Un metteur en scène français se retrouve embarqué dans une aventure avec des artistes ouest-africains. Le projet n’est pas clairement défini. Mais il veut faire un travail avec ces passeurs de mots, ces gardiens de la mémoire que sont les djéli. Avec une troupe de griots, il se retrouve dans un village perdu où ils sont censés créer un spectacle, répéter, affiner la chose artistique. Mais des danseurs tardent à venir.
Le texte commence lentement. On ne sait pas trop où nous conduit le narrateur. On sait qu’il est Blanc et le lecteur que je suis, se dit : « voilà un homme bien débrouillard et courageux pour se laisser porter par cette bande de troubadours détendus, se passant des joints à tout bout de champ dans de grands moments de communion enfumée. On s’observe. Parfois les musiciens jouent dans des phases un peu libres avant de s’affaler et dormir. Le narrateur prend des notes. Il attend. Il ne se passe rien. Il n’a pas d’accroche précise. Pas de matières. Le milieu est rude. Il y a parfois la barrière de langue. Il y a un nom qu’il capte. Un nom qui éclaire le regard de la troupe : Soundiata.
Il veut en savoir plus sur l’homme. Soundiata. Mais, il a affaire des Cissoko. Des griots. La connaissance se mérite. On ne dit pas tout. On ne révèle pas tout. Mais notre homme tient désormais un fil conducteur. Sa pièce portera sur Soundiata et son épopée mandingue. Il est sur les terres. Les membres de la troupe lui donnent du grain à moudre.
JC Gary offre après les lenteurs déroutantes du début du roman, le rythme des confessions que le carnet de doutes recueille. Il nous implique dans cet acte qu’est la création artistique. Ici le théâtre. L’acte d’appropriation d’une légende, sa lecture, le décryptage des codes des griots. La déconstruction de certaines grilles de lecture des événements. Le narrateur conte à la fois ce qui se passe au niveau du projet artistique, mais aussi les difficultés d’un management très différent de la troupe qu’il gère. Il porte aussi un regard sur ce qui se passe la nuit. De visites nocturnes. De ses fantasmes aussi sur la femme noire. Jean-Christophe Gary prend des risques. De produire des clichés, malgré une immersion dans un monde inconnu et une ouverture d’esprit.
Que se passe-t-il dans la tête d’un homme de théâtre, d’un metteur en scène quand il crée une scène ? je crois que ce roman nous place remarquablement dans cette intimité qui finit par se transformer dans une profonde schizophrénie. JC Gary permet aussi s'étendre sur les aspects symboliques du récit repris par Djibril Tamsir Niane. Un traitement qui ouvre de nombreuses pistes à explorer dans le cadre du récit de l'épopée... Le final de ce roman est imprégné par ce dédoublement qui se traduit par une écriture enflammée et particulièrement poétique. Qui parle? Il faut découvrir ce roman étonnant, chargé de doute et de folie. Après le capitaine Kurtz, le personnage de Gary sombre dans cette Afrique énigmatique…
JC Gary - Carnet de doute / La maison des griotsEditions Dagan, première parution en 2014