C’est autour de la première Renaissance avec Giotto que le tableau s’assimila pour la première fois semble-t-il avec un mimétisme assez frappant à une sorte de boite. Une boite dont une face serait ouverte à la vue, comme ces vivariums où l’on peut observer dans des fragments artificiels de leur environnement naturel variété d’insectes ou de reptiles évoluant derrière la vitre, les autres faces du volume déterminant la profondeur de la scène sur laquelle s’énonce une historia, et ceci jusqu’au point central que l’on n’appelait pas encore point de fuite mais terme, auquel le regard butait. Prémices qui ne tardèrent pas à se préciser et à gagner en efficacité à partir de Masaccio et sa magistrale trinité. La maitrise récente des principes de la perspective linéaire centrée, alors encore appelée commensuratio, témoignant d’un humanisme naissant, la conception aristotélicienne du monde en expliquent l’essor, tout comme l’usage du panneau orthogonal unitaire, la palla ou tavole quadrate, qui se prête à merveille au rôle de fenêtre qu’on veut lui faire jouer. En quelques dizaines d’années, sous les pinceaux de Masaccio, Lippi, Veneziano, Fran Angelico, jusqu’à ce maitre du volume que fut Pietro della Francesca se dessine un style urbain moderne à la sobriété toscane, claire, qui dénote du traditionnel gothique de cour pour peindre à la mesure des hommes des scènes pédagogiques de l’histoire religieuse portées par une rhétorique subtile. On sait le succès de ce modèle esthétique et théorique perpétué à partir de 1830 par la photographie et on sait aussi ses multiples variantes, les tentatives des peintres modernes pour s’en affranchir, les Nabis tirant leçon des estampes japonaises en tête avant que les Cubistes et les premiers abstraits ne radicalisent l’écart. Nulle linéarité pour autant qui aurait mené les choses tranquillement vers cette résolution comme certaines histoires de l’art voudraient le faire croire, les façons éclatées de Braque et Picasso évoquant volontiers les perspectives courbes et dynamiques essayées par Fouquet autour de 1450 et l’affranchissement à l’unité de lieu et de temps dont on trouve des exemples célèbres chez Masaccio vers 1425. Quand à la frontalité plane des carrés de Malevitch, il est difficile de ne pas la rapprocher de ces icônes aux faces affrontées imprimant la surface comme une obsession. Quoi qu’il en soit, c’est à ces façons anciennes initiées à Florence 600 ans plus tôt que l’on rattache instinctivement les tableaux de Maude Maris, ceux-ci perpétuant de ceux-là l’éloquente clarté servie par un espace théâtral sur la scène duquel sont disposés les protagonistes d’une historia. Au lieu de places étroites ou de palais actualisant quelque épisode liturgique, Maude Maris donne à voir des espaces clinques aux surfaces brillantes en lesquels sont disposés quelques volumes énigmatiques que l’on identifie comme autant de moules parfois accompagnés de leur positif. Comme dans la fameuse démonstration inaugurale de Brunelleschi, l’image, dans l’illusion qu’elle produit remplace le modello, ces petites maquettes dont les architectes avaient l’usage et grâce auxquelles l’artiste élabore ses mises en scène. Force est de penser à Morandi dans cette mise en place d’un protocole et les variations qu’il produit au moyen d’un champ restreint d’objets. Sauf que les moules ne sont pas tout à fait aussi neutres ou arbitraires que les pots et bouteilles que l’artiste bolognais disposait sur sa table. On ne peut s’empêcher d’envisager ces mises en scènes comme des théâtres avec figures absentes, ou plus précisément, théâtres mettant paradoxalement en scène l’absence d’objets par la figuration de leur image négative. En somme, dans cet espace creux se donnent à voir des creux encore comme s’il ne s’agissait que de peindre le négatif. Comme s’il s’agissait de vider cet antique espace de représentation pour le rendre à un certain silence, mettre en scène ce silence depuis le lieu traditionnellement dévolu à la narration et au discours. Le système magnifique de représentation du monde élaboré à la Renaissance a vu la régie religieuse s’effriter, tout comme l’usage rassurant des coutumes à la faveur de l’établissement de l’Etat et du commerce. Ce que vit l’époque contemporaine c’est la crise de ces nouveaux modèles rassurants qui devaient jusqu’ici assurer un ordre rationnel dans lequel on pouvait rasseoir. C’est sûrement sur interpréter le travail de Maude Maris que d’en faire la métaphore d’un certain état du monde, de la perte de repères anciens devenus comme coquilles vides, mais sait-on jamais par quels chemins les œuvres que produit une époque en viennent à en dire son inconscient ?
Image : Maude Maris, Piscines, 2012.