Marx : sa critique du ciel et sa critique de la terre
John Bellamy Foster, Brett Clark et Richard York
Monthly Review, vol. 60, no 5, octobre 20081.
Ces dernières années, le mouvement du dessein intelligent, ou le créationnisme sous une forme plus subtile, a multiplié ses attaques contre la teneur de l’enseignement de l’évolution tel qu’il est dispensé dans les écoles publiques américaines, tout en promouvant dans un même temps une ambitieuse stratégie consistant à « enfoncer un coin » pour transformer et la science et la culture dans toutes les articulations de la société. Comme nous l’expliquions dans notre ouvrage, Critique of Intelligent Design : Materialism versus Creationism from Antiquity to the Present (critique du dessein intelligent : le matérialisme face au créationnisme, de l’Antiquité à nos jours), Monthly Review Press, 2008 :
« Cela a rallumé un débat vieux de 2 500 ans entre le matérialisme et le créationnisme, la science et le dessein. On peut remonter à Socrate (5e siècle av. J. C.) pour situer les premières argumentations en faveur du dessein (la tentative de discerner la preuve d’un dessein dans la nature et, partant, l’existence d’un Créateur). Le point de vue opposé, le point de vue matérialiste (affirmant que le monde s’explique de lui-même, par référence à des conditions matérielles, des lois naturelles et des phénomènes contingents ou émergents, et non par invocation du surnaturel), auquel Socrate répondait, remonte également au 5e siècle av. J. C. dans les écrits des atomistes Leucippe et Démocrite. Sur le plan philosophique, cette dernière perspective fut développée en une critique très détaillée du dessein par Épicure (3e siècle av. J. C.), qui influença plus tard la révolution scientifique du 17e siècle. »
Les actuels défenseurs du dessein intelligent, comme William Dembski, membre éminent du Discovery Institute’s Center for Science an Culture, installé à Seattle, ne cessent d’affirmer qu’on peut remonter à Épicure, dans l’Antiquité, pour retrouver trace des fondements philosophiques des conceptions matérialistes qu’ils combattent (« Toutes les pistes », fait remarquer Dembski, se faisant l’écho de Lucrèce, disciple romain d’Épicure au premier siècle avant Jésus-Christ, « mènent à Épicure et au processus de pensée qu’il a initié. »). Toutefois, il est admis que les trois grands ennemis matérialistes du dessein dans les temps modernes sont Darwin, Marx et Freud. Ce fut Darwin qui, le premier, dans une critique, utilisa le terme de « dessein intelligent » dans son acception moderne, alors que Marx et Freud développèrent l’un et l’autre des critiques matérialistes de la religion et du dessein.
En attaquant l’évolution et le matérialisme, les partisans du dessein intelligent insistent sur le fait que le monde est trop particulier et irréductiblement complexe pour avoir été le produit du « pur hasard ». À l’opposé, les penseurs matérialistes dialectiques, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, ont prétendu que le monde était dirigé non pas par le pur hasard (ou produit par un déterminisme mécanique strict), mais qu’il était caractérisé par des contingences, autrement dit des déviations historiques à partir de conditions structurées, aboutissant de temps à autre à l’apparition de phénomènes qualitativement transformés : dans la théorie de Darwin, par un processus de sélection naturelle. Dans une perspective matérialiste, le point crucial, c’est que le monde n’est pas régi par une téléologie divine, des « causes finales » ou un logos transcendantal, mais qu’il est néanmoins intelligible dans ses propres termes et qu’il est apparu « sans l’aide des dieux », pour reprendre la fameuse expression d’Épicure.
Comme la chose est relatée dans le chapitre 5 de la Critique of Intelligent Design reproduit ci-dessous, Marx, très jeune encore, s’engagea à fond dans ce débat qui se manifestait depuis l’Antiquité et se poursuivit tout au long du 19e siècle. Il développa à cet effet une critique du ciel en tant que condition préalable d’une critique de la terre. Cette critique fit de lui l’une des principales bêtes noires des défenseurs du dessein intelligent jusqu’à nos jours.
John Bellamy Foster, Brett Clark et Richard York
La critique du ciel
« Il ne peut y avoir de concordance », faisait remarquer Karl Marx, « entre le christianisme et la raison [telle qu’incarnée dans la science des Lumières], parce que la raison “temporelle” et la raison “spirituelle” se contredisent2. » Marx a été un critique sévère de la téléologie et de toute l’argumentation découlant du dessein, qu’il considérait comme des tentatives marginales de fournir une base rationnelle dans la nature à l’autorité de Dieu sur la terre, justifiant de la sorte toutes les autorités terrestres. Il prit le parti de la critique matérialiste du dessein intelligent émanant d’Épicure, qu’il appela dans sa thèse de doctorat « le plus grand des rationalistes grecs3. » De ce fait, Marx figure aux côtés de Darwin et Freud comme cible des partisans actuels du dessein intelligent, lesquels, en fin de compte, font remonter les péchés intellectuels des trois hommes à Épicure4.
