Il y a quelques années, j’eus le plaisir d’échanger à la Place de l’Agora d'Evry avec des militantes du mouvement Osez le féminisme ! Je porte toujours un intérêt particulier pour ce type de mouvement, d’autant que pour le souvenir que j’en ai, c’était de jeunes étudiantes qui faisaient leur speech avec sourire et décontraction, loin d’une austérité attendue…
J’ai tout de suite sauté sur l’occasion lorsque j’ai appris la volonté du mouvement d’organiser sur Paris, au Trocadéro, un grand rassemblement de soutien aux 220 lycéennes au Nigéria par le mouvement radical et anti-occidental Boko Haram. Si je ne suis pas un forcené de manif, il y a dans la situation dramatique de cette prise d’otage faite par ces intégristes religieux, une multitude de discours insupportables et qui, selon moi, nécessitaient une mobilisation minimale à mon niveau.
Naturellement, il y a la surenchère à laquelle Aboubakar Shekau, leader de Boko Haram s’est livré en estimant qu’après avoir retiré de force ces lycéennes du dangereux système éducatif #occidental, il allait tout bonnement les vendre comme dans le bon vieux temps. Rhétorique qui a visiblement fait pleurer sous les chaumières. Il faut dire que la pilule est tellement énorme… Ce qui m’a paru malsain, c’est l’empressement avec lequel les médias occidentaux se sont emparés de cette information. C’est tellement déculpabilisant pour paraphraser un leader de la droite populiste française, d'entendre un leader d'un mouvement africain prétendre qu'on peut encore vendre des être humains sur la place publique de ce continent… Pendant tout le week-end des commémorations de l’abolition de l’esclavage, on a eu droit au refrain sur Boko Haram et la perpétuation de la traite des hommes, des femmes en l’occurrence en Afrique. En fin tacticien, Shekau a fait un buzz monumental dans les réseaux sociaux. L’effet #Bringbackourgirls a été immédiat après son manège. Et comme tout fin observateur devait s’y attendre, le coup de l’échange des lycéennes contre des activistes emprisonnés de la secte nigériane a fini par être révélé comme l’enjeu majeur de ce rapt massif. La mobilisation internationale a fait monter la valeur des prisonnières et surtout exercée une pression sur les autorités nigérianes.
Que valent 200 jeunes filles aux yeux de ces chefs d’état africains ?
Je suis donc arrivé à cette manifestation rassérénée par les exigences, les vraies de Boko Haram, levant la mascarade sur cette odieuse mais, il faut le croire, ô combien efficace communication. Ma motivation personnelle, en répondant à l’invitation d’Osez le féminisme ! était de réagir au discours politique de Boko Haram dans lequel, des femmes n’ont pas droit à l’instruction. Car, sur ce point, Shekau ne fait pas de la rhétorique. Il me semblait important de réagir symboliquement à ce type de projet. En essayant d'observer les mobilisations africaines sur ce sujet et la posture des nigérians dans ce type d'actions.
La manif en elle-même
La mobilisation a été conséquente. Naturellement, on a eu droit à plusieurs prises de parole. Avant d’évoquer ces dernières, il est important de signaler la présence active de groupuscules nigérians et camerounais qui étaient déterminés à prendre possession de l’événement. Des hommes pour la plupart. Ce qui a donné lieu à des boutades : « Laissez parler les femmes ! ». Cette présence était, à mon sens, importante. Car on a parfois l’impression que les délires d’un prédicateur africain enragé ne dérangent que les occidentaux.
Soudain, une femme crie. Une congolaise. Sa voix écrase le discours d’une féministe nigériane qui pourtant avait un haut parleur en main. On tente de la faire taire. Ce n’est pas le lieu. Et pour cause, elle crie et dénonce le viol continu des femmes dans l’est de la RDC. N’est-ce pas le lieu ? Si. Pourtant. Après coup, alors que je rentre vers mon nid douillet, les hurlements de cette congolaise résonnent encore dans mon esprit. L’usage du viol comme arme de destruction massive des populations de l’Ituri, du Kivu ne soulèvent pas des hashtags populaires. On aimerait que Madame Obama en relaie un sur le sujet, à défaut de pouvoir intervenir. Ce silence ici et là-bas interpelle. A quand un hashtag repris par les stars du showbusiness du type #Stopauvioldescongolaises ? En anglais est mieux. Le viol des femmes congolaises est une conséquence non lointaine de la dérégulation de l’exploitation de certains minerais (dans les régions fragiles de ce pays) qui servent à la fabrication de nos smartphones utilisés pour faire circuler au mieux #Bringbackourgirls. Etrange paradoxe.
Alors que j’observais tous ces discours invectivant le retour de la pratique de l’esclavage, dénonçant un nouveau trafic des femmes, et que je voyais avec intérêt l’arrivée des célèbres FEMEN, plutôt discrètes pour l’événement alors qu’un esprit tordu aurait espéré un topless #Bringbackourgirls, je pris le temps d’échanger avec trois féministes dont une membre de l’association Ni putes ni soumises (oui, oui, elles existent encore). Là encore, après avoir écouté, je suggérais à ces dames bien intentionnées de se poser les bonnes questions. Qu’est-ce qui fait prospérer Boko Haram dans un Nigeria qui, comme la RDC, est l’un des plus riches du continent ? Peut-être serait-il intéressant d’observer la difficulté de la redistribution de la manne pétrolière et les accointances entre les multinationales comme Shell et les autorités nigérianes…
Je ne peux que saluer l’initiative de l’association Osez le féminisme ! Restons mobilisés autour et pour la libération de ces jeunes femmes et posons nous la question des autres violences faites aux femmes quotidiennement dans l'indifférence la plus parfaite.