Jean-Noël Pancrazi (©C.Hélie_Gallimard)
Si Indétectable, le texte de Jean-Noel Pancrazi, peut paraître court – 136 pages -, il est très dense et particulièrement difficile à lire. La faute à des phrases longues, entrecoupées par des points virgules intempestifs. Une préoccupation très forte de l’auteur de ce roman s’est focalisée sur un style résolument recherché. Oui, mais pour porter quel discours ?
Le roman se construit, à priori, autour du personnage de Madi. Il est Malien. Il est sans-papier. Avec trois autres amis, il a abandonné un emploi rémunéré en Afrique pour faire l’aventure en Europe. Les fortunes de ce groupe sont diverses. Certains ont réussi à intégrer la société française, du moins d’un point de vue administratif. Mady lui erre. Il a été intercepté par la police la veille du 14 juillet. Un narrateur parle de lui. Le narrateur exprime aussi ses propres états d’âme. Un regardchargé de compassion, de culpabilité à l’endroit Mady. On devine le lien protecteur et son attachement à l’endroit de Mady. Lentement, par des développements élaborés, des descriptions de l’univers conté par le sans-papier qui aurait aimé être indétectable, le narrateur parle pour celui qui n’est plus là, celui qui est parti, celui qui a été expulsé. Il revisite donc les lieux principaux que Mady a fréquentés en France, il décrit son entourage. Il nous parle de Mariama, une femme aimée par Mady. Il poursuit l’exploration de l’univers sombre dans lequel cet homme est plongé. Un monde qui pourrait faire penser à une époque tragique de l'histoire française. Un filet qui va se déployer sur lui. Il pose des mots pour décrire la Zapi (Zone d’attente pour personnes en instance)
On a le sentiment, en lisant, Jean-Noël Pancrazi que la condition du sans-papier en France est celle d’un animal traqué. Certes une fiction trace un sujet singulier qui ne se veut pas être le portrait général sur les conditions de vie des clandestins en France. Mais Pancrazi joue-t-il une note juste, aussi spécifique soit-elle ?
On peut en douter. En alternant les points de vue entre le narrateur et Mady, il tente d’avoir un point intérieur et extérieur. Mais, le narrateur fait dans le charitable et surtout un paternalisme assumé. Infantilisant l’immigré sous prétexte qu’il n’existe pas administrativement, il réduit son humanité, sa dignité. Il est un garçon, un enfant reconnaissant. Ecoutons-le :
«Il semblait me regarder de loin ; il ne me reprochait rien, pourtant j’aurais pu faire de lui, comme il y avait pensé sans doute, un fils, au lieu de me contenter de l’accompagner au service des Rendez-vous, en espérant que cela serait plus facile à la préfecture en été » p.113 Ed. Gallimard
Il tombe dans le piège du traitement de ce genre de sujet : le misérabilisme et la condescendance. Je n’irai pas jusqu’à dire que ce choix est intentionnel. Disons que le narrateur se pose au centre du propos. Son lien avec le sans-papier devient étouffant, envahissant. Mais, il nous fait rater la rencontre avec Mady et nous soumet au malaise du narrateur à sa tonalité monocorde qui nous invite dans des voyages où la terre semble n’être que souffrance, quand on ne regarde que la matière. Des terres où il doit être douloureux de repartir. Etonnamment, Haïti dévastée par le tremblement de terre s’invite dans les mots de celui qui parle (il y a séjourné), celui dont le propos prédomine. On se perd donc dans ce texte dont la finalité nous échappe entre altruisme et nombrilisme.
« Ceux qui s’éloignaient sans rien dire, refermés sur ce « oui » terrible, qui contenait à lui seul tout le malheur de la terre, se retiraient vers ce qui leur tenait lieu de chambre, sans avoir rien à emporter – même pas de valise, même pas le petit cadeau, le foulard qu’ils auraient pu acheter au dernier moment, ce soir, Ménilmontant -, tout seuls, avec le chapelet qui ne servait à rien, c’était la volonté de Dieu, cet avion qui allait les emmener, la France s’en allait, avec les lumières des magasins, les boulevards, le prochain Noël qu’ils ne verraient pas, ceux qu’ils laissaient au foyer, cette France qu’ils n’arrivaient pas à détester, à accuser, ils étaient trop fatigués, n’avaient pas assez de forces pour être indignés » p.51-52Ed. GallimardJean-Noël Pancrazi, Indétectable
Editions Gallimard, 136 pages, première parution en 2014
Voir d'autres critiques sur les sites suivants Zone critique, Clara et les mots, Le monde de Mirontaine, Culture 31
Je n'énumèrerai pas tous les titres que cet auteur a obtenu depuis 1973, année de sa première publication, mais la liste est très longue.