Pour Marx, la critique de la religion était le point de départ indispensable d’une critique plus large d’un « monde à l’envers » dont la religion était à la fois la « théorie universelle » et la « somme encyclopédique ». Comme il le disait en 1844 dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel : « La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique5. » Ce fut la critique de la religion qui rendit possibles la philosophie et la science (et, en outre, la critique de l’économie politique). Ceci décrivait également la progression de la pensée même de Marx.
Marx venait d’un héritage mixte juif, luthérien et déiste. Ses grands-pères maternel et paternel étaient tous deux rabbins et, depuis le 16e siècle, la quasi-totalité des rabbins de Trèves étaient ses ancêtres. Mais son père, Heinrich Marx, se convertit au luthéranisme en 1817, soit un an avant la naissance de Marx, de façon à pouvoir poursuivre sa profession d’avocat dans l’État prussien, qui lui aurait sinon retiré son emploi. Heinrich Marx allait devenir un déiste dévoué et Edgar von Westphalen (le futur beau-père de Karl Marx) le décrivait comme un « protestant à la Lessing ». Heinrich Marx adhérait aux Lumières, il pouvait réciter Voltaire et Rousseau par cœur et il incitait son fils à « prier le Tout-Puissant » et à « suivre la foi de Newton, Locke et Leibniz ». On n’en sait pas autant des croyances de la mère de Marx, Henrietta. Il semble qu’elle soit restée plus attachée à sa foi juive, en partie par respect pour ses parents et qu’elle ne fût pas baptisée avant 1825 (un an après Karl), à la mort de son père. Le jeune Marx se retrouva aussi sous la tutelle du baron Ludwig von Westphalen (son futur beau-père), qui l’initia tôt aux idées du socialiste utopique Saint-Simon.
Marx fut formé au gymnasium Friedrich Wilhelm de Trèves, une ancienne école jésuite dans laquelle les quatre cinquièmes des étudiants étaient catholiques. En 1835, à l’âge de dix-sept ans, il lui fut demandé de rédiger trois dissertations pour son examen de sortie de l’école. L’une devait être consacrée à un sujet religieux et Marx traita de L’union des croyants avec le Christ, selon Jean 15 : 1-14, montrant sa base et son essence, sa nécessité absolue et ses effets. L’essai présentait l’argument trinitaire de Luther sur la nécessité de l’Union avec le Christ comme but de l’histoire. Marx concluait son texte en affirmant que « l’union avec le Christ apporte une joie que l’épicurien tente vainement de tirer de sa philosophie frivole ou le penseur des profondeurs les plus cachées de la connaissance ». Cette focalisation précoce sur l’opposition entre le Christ et les épicuriens et autres philosophes suggère que, même adolescent, Marx s’intéressait déjà au matérialisme d’Épicure et à sa critique du dessein, comme l’indique sa thèse de doctorat sur Épicure, six ans plus tard, dans laquelle il allait modifier du tout au tout la position adoptée dans son ancienne dissertation scolaire pour se rallier à la critique du dessein. L’essai scolaire de Marx sur la religion fut écrit la même année que celle où David Strauss publia sa Vie de Jésus, qui allait constituer le point de départ de la jeune critique hégélienne de la religion (et aussi l’année de l’introduction du chemin de fer en Allemagne)6.
Après ces anciennes dissertations scolaires, le suivant des documents majeurs encore existants de la plume de Marx est la lettre remarquable qu’il avait adressée à son père et qu’il avait écrite de Berlin en novembre 1837. Nous y trouvons Marx se démenant à propos du « baroque chant des sirènes » de la philosophie de Hegel, qu’il avait absorbée complètement, mais à laquelle il s’était également opposé en partie en raison de son contenu idéaliste. « Si les dieux avaient jadis habité au-dessus de la terre », écrivait-il, « ils en étaient maintenant [chez Hegel] devenus le centre. » Il s’agissait là d’une philosophie cherchant « l’idée dans le réel lui-même ». Mais, en dépit du pouvoir évident de cette philosophie sur sa pensée, Marx sentait qu’il avait été livré « dans les bras de l’ennemi7 » et « d’avoir à faire mon idole d’une conception que je détestais8 ». Dans un même temps, il rejoignit le Club des jeunes « docteurs » hégéliens, qui discutaient interminablement de la philosophie de Hegel et de la critique de la religion.
