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Alors qu’approche le 7èmeanniversaire de mon blog, il me semble toujours important de décrire la relation qu’un lecteur peut entretenir avec un livre. Le contexte de la lecture est à mon avis aussi important que le propos de l’auteur. Prenons Georgia, premier roman de Julien Delmaire. Voilà près d’un an que je suis en possession de ce livre et que j’en ai entrepris la lecture. Pourtant, ce n’est que la semaine dernière que j’ai terminé l’ouvrage. Le plus étonnant, c’est que je peux dire que ce livre sera dans le top 3 de mes lectures en 2014 et surtout, il fait partie de ces livres dont certaines séquences continuent de vous interroger.
Comment expliquer un tel paradoxe ? Tout d’abord Georgia est un roman qui commence mal. Il est tout sauf d’un abord simple pour le modeste lecteur que je suis. Venance qui est le personnage principal de cette première partie du roman est difficilement cernable. Julien Delmaire pose les bases complexes de son roman. Complexes, laborieuses, chargées de symboles, soûlantes. J’ai donc plusieurs fois été déconnecté. Comme parfois, on perd le réseau wifi de son portable et du coup on perd le fil d’une narration pour se livrer à d’autres lectures. Venance est un immigré qu’on a dû mal à situer. Ici. Là-bas. Puis intervient une rencontre. Cet homme complètement paumé s’accroche à une jeune SDF nommée Georgia qu’il rencontre par le plus pur des hasards. Et là, le roman prend une tout autre tournure.
Julien Delmaire a le projet dans ce roman d’explorer des marges, des figures de l’exclusion sociale ou administrative. Un sans papier. Une sans abri. Le récit de cette rencontre qui intervient à mi parcours de ce roman donne l’occasion du romancier slameur de déployer toute l’esthétique de son discours sur un sujet dont il semble être totalement investi, pris. Etrange relation dont on ne saisit forcément pas tous les ressorts. Venance s’accroche Georgia comme à une bouée de sauvetage, un brin de lumière qui pourrait annoncer une sortie de tunnel. Georgia est une chanson. Georgia est un blues. Georgia est détachée. Elle ne l’aime pas mais ne refuse pas la main tendue…
Ce roman est troublant. La force de la poésie que porte la deuxième phase du roman et qui porte la parole des sans-voix est étonnante par sa puissance, sa radicalité et la souffrance qui s’en dégage. Ayant lu la nouvelle que Julien Delmaire a écrit pour l’Anthologie sur le désir, paru en début d’année, je constate que la thématique de l’exclusion trouve un écho profond. Le pessimisme qu’il déploie après avoir tenté d’élever une tour d’espoir est un autre aspect déchirant mais, pour le moins, réaliste. Peut-il en être autrement dans une société où il y a de plus en plus de sans abri ? Que dire de Venance ? L’errance de ce dernier est certes différente de celle de Georgia. Mais les leviers s’activant sont les mêmes et terrifiants.
Ce que je trouve remarquable dans le travail de Delmaire, c’est la profondeur de l’exploration de l’âme de ces exclus. Avec des outils pour l’écriture fort bien maîtrisés pour mieux porter un cri. Le Prix littérairede La Porte Dorée est amplement mérité.
Julien Delmaire, GeorgiaPrix de la Porte dorée 2014Edition Grasset, première parution en 2013Ecouter Julien Delmaire sur France Culture, sur Hors Limites