Coup de Coeur« Dumas, le comte noir », de Tom Reiss
Par Emmanuel Goujon
Certaines personnes ont des vies plus romanesques que les plus grandes épopées de la littérature. Souvent elles n’écrivent pas leur vie, d’autres s’en chargent pour eux, parce qu’elles deviennent des légendes qui traversent les siècles. Mais ces personnes vivent à fond, sans regarder en arrière, profitant pleinement de leurs jours et brûlent la vie par les deux bouts avec une soif inextinguible d’aventures, de rencontres, et parfois de batailles. C’est une vie de ce genre que nous raconte Tom Reiss dans « Dumas, le comte noir », sous-titré « Gloire, Révolution, Trahison : l’histoire vraie du comte de Monte-Cristo ».Reiss raconte la vie du général Alexandre-Antoine Davy, marquis de la Pailleterie. Il s’agit du père d’Alexandre Dumas : l’auteur des Trois Mousquetaires, de la Reine Margot, de La San Felice, et bien d’autres romans plus grands que nature. Et du grand-père de l’écrivain rendu célèbre par « La Dame aux camélias ». La thèse du biographe réside dans l’interprétation de l’œuvre du grand romancier métis. Selon lui, les grands héros des romans d’Alexandre Dumas sont tous inspirés de son père. Un père mort trop tôt, quand le jeune Alexandre n’avait que huit ans, qu’il a peine connu, mais assez pourtant pour le rechercher toute sa vie dans son imaginaire prolixe. Retrouvailles impossibles et pourtant toujours renouvelées par la magie de la littérature. En lisant Dumas, j’ai souvent pensé à cette théorie que l’écrivain faisait revivre l’image héroïque et légendaire de son père, capable selon certains, de s’accrocher à la poutre maitresse d’un marché de ses bras puissants et de se soulever, avec son cheval s’il vous plait, rien qu’à la force des poignets !Dans mon premier roman, « Alex et son double », qui fait revivre Alexandre Dumas, je mettais les mots suivants, toute modestie mise à part, dans la bouche de l’écrivain : « Mort trop tôt, mon père me laissa en héritage, outre la pauvreté, une soif de grandes actions et de gloire que seule ma plume me permit d’étancher, mais aussi le fardeau d’être né d’un héros mort trop jeune et pour toujours indépassable, irremplaçable ».Revenons alors sur ce héros, qui inspira sans doute Porthos, Monte-Cristo, et d’autres géants devenusdes mythes de la littérature. Né en 1762 sur une plantation de Saint Domingue, d’un marquis ruiné et d’une belle esclave noire, il a vécu dans les chaînes les premières années de sa vie. Son père n’avait pas hésité à le mettre en gage avec ses frères et sœurs pour payer ses dettes. Mais finalement c’est ce fils qu’il emmènera en France, lui procurant la meilleure éducation de l’époque qui comprenait en plus des matières classiques, l’équitation, le tir et l’escrime. Désireux d’aventures, le jeune homme s’engage comme simple soldat au Dragons de la Reine, renonçant à porter le nom de son père et adoptant le pseudonyme, désormais célèbre de Dumas. Pour l’amour d’une jeune fille de Villers-Cotterêts, le jeune soldat va gravir tous les échelons militaires grâce à sa bravoure et son adresse au maniement des armes et des hommes. Comme le dit son biographe : « Il est bâtard et brun de peau, cela ne l’empêche pas de devenir sous la Révolution le premier général d’origine antillaise, d’affirmer un républicanisme à toute épreuve et de multiplier les exploits militaires ». Car le général Dumas vit à une époque troublée mais riche en rebondissements. Une époque de bouleversements profonds où tout est possible. Les Autrichiens le surnommèrent le Diable noir, terrifiés par ses charges ou ses attaques surprises sur des positions réputées imprenables. Héros de l’armée révolutionnaire, fidèle à ses valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité, certains le voient à l’époque comme un rival de Napoléon Bonaparte. Le jeune général d’artillerie ne s’y trompe d’ailleurs pas, et sera l’un de ceux qui l’abandonneront au triste sort de prisonnier de guerre, puis le laisseront mourir dans la misère. En Egypte, le général Dumas se liera d’amitié avec le général Kléber, puis s’opposera ouvertement aux visées impérialistes de Bonaparte. A son retour des prisons italiennes, affaibli et malade, peut-être empoisonné par ses geôliers, il est chassé de l’armée, sans solde… Humilié, abattus, il se réfugie dans l’amour de son fils et de sa femme quelques années avant de mourir.
Il y eu un temps à Paris une statue pour rendre hommage à ce grand guerrier français. Les nazis l’ont détruite pendant la Seconde guerre mondiale. Elle n’a jamais été remplacée… Le général Dumas est l’un des oubliés de l’histoire de France. C’est pourquoi, il m’est difficile de ne pas vous raconter toutes les aventures du général Dumas. Elles sont passionnantes et vraies. Alors, il faut lire l’ouvrage de Tom Reiss, de préférence en écoutant les concertos pour violons du Chevalier de Saint-Georges, un autre métis, virtuose de l’épée et de l’archet, contemporain et ami du général Dumas.(Tom Reiss, Le Comte Noir, Flammarion, 2013, 471 pages. Prix Pulitzer 2013)