Au plus fort de ses combats à propos de la philosophie hégélienne, Marx se tourna vers les « études positives », étudiant les œuvres à la fois de Francis Bacon et du théologien naturel allemand Hermann Samuel Reimarus. On ne peut mettre en doute l’impact à long terme de Bacon sur la pensée de Marx. Ce dernier considérait Bacon comme la contrepartie matérialiste moderne des anciens atomistes Démocrite et Épicure9. À quelques années l’un de l’autre, à la fin des années 1830 et au début des années 1840, Marx et Darwin adoptèrent tous deux explicitement le point de vue antitéléologique de Bacon, puisé chez les anciens matérialistes. D’un concept de la nature ancré dans des causes finales, Bacon a écrit : « la recherche des causes finales, comme une vierge consacrée à Dieu, est stérile »10. Marx fut sans aucun doute fortement influencé par la façon extensive de Hegel, dans son Histoire de la philosophie, de traiter la critique par Bacon des causes finales (par exemple, la notion de ce que l’abeille est « équipée » d’un dard pour sa protection) par opposition aux causes efficientes. En présentant la critique par Bacon du dessein intelligent, Hegel le dépeignait comme le représentant moderne de l’argumentation qui « a le grand mérite [de s’opposer à la “superstition en général”] que nous avons rencontré dans la philosophie épicurienne11. »
En ce sens, sur le plan de l’interprétation de la nature, la grande querelle millénaire entre le matérialisme et l’idéalisme, entre la science et la théologie s’imprima tôt dans la pensée de Marx à partir de Bacon et fut renforcée par son étude de Hegel. Le matérialisme des Lumières du 18e siècle, comme le dit Engels, « a maintenu l’opposition entre l’homme et l’absolu ; à la place du Dieu chrétien il a mis la Nature12 ». Ce matérialisme dérivait du rejet, au sein de la science, à la fois de l’argument issu du dessein de la religion chrétienne, et de toutes les théories idéalistes qui s’appuyaient sur des arguments téléologiques. Engels l’exprima en ces termes de façon convaincante :
« […] le monde a-t-il été créé par Dieu ou existe-t-il de toute éternité ?
Selon qu’ils répondaient de telle ou telle façon à cette question, les philosophes se divisaient en deux grands camps. Ceux qui affirmaient le caractère primordial de l’esprit par rapport à la nature, et qui admettaient, par conséquent, en dernière instance, une création du monde de quelque espèce que ce fut — et cette création est souvent chez les philosophes, comme chez Hegel, encore beaucoup plus compliquée et plus impossible que dans le christianisme — ceux-là formaient le camp de l’idéalisme. Les autres, qui considéraient la nature comme l’élément primordial, appartenaient aux différentes écoles du matérialisme.
Originairement, les deux expressions idéalisme et matérialisme ne signifient pas autre chose que cela, et nous ne les emploierons pas ici non plus dans un autre sens13. »
Si la question du matérialisme contre l’idéalisme a nécessairement été soulevée dans l’étude de Marx sur Bacon en 1837, ce fut tout autant le cas lors de ses lectures de 1837 de Reimarus. Hermann Samuel Reimarus était très connu à l’époque de Marx pour ses Wolfenbüttel Fragments (dits aussi Fragments d’un inconnu) de 1774-78, publiés à titre posthume et tirés de son Apologie, ou Défense des adorateurs rationalistes de Dieu. Représentant une critique rationaliste et déiste de la réalité de la révélation biblique concernant le Christ et une réfutation de sa divinité (Reimarus dit du Christ qu ’il était un « sauveur séculier »), les Fragments provoquèrent un grand tumulte en Allemagne — pas très différent de l’accueil de la Vie de Jésus de David Strauss au cours du siècle suivant14. De son vivant, toutefois, Reimarus fut surtout connu pour son œuvre sur la logique et — de façon plus significative pour Marx — pour ses deux ouvrages majeurs sur la théologie naturelle et les instincts des animaux : le premier, de 1754, Les principales vérités de la religion naturelle, défendue et illustrée, en neuf dissertations : dans lesquelles sont considérées les objections de Lucrèce, Buffon, Maupertuis, Rousseau, La Mettrie et d’autres disciples, anciens et modernes, d’Épicure, et leurs doctrines réfutées ; le second, de 1760, Observations physiques et morales sur les instincts des animaux, leur industrie et leurs mœurs15.
