On ne peut pas dire qu’il n’y ait eu réticence vis à vis de cet espace nouveau accompagnant l’enthousiasme. On abordait l’immense, abandonnait la forme close entre ses pages pour une forme prospective, rhizomique. Disons qu’en dedans de ce nouvel espace c’était à nous d’essayer des formes : textes brefs ou longs, danses ou truffés de liens comme un lieu de passage, avec image ou sans, avec reprises en feuilleton ou tissant liens plus lâches, adressés, critiques, poétiques. Notes posées là jouant comme un carnet, papiers collés façon Perros, notes de lecture, de visite d’exposition… Cet état de recherche éclatée que l’on retrouve dans des projets plus denses.
Bien sûr que l’on croit choisir mais ne choisi rien ou si peu. La singularité est souvent la forme retournée d’une incapacité. Ces récits de Kafka dont l’inachèvement nous touche et explique magnifiquement l’état de monde à l’époque n’en sont pas moins pour leur auteur une forme d’échec qu’il rencontre comme une entrave. On s’est essayés au livre dense pour être sûr que l’effervescence déployée était un choix, il a été comme Picasso disait de ses périodes bleue et rose, un « paravent » pour la suite. Un peu pour soi, et beaucoup pour les autres ; le livre vous signifie comme écrivain davantage que l’écriture. Pourtant il n’y a qu’à lire quelques fragments de ces Carnets pour se persuader qu’Arnaud Maïsetti est écrivain, pousse la langue avec exigence à la rencontre du monde du dehors comme du monde du dedans dans leurs diverses rencontres. Il s’agit de faire dire aux mots ce à quoi on s’affronte. Témoigner de la lutte.
(…) On fouille dans les mots le sens du monde et dans leur usage, c’est-à-dire dans la langue, le rapport que l’on entretient avec lui. Non pas que le dire l’épuise (« aucun mot ne vient s’abattre entre nous et les façades » écrit Arnaud), mais ce sont nos pauvres armes pour exister face à l’immense et incompréhensible, pour affirmer une forme de résistance à l’engloutissement, à la dissolution mole. En vérité, on est rendu à l’aveuglement, au mutisme, à l’évanouissement d’une réalité excédante sur laquelle on avance par des mots, des images tendus au devant. Peut-être, la parole est ce par quoi l’on rejoint le monde dans son éloignement, comme l’œil et les images qu’il forme. Aussi familier qu’il soit, le monde nous est autre, il est ce à quoi nous sommes confrontés, affrontés et cette position décollée est aussi ce qui nous fait, nous donne contour au lieu de nous confondre, d’annihiler tout sujet. L’affrontement donc, comme réel état de notre rapport au monde et du rapport à soi en ce que nous sommes un de ces objets incompréhensibles du monde. Affrontements plutôt, qu’Arnaud Maïsetti dénombre dans leur champ lexical, comme les cubistes multiplient les aspects d’une même chose pour en rendre le volume véritable. Lieux, voix, visages, talismans… comme autant d’entrées pour dire à quoi la langue s’affronte. On pourrait imaginer l’écrivain comme une chauve-souris lançant sa voix dans le vide de la nuit pour en tâter les volumes.
Image piquée à Arnaud.