d'après OPINION PUBLIQUE de Maupassant
Dix heures venaient de sonner,
Les employés du ministère
Commençaient leur journée
Et attendaient leur chef de service M. Fabert.
Le sous-chef M. Carré
Fumait en se chauffant au calorifère.
Le commis cherchait un docu ment égaré.
M. Rupart, un vieil expéditionnaire
Offrait des bonbons au miel.
M. Gide, bureaucrate spirituel,
Railleur et malin,
S’amusait à scandaliser ses copains.
Autour du bureau de M. Doucet
La conversation débutait
-« Quoi de neuf ce matin ? »
Demanda M. Baudin.
-« Ma foi, rien du tout, répondit M. Rupart
À part l’assassinat du Tzar. »
-« Je ne troquerais pas ma place contre la sienne.»
Dit M. Gide, l’air convaincu.
-« Moi non plus.
Ah, non ! Sûrement pas la mienne ! »
-« Comment tout ça finira ? »
-« Mais jamais ça ne finira.
C’est nous seuls qui finissons.
Depuis qu’il y a des rois,
Il y a des régicides. »
-« Expliquez-moi,
Monsieur Gide,
Pourquoi on s’attaque toujours aux bons
Plutôt qu’aux mauvais ?
On a assassiné Henri IV, le Béarnais,
Et Louis XV mourut dans son lit.
Louis-Philippe fut toute sa vie
La cible des meurtriers, et on prétend
Que le Tzar Alexandre était bienveillant.
N’est-ce pas lui qui a émancipé les serfs ? »
-« N’a-t-on pas tué une fois un chef de bureau ? »
-« On a tué un chef de bureau ? »
-« Mais oui, vous savez, l’affaire
Des coquillages.
Un employé voulut un jour acheter
Des coquillages
Pour son déjeuner.
Le chef lui ordonna de rester
Mais l’employé prit son chapeau
Et sortit. Le chef se précipita sur lui.
L’employé se débattit
Et enfonça sa paire de ciseaux
Dans le ventre de son supérieur. »
-« Nous vivons dans une époque bien troublée
…Ainsi cette affaire du boulevard Pasteur… »
Le garçon de bureau entrait :
-« Messieurs, le chef est arrivé. »
En une seconde, tous se sont dispersés.