Reimarus fut un disciple du théologien naturel anglais John Ray et, dès 1725, il avait écrit un court traité élogieux à l’égard de l’argumentation inspirée à Ray par le dessein. L’influence de Ray est évidente tout au long de l’ouvrage de Reimarus, Les principales vérités de la religion naturelle. Il transforma la métaphore de l’horloge de Ray en métaphore de la montre presque un demi-siècle avant que William Paley utilisât avec plus de retentissement la métaphore de la montre dans sa Théologie naturelle (1802). Comme l’écrivait Reimarus :
« Supposez un Hottentot qui ne connaît rien de l’usage d’une montre, mais dont on lui a montré l’intérieur, le ressort, la chaîne, les rouages, bref, toutes les pièces et leur disposition ; et même, faites-le instruire auprès d’un horloger de sorte qu’en temps voulu, il soit capable de fabriquer une montre ; j’affirme néanmoins que, si le Hottentot n’a pas été instruit de l’usage d’une montre, il ne saura pas ce qu’est une montre. Il ne la connaîtra pas dans son essence ; il sera ignorant de sa finalité et de son entière construction. Car, si l’usage de la montre n’avait pas été conçu au préalable dans l’esprit de l’artiste qui réalisa une montre en tant qu’objet pratique, un tel mécanisme n’aurait jamais été fabriqué ni n’aurait été disposé et fabriqué de telle façon. »
Reimarus utilisa cet argument pour inférer que, de même qu’une montre était un mécanisme conçu par l’humanité pour son usage propre, le mécanisme tout entier du monde inanimé devait avoir été conçu par Dieu et dans un but : être utilisé par des êtres animés16.
La première particularité des Principales vérités de la religion naturelle de Reimarus était de contrer l’ancienne critique épicurienne du dessein intelligent et ses représentants modernes. Il plaida donc contre « l’aveugle hasard » épicurien et en faveur « de la sagesse et du dessein » de Dieu. Le crime ultime de la philosophie d’Épicure, selon Reimarus, fut de « bannir Dieu et l’exiler dans l’Intermonde », le laissant sans relation au monde. Dans les cinq premières des neuf dissertations composant son ouvrage, Reimarus s’est surtout préoccupé d’attaquer les arguments d’Épicure lui-même, alors que, dans les quatre dissertations restantes, il s’en est pris aux disciples modernes d’Épicure (comme Buffon, Maupertuis, Rousseau et La Mettrie). Plaidant contre la notion de création spontanée de la vie à partir de la terre, il déclarait, s’opposant directement à Épicure : « L’origine des hommes et des autres animaux sur la Terre ne peut être considérée comme une voie naturelle […] La Terre n’est pas habilitée à être appelée notre mère universelle17. »
C’est dans sa cinquième dissertation des Principales vérités de la religion naturelle que Reimarus a avancé de la façon la plus efficace ce qu’il a appelé la « preuve générale » des causes finales, se concentrant sur les pulsions innées des animaux et les distinguant de la connaissance humaine dérivée de l’expérience. Les animaux, prétendait-il, ont acquis la rationalité apparente dans ces pulsions innées directement de Dieu plutôt que de causes matérielles. Parlant des abeilles, par exemple, il déclarait : « Aucune partie de la nature, certainement, ne montre de plus grandes manifestations d’une Direction supérieure que les abeilles qui, non seulement, constituent leurs cellules hexagonales selon des dimensions des plus régulières et exactes, mais s’y prennent avec elles comme si elles étaient très versées dans les chapitres les plus sublimes de la géométrie et des fluxions. » À l’opposé, « quand les hommes arrivent pour la première fois dans le monde, ils ont très peu, voire pas du tout, d’idées et n’ont aucun savoir-faire ou capacité pour mettre le moindre plan à exécution, mais les acquièrent par l’invention et l’exercice […] atteints seulement à la suite de tentatives répétées et d’une longue pratique. » En effet, « depuis de nombreux millénaires », les êtres humains « labourent avec une force unie dans l’invention de leurs arts, qui n’ont été que lentement amenés au degré présent de perfection et, pourtant, on ne peut dire que nous exécutons ce qui est nécessaire à notre condition d’une façon aussi parfaite que ne le fait chaque animal, à sa façon, à l’instant immédiat qui suit sa naissance ».
Pour Reimarus, cela suffisait pour asseoir la vérité : les animaux « doivent toute leur habileté à une Intelligence supérieure ». Jouant sur l’ancienne proposition matérialiste avancée de façon très cohérente par Épicure et disant que « rien ne vient de rien », Reimarus prétendait que « de rien, rien ne peut être conçu ou inventé » - d’où le fait que les pulsions innées des animaux devaient être attribuées à « la sagesse régissant toute chose de leur Créateur18 ».
Six ans plus tard, dans ses Instincts des animaux, Reimarus développa cet argument de la « cinquième dissertation » de ses Principales vérités de la religion naturelle pour en faire une psychologie animale plus générale. Ici, l’argumentation émanant du dessein est repoussée plus à l’arrière-plan et une argumentation plus scientifiquement modelée est construite, bien que Reimarus n’ait jamais abandonné ses points de vue sur la théologie naturelle. « Pour le Reimarus de la maturité », on ne peut trouver « l’explication du comportement animal dans des connaissances incorporelles implantées soit par Dieu soit par l’expérience, mais […] dans des organisations psychologiques innées appelées pulsions ». Par conséquent, on a dit de lui qu’il était « l’initiateur du concept des pulsions » en psychologie19.
