Le blog littéraire Chez Gangoueus aborde une septième année d’activité. Un chiffre intéressant. L’affirmation d’une certaine constance sans que le goût pour ces notes de lectures s’amoindrissent au fil des années. C’est surtout de nouvelles opportunités, certes de lectures, mais également d’échanges avec ceux qui font le monde littéraire francophone : écrivains, critiques littéraires, doctorants, éditeurs, libraires ou lecteurs…
J’aborde cette septième année sur le web 2.0 avec beaucoup de questions. Déjà, une envie de revisiter les 470 articles mis en ligne depuis juillet 2007. Le temps me manque, mais il est vrai que lorsque je dois relire une vieille chronique, il y a parfois la déception d’y trouver des coquilles, des mauvaises tournures. Que les lecteurs me pardonnent ces errements. J’ai profité de l’anniversaire de ce blog pour proposer une nouvelle interface qui me plait et surtout qui permet de visiter le site avec beaucoup plus de profondeur en offrant plusieurs modes de consultation tout en réinvitant les couleurs de la savane arborée du modèle initial.
Je pérore.
Cette saison sur le web est littérairement celle qui m’a vu proposer mon premier texte de fiction. Une nouvelle intitulée « Bonjour ! » dans l’ouvrage collectif des Palabres autour des arts, titré Sous mes paupières extérieur vies (éd. L’Harmattan, 2014). Expérience étonnante, travail collectif très enrichissant, une thématique sur la marginalité abordée selon les obsessions différentes des auteurs.
C’est aussi des lectures intéressantes, parfois contraintes entre les programmations de l’émission littéraire Les lectures de Gangoueus que j’anime sur Sud Plateau TV et les rencontres littéraires Lettres Africaines à Dijon à la BU Droit-Lettres de l’Université de Bourgogne. Force est de constater que dans ces lectures la question du migrant est devenue dominante en littérature francophone. En effet, quand on considère les explorations de la thématique du départ et de l’arrivée avec des romanciers comme Sylvie Kandé (La quête infinie de l’autre rive), Liss Kihindou (Chêne de Bambou), Noel Kouagou (Les saprophytes), Fabienne Kanor (Faire l’aventure), Julien Delmaire (Georgia) ou Jean-Noel Pancrazi que je suis actuellement entrain de lire.
Pourquoi ces migrants s’en vont-ils? Des mots à propos de la migrance. Un terme d'Aminata Dramane Traoré pour évoquer l'errance et la migration. Des écrits pour dire l’arrière cour peu plaisante de l’Eldorado… Pourquoi partent-ils si jeunes ? Jean-Louis Martinelli et Fabienne Kanor tentent de répondre à la question par le moyen de la prose ou de la mise en scène théâtrale. Par un chœur grotesque et loufoque. Par le monologue d’un jeune immigré. Le migrant dans sa pirogue qui affronte vents et vagues prend la forme d'un héros ou d'un ermite selon Sylvie Kandé ou celle d'un aventurier par les mots de Fabienne Kanor. Cette dernière décrit assez bien la complexité de la démarche et les aberrations que cette migrance impose.
La désillusion, de ce point de vue, est restituée par Biram, le personnage central du roman de Fabienne Kanor Faire l’aventure :
Agé ou pas, utile ou bon à rien, un clandestin restait un clandestin, même après vingt ans ou trente ans d'aventures, même après toute une vie d'Europe dans les jambes.Faire l'aventure, Fabienne Kanor. Ed JC Lattes, page 212
Julien Delmaire analyse ce déchirement en prenant un parti pris poétique prononcé. La figure de Venance, africain sans papier en France,permet au slameur antillais de poser également un regard délicat sur ces nouvelles errances qui font écho à de profondes déchirures du passé. Difficile de ne pas évoquer dans ce contexte le roman de Léonora Miano, la Saison de l’ombre, récompensé du Prix Fémina 2014. L’écrivaine camerounaise revisite un passé douloureux pour souligner la violence de l’arrachement et portant sur une Afrique précoloniale, souvent peu sourcée quant au mode de vie quotidien de ses populations. Patrice Nganang explique que la littérature africaine de langue française doit prendre cette direction. Explorer le passé pour mieux dire le présent et offrir la possibilité de se projeter. Non pas pour justifier le quotidien, mais pour apporter des perspectives aux choses et aux faits.
copyright Sylvain Marchou
Une des belles expériences de cette saison littéraire a été la découverte de l’œuvre du togolais Théo Ananissoh. L’exemple typique de ces auteurs dont on entend parler sans trop savoir ce qu’il écrive. Dans deux très bons romans que je recommande vivement, Théo Ananissoh aborde une autre thématique du migrant ou de l’exilé : celle du retour. De manière obstinée et avec une exigence littéraire affirmée. La finesse de l’analyse de Théo Ananissoh offre une occasion intéressante d’introspection, peut être parce que le retour au pays natal proposé n’est pas celui d’un fanfaron sapé qui dispensateur d'illusions. Ananissoh met en scène son propre retour, lui l’intellectuel basé en Allemagne détruisant à la tronçonneuse façades de Potemkine et mascarades. Son personnage d’Eric Bamozon, de Ténèbres à midi, fait partie de ces figures qui continuent de trotter dans un coin du ciboulot du lecteur longtemps après le rangement de l’œuvre dans une bibliothèque.Force est de constater que les thématiques de la littérature africaine de langue française se déportent, prennent exil du continent. Loin est le temps des Mongo Beti et des Tchicaya U Tam’Si posaient un regard politique et poétique sur l'Afrique, préoccupés par son sort, sa déformation, sa métamorphose, comme possédés par elle. Un des grands auteurs de la nouvelle génération est le romancier congolais Daniel Biyaoula récemment disparu, dont l’un des romans, L’impasse, est un chef d’œuvre sur cette littérature en exil, si les écrivains m’autorisent cette expression imparfaite. Le retour pour Joseph Gakatuka, personnage essentiel des lettres africaines va être le début d’un long pourrissement, une décomposition morbide qui fera à une lectrice assise à côté de moi lors d’une rencontre littéraire que : « cet homme est détraqué ». C’est dire la puissance et l’impact de l’écriture de Biyaoula sur certains de ses lecteurs. Biyaoula n’était pas détraqué. Il a posé des mots. Il a pris une parole chargée d’amertume et de colère imprégnée d'un pessimisme lumineux pour reprendre l'expression de Mabanckou. Que dire, sur ce sujet? Parler de ma toute récente lecture du Passage des larmes d’Abdourahman A Waberi : Quel remarquable projet littéraire traité avec maestria dans tous les compartiments possibles. J’aurai pu également parler des Lumières de Pointe-Noire d’Alain Mabanckou, mais c’était la saison passée…
Il existe cependant encore des auteurs qui traitent du quotidien du continent Africain sans y transposer leurs frustrations d’exilés. J’en citerai trois qui méritent le détour : le médiatique In Koli Jean Bofane, auteur de Congo Inc. dont tout le monde a entendu parler. Mais aussi, Un yankee à Gamboma ou le renouveau tant attendu de la littérature congolaise avec le romancier Marius Nguié à la plume. Ou encore Si d’aimer de la romancière camerounaise Hemley Boum. Ce dernier roman est avec Georgia, mon coup de cœur sur cette saison de lectures et de chroniques. Je vous invite à prendre le temps d’écouter Hemley Boum sur Sud Plateau TV. Vous aurez envie d’en savoir plus sur écrivaine habitée et sensible.
Je m’arrête là pour la première partie de la narration de cette saison littéraire sur le web.