Julian Mayfeld
Maya Angelou est décédée le printemps dernier. Et je ne l’avais pas lu. Nul n’est parfait. Le festival international des films de la diaspora Africaine a été une opportunité pour que j’aborde le récit autobiographique de son séjour en Afrique dans les années 60, après un divorce difficile. Un livre qui fait admirablement écho aux combats des afro-américains pour avoir un droit de vote aux Etats-Unis.Maya Angelou vient de débarquer au Ghana avec son fils unique de 17 ans. On est en 1962. Elle vient de se séparer de son époux au Caire. Elle a 33 ans. Elle est en transit pour le Libéria, tout en créant les conditions d’installation de son fils, Guy, pour qu’il entreprenne des études universitaires au Ghana. Mais Guy fait un terrible accident de circulation. Son état est critique. Maya Angelou commence par là ce récit autobiographique en terre africaine subsaharienne. Paroles d'une femme en détresse, d'une femme seule, d'une femme irritée, d'une mère folle de rage. Impuissante face à la situation de son fils, elle est irascible avec l’environnement qui est le sien à Accra : des afro-américains qui ont décidé de venir vivre sur la terre du mythique Kwamé Nkrumah.
Parmi ces Afro-américains, il y a Julian Mayfeld (photo ci-dessus), artiste, activiste installé au Ghana et qui n'hésite pas à secouer Maya quant à la douleur excessive qu'elle exprime face à la souffrance de son fils. En décrivant, l'échange avec Julian, le lecteur peut aux faits de certains modes de communication des afro-américains, à l'époque ne manquera pas d'être surpris. Mais, Maya Angelou explique la violence de ses réactions et les armures invisibles forgées par des siècles d'esclavage et
Cet échange illustre la manière dont Maya Angelou écrit ses mémoires. En parlant de ses réactions, de ses peurs, de ses colères, elle parle de son itinéraire et du fait qu'elle est la résultante d'un système. L'arrivée sur le continent africain lui permet de confronter son approche, sa vision du monde avec celle de ceux qui sont restés sur cette terre. Le retour au Ghana, si on doit parler de retour, lui donne l'occasion d'exprimer les attentes non satisfaites de ces américains. Le fait qu'ils ne soient pas attendus, reçus les bras grands ouverts par les ghanéens si fiers de leur indépendance. Ces incomprenhensions tues même dans les échanges exaltés que ces idéalistes n'ont pas manqué d'avoir sur le Ghana, l'auteure les livre. Elle porte un regard très intéressant sur les ghanéens. Par ce récit, on revit dans la ville d'Accra des premières heures de l'indépendance, on découvre le Ghana de Kwamé Nkrumah, on reconnait ces hommes fiers, brillants de l'éclat de l'Etoile noire.
Est-il possible pour l'Afro-américaine de pouvoir entrevoir un avenir en Afrique? Naturellement, le lecteur connaissant le parcours de Maya Angelou, se demande à quel moment elle va basculer pour rentrer au pays natal où des combats l'attendent.
Malcolm X - source photo News one for black America
Le passage de Malcolm X à Accra est riche en enseignement. Loin des Etats Unis, alors qu'il revient de son hadj à la Mecque, l'homme a rompu avec Nation Of Islam, c'est un homme certes charismatique mais accessible dans ce cadre singulier. Le portrait qu'elle en fait révèle des projets qu'il n'a pas pu mettre comme l'Union des Afro-Américains d'Amérique. Elle évoque aussi cette rencontre avec un Muhamad Ali, toujours à Accra, qui lui tourne le dos. Elle pose des galets sur le chemin du lecteur pour qu'il plonge un peu plus dans la profondeur d'un être complexe, passionné mais qui sait être brutal pour créer un électrochoc sur son entourage. Maya Angelou en a été la victime et le raconte avec beaucoup d'humilité.Si ce livre révèle toute la fragilité qui imprégnait les révolutionnaires du retour, désignation de Maya Angelou pour ces communautés afro-américaines au Ghana, il souligne un esprit vif, sensible qui se questionne. Une femme libre qui tient tête à des personnalités étonnantes et fortes. Fascinée par ce monde tenu par des Noirs, loin d'une société ségréguée où une épée de Damoclès la suivait constamment, elle ne renie pas à son identité et sa liberté pour un puissant magnat Malien qui veut faire d'elle sa deuxième épouse :
Pendant une seconde, j'essayai d'imaginer Bailey Johnson père, au moins aussi orgueilleux que Sheikhali et raide comme un pingouin, quitter son foyer à l'ameublement exquis de San Diego pour venir en Afrique, continent qu'il jugeait peuplé par de sauvages. Impossible d'imaginé mon père hyper-raffiné accepter un gendre qui avait passé sa jeunesse à dormir par terre, au milieu du bétail. P.122, Un billet d'avion pour l'Afrique
Il n'y a pas de condescendance dans cette reflexion secrète qui va précéder son refus à la demande de mariage du puissant Sheikhali. Juste un gouffre entre deux mondes malgré cette volonté de rencontre. Naturellement, on pourrait aller plus loin dans l'observation des états d'âme et réflexions de Maya Angelou.
Je terminerai ce commentaire par une nouvelle opposition de style, d'approche qu'observa la poétesse américaine au Ghana, en jouant en Allemagne : En écoutant les réponses sardoniques et en y ajoutant mon grain de sel, je pris une fois de plus conscience de la différence entre le Noir américain et l'Africain. Au fil des siècles d'oppression, nous avions mis au point une doctrine de la résistance faite de sarcasme et de fausse docilité. Nous avions aussi une caractéristique éminemment non africaine : nous étions presque toujours prêts à nous battre. Trop souvent, nous nous bagarrions entre nous, et c'est pour cette raison qu'il était dangereux de traverser nos quartiers. Mais les Blancs savaient que notre combativité empiétait sur d'autres domaines : les emplois, les ascenseurs, les autobus et les rassemblements populaires.P.198, Un billet d'avion pour l'Afrique
A lire.
Maya Angelou : Un billet d'avion pour l'Afrique
Titre original : All God's children need traveling shoes, première parution en 1986
Editions Les Allusifs, 2011, traduit de l'anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
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