La théorie des pulsions de Reimarus fut largement ignorée par la psychologie jusqu’au 20e siècle, mais elle eut un important impact sur Marx, qui utilisa fréquemment la composante psychologique de la théorie des pulsions de Reimarus dans ses propres distinctions entre les êtres humains et les animaux. Inspiré en partie par Reimarus, Marx utilisa à merveille la comparaison des abeilles en tant qu’architectes naturels pour faire ressortir le caractère distinctif de l’activité humaine. « Une araignée accomplit des opérations qui s’apparentent à celles du tisserand, et une abeille en remontre à maint architecte humain dans la construction de ses cellules. Mais ce qui distingue d’emblée le plus mauvais architecte de la meilleure abeille, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la cire20. » Il est clair que Marx, comme il le mentionna lui-même, a minutieusement étudié Reimarus, y compris sa théologie naturelle et sa critique du matérialisme épicurien : des questions occupant dès le début une position centrale dans l’analyse de Marx21. Marx, toutefois, n’aurait eu que très peu de patience à l’égard de la théologie naturelle de Reimarus. Il allait donc en référer avec dédain aux « téléologiens des premiers temps » pour qui « les plantes n’existent que pour être mangées par les animaux et les animaux pour être mangés par les humains22. »
Marx préférait le déisme newtonien à la fois à la théologie naturelle des Principales vérités de la religion naturelle de Reimarus et à la « philosophie du meilleur des mondes possibles » de Leibniz. En ce qui concerne le fameux débat du 17e siècle entre Samuel Clarke (qui représentait Newton) et Leibniz, Marx prit clairement parti pour la plus grande adhésion de Clarke et Newton au principe scientifique et il écrivit même « Bravo, mon vieux Newton ! » en réponse à la position de Newton dans son Principia Mathematica(cité dans la correspondance entre Leibniz et Clarke), œuvre dans laquelle il réfutait avec véhémence que Dieu fût « l’âme du monde » par opposition au fait d’exercer sa domination sur les âmes en tant que « souverain universel ». La position de Newton fut une reconnaissance partielle (dans le royaume naturel) de la séparation du magistère de la science de celui de la religion23.
Ces préoccupations à propos du matérialisme et du dessein se poursuivent dans la thèse de doctorat de Marx. La Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et chez Épicure fut terminée et acceptée en 1841. Toutefois, il commença son travail sur le sujet en 1839, quand il entama ses sept carnets de notes sur la philosophie épicurienne. Sa thèse comprenait également un appendice, Critique de la polémique de Plutarque contre la théologie d’Épicure, dont il ne nous reste que quelques fragments ainsi que les notes de l’appendice. (Les deux derniers chapitres de la première partie de la thèse manquent également dans le document existant, sauf en ce qui concerne une partie des notes du chapitre 4 manquant.)
Malgré son titre, la thèse de Marx s’intéressait relativement peu à la philosophie de Démocrite, qui constituait surtout un tremplin pour son analyse d’Épicure. Comme l’a expliqué le philosophe Paul Schafer, « le noyau substantiel de la thèse, c’est-à-dire son contenu atomiste ou matérialiste, est épicurien, alors que son approche analytique, c’est-à-dire la méthode dialectique utilisée pour mûrir ces idées maîtresses, est hégélienne. Il en résulte un hybride fascinant qui fournit une image éclairante de la genèse des conceptions philosophiques de Marx » : la lutte entre le matérialisme et l’idéalisme qui allait régir sa pensée. Marx admirait beaucoup le matérialisme d’Épicure, son « atomisme dialectique » (pour reprendre les termes de Schafer), sa critique de la téléologie et du déterminisme et, par-dessus tout, sa philosophie de la liberté. Il est possible que rien n’attirât autant Marx vers Épicure que les positions de ce dernier (énumérées par Marx à partir de sources anciennes) : « C’est le hasard, qu’il faut accepter, et non Dieu, comme la multitude le croit. » « C’est mauvaise fortune que de vivre dans la nécessité, mais vivre dans la nécessité n’est pas une nécessité. De tous côtés s’ouvrent bien des voies courtes et faciles vers la liberté. […] Il est permis de dominer la nécessité elle-même24. »
Comme Engels l’écrivit plus tard : « Si la philosophie classique grecque a abouti dans ses dernières formes — en particulier dans le cas de l’école épicurienne — au matérialisme athée, la philosophie vulgaire grecque mène à la doctrine du dieu unique et de l’immortalité de l’âme25. » Dans les débats concernant les sciences naturelles contre la religion et qui eurent lieu de son vivant, Marx s’identifia aux luttes et dilemmes auxquels Épicure fut confronté et à la tradition matérialiste, empiriste à laquelle il donna naissance. À partir de là, Arend Th. van Leeuwen, un théologien, fait remarquer, en relation avec la thèse de Marx : « En un sens, Épicure agit comme le double de Marx. Chaque fois que le nom d’Épicure est mentionné, il nous faut penser à Marx reflétant ses propres problèmes dans le miroir de la philosophie grecque26. »
