Ousmane Diarra : La route des clameurs

Le narrateur de ce roman ne se dénomme pas. Il s’est dépouillé du nom à rallonge que ses exploits sur le terrain militaire et sa proximité avec les puissants lui octroyaient. C’est un gamin devenu adulte par la force des choses. Il raconte son immersion dans le mouvement djihadiste des Morbidonnes bien décidé à conquérir le pouvoir de Bamako. Mais sa narration n’est point linéaire.
Quand commence le roman, le jeune homme, le grand gamin fuit avec son père. Ils s’extirpent ensemble d’une révolution de palais. Le jeune homme, le grand gamin parle. Il a ce discours déjà entendu de ces enfants qui ont fait la guerre, qui ont vu et compris certaines choses trop tôt,  qui ont subit les vicissitudes d’une Afrique qui les malmène et les fait grandir trop vite. Il parle et raconte son parcours. Il parle de son père. Cet artiste reconnu, obtus, têtu, déterminé à ne point concéder une once de sa liberté au pouvoir islamiste qui a fini par s’imposer dans son pays sous la férule du Calife Mabou Maba dit Fiéffé Ranson Kattar Ibn Ahmad Almorbidonne.
Ousmane Diarra propose une reconstitution des faits.  Pourquoi une famille se retrouve écartelée par l’entrain d’une histoire qui semble avancer à reculons. Pour cela, Bassy, le narrateur conte son père. Un artiste. Ce potomitan, cette figure qui l'empêche de basculer. L’homme avec lequel il fuit, sans être son modèle, lui inspire un respect total. La renommée internationale de son travail d’artiste plasticien lui a permis d’être un soutien pour son entourage, son quartier. Une figure respectée. Cependant, la montée en puissance de ceux qu’il définit comme des « gamins imams » le bouleverse et le contraint à un positionnement tout aussi radical, lui qui refuse toute conversion, toute abdication, toute abjuration de sa philosophie de vie. Dans le terme lourd de sens de « gamins imams », Ousmane Diarra y transpose une idée d’immaturité que la puissance financière dont ces derniers sont investis ces jeunes prédicateurs, pallie largement. 

Les gamins imams ne se contentaient pas de nous gaver de peurs et dîgnorance, comme ils étaient plus riches que la Banque Mondiale qu'ils combattaient d'ailleurs, je l'ai dit, ils achetaient tout le monde en distribuant beaucoup de fric.

p.57 éditions Gallimard
Bassy observe son père, l’accompagne. Bassy a un repère. Alors que le pays se délite, que sa famille explose littéralement, que la rebellion des tenants du « Jaadi » fonce sans rencontrer de résistance pour un conquête d’un pouvoir politique Malien, Bassy suit l’entêtement de son père, tente de le comprendre alors que sa marginalisation tend à le réduire à une simple bête de foire. Posture dans laquelle il se fond avec délectation. Bassy déteste par contre son frère aîné qui a rejoint les rangs des djihadistes.
Ousmane Diarra met en scène plusieurs thématiques intéressantes. La prise de pouvoir d’un régime que certains qualifieront de fascisant. Il souligne toutes les formes d’allégeance que celui impose avec les déchirements familiaux inhérents. Il traite une résistance au totalitarisme qui s’appuie sur l’identité forte et l’instruction de l’artiste-plasticien. Il évoque la transmission remarquablement mise en scène entre le père et Bassy. L’intimité d’un pouvoir et la manipulation machiavéliques des masses et des textes. En lisant La route des clameurs, il est difficile de ne pas avoir en tête la montée du nazisme en Europe, le siècle dernier. Il ne conte pas une énième guerre civile en Afrique, mais une conquête militaire financée par des bailleurs extérieurs. Il observe aussi les techniques d’embrigadement.
Résister, est d'abord un acte personnel, un refus de se compromettre qui ne se soucie d'aucune représaille, aussi intime soit-elle. La posture de l'artiste est donc essentiel dans ce schéma. Mais elle concerne chaque Malien.
Le texte, je l’ai mentionné, n’est pas linéaire. La relecture de la première phase du roman une meilleure idée du projet. Son style me rappelle une écriture d’Alain Mabanckou. Un propos de Bassy cohérent, faussement détaché, pas trop érudit mais parfaitement crédible pour un adolescent ayant grandi auprès d’un père charismatique. Deux visions d’ailleurs s’entremêlent dans le propos du narrateur. Celle du père et celle du fils. La nomenclature est intéressante aussi. Rien que le nom du calife porte à la fois l’humour et la colère d’Ousmane Diarra. Car le romancier Malien a du mal à cacher sa colère derrière les maux de son narrateur. Celle d’un intellectuel impuissant voyant l’obscurantisme s’abattre sur son pays si glorieux, si fier. Celle d’un artiste qui a assisté aux saccages de sanctuaires chargés d’histoire à Tombouctou ou Djenné. Alors que la situation du Nord Mali est loin d’être résolu, cette prise de parole est à la fois percutante, esthétique et courageuse. De la très bonne littérature, venu de Bamako.
La route des clameurs est la voie qui selon Diarra conduit l'individu, en raison de ses choix, ses compomis, de son ignorance vers la folie et un enfer ardent au sens propre ou figuré loin du jardin des délices éternels. Le romancier Malien propose un texte courageux, puissant, engagé dans le sens le plus noble du terme, et répondant à une réelle esthétique.

Ousmane Diarra, La route des clameurs

Editions Gallimard, 192 pages, première parution en 2014Découvrir également les critiques suivantes : Le point Afrique (Valérie Marin La Meslée), Le monde (Eric Chevillard), Femmes au pluriel (Aïssatou Kourouma)Ainsi qu'un interview d'Ousmane Diarra pour Jeune Afrique