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Le fer aiguise le fer.Sami Tchak est un immense romancier qui construit, loin des feux de la rampe, son immortalité littéraire. Vaincre la mort, c’est sans doute laisser une trace indélébile dans la neige, une œuvre identifiable, décryptable par ses contemporains et les générations à venir. Encore faut-il trouver du répondant. Encore faut-il une densité réelle à la réception des œuvres produites. Encore faut-il se soustraire aux assignations de toute sorte (celles de l’engagement, d’une production littéraire en langues africaines, de la famille, etc.). Encore faut-il se défaire des contraintes ou de l’indifférence des spots médiatiques.
Ce sont à ces différentes questions que l’essayiste Sami Tchak se propose de répondre dans un texte qu’il choisit de désigner sous le terme d’une comédie littéraire. Les mots ont leur sens. Surtout quand ils sont employés par cet homme de lettres togolais. Une comédie ? Oui, c’est certain. Le sujet est scénarisé avec le souci d’une esthétique soignée que les éditions La Cheminante auront assez bien rendu. Le propos prend la forme d’un dialogue bipolarisé entre Sami et une dame dans le public lors d’une conférence animée par son ami, le critique littéraire Boniface Mongo-Mboussa. Une de ces rencontres où vous avez un élément perturbateur arrivé dans l’assistance avec des certitudes et une volonté de démasquer l’artiste. Avec le flegme et l’érudition qu’il se sait capable d'afficher dans ce genre de circonstances, Sami Tchak répond à des questions délicates. On lui demande de se définir : Êtes-vous un écrivainnoir ? Vous définissez-vous comme un auteur français ? Pensez-vous être un romancier africain ? Pourquoi écrivez-vous des histoires s’ancrant en Amérique latine ? Qu’est-ce que l’engagement pour vous ?
Dans le cadre de cet échange, l’écrivain togolais répond. Parfois agacé. Souvent ironique. Ses pensées errent aussi. Entre deux réponses, il semble passer à un autre sujet. Evoquant le pays Tem, se remémorant des discussions rares et très intimes avec son père. Son père instruit de tout un patrimoine culturel de cette région du Togo, musulman de confession, qui regarde sans trop comprendre ou plutôt avec lucidité ce fils parti recevoir un savoir qui semble l’avoir coupé de ses racines. Ces textes qui évoquent le regard du père sur le fils sont teintés d’une poésie magnifique, comme si, le fils rendait un vibrant hommage à son père. Les mots sont beaux. Et la rupture fera penser à l’aventure ambigüe de Samba Diallo. Sami Tchak est cependant fondé dans un monde différent de son père et où les divinités s’appellent Tolstoï, Dostoïevski, Gombrowicz, Erasme. D’ailleurs, Sami Tchak se moque de son auditrice en lui opposant le rire de ses maîtres à penser, ceux qui, parmi tant d’autres, influencent l’esthétique de sa production littéraire. Il se planque derrière leurs textes cinglants sur l’imposture littéraire, l’indifférence de la critique ou l’autocélébration de ceux qui ont trouvé une tribune pour faire entendre leurs textes.
Sami Tchak se moque, disais-je, à raison de l’ignorance de celles et ceux qui posent ces questions, mais aussi de la vanité de certains scribes qui se perdent dans la grande foire de la littérature. Le rire est donc très présent dans ce texte. Il prend des formes multiples. Ironique. Sarcastique. Moqueur. Jaune. Et c’est toute la subtilité de cet auteur étonnant. Mais, on pourra objecter à l’essayiste des insuffisances. Quand par exemple, il associe l’engagement à une nécessaire notoriété. Bien maladroitement, il se défend. Faites-vous une idée.
Il glisse également des petites nouvelles entre les différentes réponses qu’il accorde à « madame », qui pourraient être, en première lecture, sans lien avec ces arguments développés. Mais très souvent, elles sont une illustration de son propos et font de ce texte un tout homogène et cohérent.
En cela, la célébration qu’il propose de la romancière mauricienne Ananda Devi est très intéressante. Tout en développant l’attachement qu’il a pour l’œuvre littéraire cette auteure, il en offre une critique passionnante, érudite et la fait asseoir dans un divan fictif pour entreprendre l’entretien que tout romancier aimerait avoir avecun critique littéraire. Parler de littérature, rien que cela.
Sami Tchak, La couleur de l'écrivainEditions La Cheminante, première parution en juillet 2014
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