Au cœur même du matérialisme, il y avait une critique de la notion selon laquelle la rationalité du monde était attribuée aux desseins. À partir de là, la thèse de doctorat de Marx sur Épicure fut à la fois un traitement de la dialectique matérialiste et une critique de la religion. Dans son « Avant-propos » à ce qui était prévu comme une version publiée de sa thèse, Marx identifia Épicure à Prométhée (tous deux ont apporté la lumière) et prétendit : « La profession de foi de Prométhée, “En un mot, j’ai de la haine pour tous les dieux !” [Eschyle, Prométhée enchaîné] Et cette devise, elle [la philosophie] l’oppose à tous les dieux du ciel et de la terre, qui ne reconnaissent pas la conscience humaine comme la divinité suprême. Elle ne souffre pas de rival27. »
Justifiant l’inclusion de l’appendice dans sa thèse, Marx écrivait : « Si nous avons ajouté, en appendice, une critique de la polémique de Plutarque contre la théologie d’Épicure, c’est parce que cette polémique n’est pas un phénomène isolé, mais le représentant d’une espèce : elle représente, en effet, de façon excellente, le rapport entre la raison théologienne et la philosophie. » En tentant de promouvoir la moralité religieuse et l’argument du dessein et de polémiquer contre Épicure sur ces bases, Plutarque « cite la philosophie devant le tribunal de la religion28. » Marx poursuivait en prenant explicitement le parti de David Hume et en déclarant que c’était la philosophie, avec son approche rationnelle de la nature, et non « la raison théologienne » de la théologie naturelle, qui était l’autorité souveraine au royaume de la raison29.
Plutarque — qui vécut au 2e siècle — était le plus ancien de deux prêtres d’Apollon à l’Oracle de Delphes et il fut « un représentant du platonisme religieux tout au début de l’ère chrétienne30 ». Il critiqua fortement Épicure, en arguant du fait que ce dernier avait rejeté la crainte nécessaire de Dieu. C’était la terreur de l’au-delà qui, par-dessus tout, liait l’humanité à Dieu. Comme l’écrivait Marx, Plutarque fut un porte-parole de la doctrine qui « justifie les terreurs des enfers pour la conscience sensuelle […]. Dans la crainte, et plus spécifiquement dans une crainte intérieure qui ne peut être anéantie, l’homme a été déterminé en tant qu’animal ». En même temps, Plutarque avançait l’argument d’une providence bienveillante (même dans les actes les plus terribles) comme preuve de l’existence de Dieu. Pour Plutarque, Épicure aurait dû être sévèrement châtié pour avoir transformé les dieux en êtres distants, comparables aux « poissons hyrcaniens » [de la mer Caspienne] desquels on ne pourrait tirer aucun inconvénient ou avantage31.
La critique de Plutarque par Marx, à la fois dans le corps du texte de sa thèse et dans son appendice, est donc d’une grande importance pour comprendre sa critique de la religion, et dans sa réponse à l’argument du dessein spécifiquement. Marx n’éprouvait que mépris pour Plutarque qui, en abordant, dans sa biographie de Marius, la bataille entre les Romains et les tribus Cimbres en 101 av. J.-C., près de Vercelli, fournit ce que Marx appela un « exemple historique répugnant » de la façon dont une moralité religieuse puisant ses origines dans la crainte de divinités toutes-puissantes violait toute humanité concevable :
« Après avoir décrit le terrible effondrement des Cimbres, il raconte que le nombre de cadavres était si grand que les Massiliens [c’est-à-dire les citoyens de la colonie grecque et ville État de Massilia, aujourd’hui Marseille] furent à même de s’en servir pour engraisser leurs vergers. Puis il plut et cette année fut la meilleure pour le vin et les fruits. Maintenant, quel est le genre de réflexion qui vient à l’esprit de notre noble historien à propos de l’anéantissement tragique de ce peuple ? Plutarque considère qu’il s’agit d’un acte moral de Dieu, qu’il a permis à tout un peuple grand et noble de périr et de se décomposer afin de procurer une exceptionnelle récolte de fruits aux béotiens de Massilia. Donc, même la transformation d’un peuple en un tas d’engrais fournit une occasion souhaitable d’heureuse délectation dans la moralité [religieuse]32 ! »
De là, ce qui pour Plutarque fut une magnifique récolte de vin et de fruits résultant de la décomposition des cadavres des Cimbres vaincus devint un argument en faveur d’une rationalité de la nature émanant de la providence divine. Aux yeux de Marx, le Dieu de Plutarque était un « Dieu dégénéré » et Plutarque lui-même un porte-parole en faveur de « l’enfer de la populace ».
