Qui a vécu à Abidjan, a forcément entendu parler de la Zone 4. Une de ces zones résidentielles de la commune de Marcory. Au travers d’un cahier intime, Jean-Christophe Durin fraîchement arrivé à Abidjan en juin 2002 dans le cadre d’un contrat d’expatriation pour une société de télécommunications, nous dévoile une des nuits ivoiriennes, celles de la Zone 4. Celle des expatriés et de leurs « conquêtes » africaines…
Jean-Christophe Durin est ingénieur télécoms. Dans les premières pages de son journal intime, dont il entreprend l’écriture peu de temps après son arrivée en Côte d’Ivoire, le narrateur tient à situer sa position. A définir l’état d’esprit de ce français débarquant en Afrique subsaharienne. Ingénieur chez France Telecom, il doit son affectation à Abidjan à de multiples réorganisations du mastodonte des télécommunications françaises. La vie simple, sans à-coups qu’il menait en France prend une toute autre tournure en Côte d'Ivoire. Ecoutons-le sur les motivations de son écriture :
J’ai eu plutôt envie d’écrire sur ce qui m’a tant ébahi, puis allait bouleverser ma ve, à savoir les relations sexuelles et amoureuses dont je fus d’abord le témoin, avant d’être happé, à mon tour, dans l’entrelacs qui mêlait les unes aux autres. Les unes étant le plus souvent de jeunes Ivoiriennes. Et les autres dans leur grande majorité, des hommes blancs, « bien murs ». Les seconds profitant de leur aisance financière, quand les premières nommées s’efforçaient simplement de survivre en tirant partie de leur beauté.
P.12, éditions FratMat
Un peu comme les romans de Mamadou Mahmoud N’Dongo, Eric Bohème propose des chapitres assez courts qui correspondent à la forme du journal intime. Ce sont à la fois des réactions à chaud sur des situations croustillantes sur le monde de la nuit, de drôles anecdotes dans le milieu professionnel que Durin apprivoise, des portraits tendres et parfois imprégnés d’humour au sujet des filles qui fréquentent son sérail ainsi que les européens. Jean-Christophe Durin décrit avec minutie les boites, les bars, les restaurants, l’atmosphère de ces lieux, les femmes qui les fréquentent, la luxure… L’écriture est celle d’un journal qui veut rendre au plus près une réalité d’un pays. A noter, qu’Eric Bohème glisse pas mal d’expressions empruntées au parler ivoirien. Normal, puisque Jean-Christophe a été initié au nouchi par un de ses collègues…
Sur le fond
Le regard que pose Eric Bohème sur la troupe de prédateurs sexuels dans laquelle se retrouve son personnage principal est très intéressant. Des loups affamés qui se repaissent de la chair fraiche et désœuvrée ivoirienne dans un terrain d’action clairement défini, la Zone 4. Il est passionnant de voir que l’expédition à la rue Princesse, un autre haut lieu de la nuit ivoirienne est trop exotique et dangereux pour un expatrié comme Jean-Christophe. Ce dernier sombre progressivement dans l’atmosphère licencieuse de cette vie facile qu’il n’aurait même pas imaginé en rêve en Hexagone. Il est difficile, mais ce n’est peut-être pas l’intention de l’auteur, d’y voir une pérennisation des rapports entre puissants et prolétaires, entre hommes et femmes, entre la France et son « pré-carré » ivoirien.
Mais Jean-Christophe observe aussi les zones de rupture de la société ivoirienne. Les tensions et discriminations qui se sont amplifiées sous Gbagbo, la rebellion nordiste, la traque des expatriés français, les couvre-feux. Observations se portant également sur la condition de ces femmes qui se prostituent et se jouent de la posture paternaliste assumée de Jean-Christophe. Il manque dans ce roman, une introspection du personnage central qui se contente de conter ce qu’il voit.
Le final a le mérite de surprendre le lecteur. Eric Bohème offre un roman qui mérite le détour sur des cercles libertins peu connus.
Eric Bohème, Zone 4Editions FratMat, première parution en 2011, 421 pages
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