’un pédophile pour ce qui concerne cet homme qui court après le fantôme d’un être aimé ? Faites-vous votre idée.
Je regrette de ne pas m’étendre sur la nouvelle de Léonora Miano. J’ai malheureusement perdu mon bouquin comme je l'indiquais au début de mon article.
L’avantage de pouvoir produire ce type de billet, c’est qu’on peut porter un regard avec un peu plus de distance sur l’ensemble des nouvelles. Les textes qui ont pu heurter sont intégrés dans un ensemble. Que dire de cette prise de parole sur le désir et la première nuit ? C’est assez difficile. On a droità l’écritured’auteurs talentueux appartenant à la même génération, qui offrent sur ce sujet une vision peu emballante, plus que sombre, voir désespérée du désir. Que faut-il en conclure ? Une donnée intéressante et chère à Léonora Miano : la valorisation des prises de parole de part et d'autre de la grande eau - pour parler comme Fabienne Kanor quand elle cite l'Atlantique. On attend le regard de ces dames sur le sujet.Première nuit : Une anthologie du désir Sous la direction de Léonora MianoEditions Mémoires d'encrier, première parution 2014Insa Sané, Julien Mabiala Bissila, Frankito, Edem Awumey, Georges Yémi, Sunjata, Julien Delmaire, Jean-Marc Rosier, Felwine Sarr, Léonora Miano