Dans la réfutation de Plutarque figurant dans son appendice, Marx rejetait les « preuves de l’existence de Dieu », puisqu’elles n’étaient en réalité que leur opposé : « des preuves de l’existence de la conscience de soi essentielle de l’homme ». En effet, « le pays de la raison », déclarait-il, « est, pour Dieu en général, une région dans laquelle il cesse d’exister » — puisqu’il s’agit du royaume exclusif de l’humanité. Contre Plutarque, Marx cite le Système de la nature, de l’épicurien et matérialiste français, le baron d’Holbach : « Rien ne fut donc plus dangereux que de lui persuader qu’il existait un être supérieur à la nature, devant qui la raison devait se taire, à qui pour être heureux l’on devait tout sacrifier ici bas33 . »
Tant Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling que Hegel sont attaqués dans l’appendice de Marx pour leurs conceptions théologiques. Marx considère que Schelling abandonne sa conception première de la liberté humaine en concluant dans son œuvre ultérieure que Dieu « est le seul fondement de notre connaissance ». Hegel est condamné pour avoir mis « sens dessus dessous » toutes les précédentes démonstrations théologiques afin d’essayer de démontrer l’existence de Dieu d’une façon opposée à celle de la théologie chrétienne traditionnelle. Dans le passé, les accidents naturels et les miracles étaient considérés comme des preuves de l’existence de Dieu. Désormais, Hegel, en conformité avec la théologie naturelle, prétendait démontrer la même chose, mais avec l’argument contraire. Tout simplement parce que « l’accidentel n’existe pas, Dieu ou l’Absolu existe ». En d’autres termes, il fallait trouver les preuves de Dieu non pas dans les accidents naturels ou les miracles, mais dans l’évidence de la nécessité divine.
Répondant à de telles preuves supposées de l’existence de Dieu, y compris l’argumentation du dessein, Marx répondit sèchement : « L’absence de raison, voilà l’existence de Dieu. » Inversement, le développement historique de la conscience de soi dans le monde matériel est l’existence raisonnée de l’humanité. « C’est précisément Épicure qui fait la forme de la conscience dans son caractère direct, l’être pour soi, la forme de la nature. C’est seulement quand la nature est reconnue comme absolument libre de la raison consciente [c’est-à-dire, à partir de la rationalité imposée extérieurement d’une déité] et est considérée comme une raison en soi, qu’elle devient la propriété de la raison », ou le monde conscient de soi de l’humanité34.
En cela, Marx rompait sèchement avec Hegel même, qui avait proclamé en des termes sacrés que sa Logique n’était rien que « la présentation de Dieu tel qu’Il est en Son essence éternelle avant la création du monde et de l’homme35 ». Au cœur de la philosophie de Hegel tout entière, allaient déclarer Marx et Engels dans La Sainte Famille, se trouvait « l’expression spéculative du dogme germano-chrétien de la contradiction Esprit-matière ou Dieu-monde36 ». Dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Marx est allé jusqu’à qualifier la logique de Hegel de « Santa Casa37 » ou « Maison sainte » — le nom par lequel, comme le faisait remarquer van Leeuwen, l’Inquisition catholique romaine « sanctifia sa prison » et sa chambre de terreur à Madrid38.
Il a été d’usage de considérer que la critique par Marx de la religion et de l’idéalisme philosophique de Hegel ne s’est développée qu’en tant que résultante de sa rencontre la critique antérieure par Ludwig Feuerbach du système hégélien. Toutefois, la critique par Marx de « la raison théologienne », qui devait trouver son expression la plus puissante dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, en 1844, était déjà complète pour l’essentiel à l’époque où il soumit sa thèse doctorale au début de 1841 — l’année même où avait été publiée L’essence du christianisme de Feuerbach39. En outre, les thèses provisoires en vue d’une réforme de la philosophie de Feuerbach, qui devaient avoir un impact direct sur la pensée de Marx, ne parurent pas avant 1842. Il serait plus correct de prétendre, par conséquent, que la critique de la religion par Marx se développa indépendamment et à côté de celle de Feuerbach, ce qui ajoutait de la force aux points de vue de Marx40.
Néanmoins, le rejet naturaliste par Feuerbach de la philosophie idéaliste de Hegel a exercé une puissante influence sur Marx. Pour Feuerbach, la philosophie spéculative dans sa forme la plus développée, le système hégélien, représentait l’aliénation du monde de l’existence sensuelle à laquelle la raison humaine était liée de façon matérialiste. Il reproduisait, au nom de la philosophie plutôt que de la théologie, l’aliénation religieuse des êtres humains par rapport à la nature. Hegel avait présenté le monde comme se développant sous une forme invertie « à partir de l’idéal jusqu’au réel ». En contraste, « toute la science », insistait Feuerbach, « doit s’appuyer sur la nature. Une doctrine reste une hypothèse tant qu’elle n’a pas trouvé sa base naturelle. Ceci est particulièrement vrai de la doctrine de la liberté. Seule la nouvelle philosophie [matérialiste] parviendra à naturaliser la liberté qui, jusqu’à présent, avait été une antihypothèse, une hypothèse surnaturelle41. »
La Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel de Marx, dont l’introduction avait été publiée en 1844 à Paris dans les Deutsch-Französische Jahrbücher(Annales franco-allemandes), a été appelée « la Magna Carta de la critique marxiste de la religion42 ». C’est ici que Marx sortit son affirmation fameuse :
« L’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est […] la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.
La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. »
Marx témoigne ici d’une réelle sympathie pour la religion en tant qu’ « expression de la misère réelle » et que consolation nécessaire des opprimés. Ces derniers n’ont pas le même accès aux autres moyens de consolation, comme l’opium, accessible aux nantis, et ils n’ont pas encore appris à se révolter contre le monde erroné dont la religion est la manifestation fantastique. Inversant la position qu’il avait adoptée durant son adolescence dans son essai scolaire sur L’union des croyants avec le Christ, Marx prétendait que « le dépassement de la religion comme bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son bonheur [matériel] réel ». « La critique du ciel se change du coup en critique de la terre43. »
La critique de la terre
La critique de la religion par Marx fut de tout temps adaptée aux besoins d’une compréhension humaniste, matérialiste et scientifique du monde. La critique de l’aliénation religieuse conduisit à la critique de l’aliénation humaine et matérielle au moyen de deux mouvements dialectiques : (1) une critique de la religion en tant qu’aliénation du monde humain, dérivée d’Épicure et de Feuerbach et, partant, une inversion de la liberté humaine — une critique qui s’étendait également de la théologie à la philosophie idéaliste (comme dans le cas de Hegel) ; et (2) une critique du matérialisme et de l’humanisme purement contemplatifs en tant qu’abstractions vides, dans la mesure où elles n’étaient pas simplement des présuppositions pour une critique de la terre (c’est-à-dire la réalité matérielle et historique).
De là, l’athéisme même, tant qu’il est resté dans l’éther du royaume contemplatif de Feuerbach, a été insuffisant et vide de véritable sens autre qu’en tant que premier pas dans le développement d’une philosophie humaniste. L’athéisme en tant qu’idéal, insistait Marx, était « pour une part majeure, une abstraction ». C’était une « négation de Dieu à travers laquelle il affirme l’existence de l’homme ». Il constituait donc un simple humanisme « théorique44 ».
En tant que matérialiste, Marx choisit de ne pas investir dans l’abstraction de Dieu et de la religion. Dans le même temps, il ne tenta pas de réfuter l’existence surnaturelle de Dieu, puisqu’elle transcendait le monde réel, empirique et qu’on ne pouvait y répondre, ni même s’adresser à elle par la raison, l’observation et l’enquête scientifique. En lieu et place, il forgea un athéisme pratique par le biais de son engagement scientifique à une approche matérialiste historique en vue de comprendre la réalité dans toutes ses dimensions. La négation pratique de Dieu et l’affirmation de l’humanité et de la science requéraient un mouvement actif en faveur d’un changement social révolutionnaire, de la réelle appropriation du monde afin de poursuivre le développement de l’homme — le développement et l’expansion des capacités humaines — et de la liberté.
La critique de la religion par Marx ne concerna donc jamais l’existence surnaturelle de Dieu (même dans sa négation), mais l’affirmation du monde matériel, du monde des êtres humains, de la raison et de la science — et tout cela requérait le déplacement de la « religion » en tant que « reconnaissance détournée de l’homme par le biais d’un intermédiaire45 ». Thomas Dean avait par conséquent raison en écrivant, dans sa Pensée postthéiste, que :
« En étant d’accord avec l’observation aristotélicienne et hégélienne selon laquelle les contraires appartiennent au même genre, Marx considère que l’athéisme n’est rien de plus qu’une idéologie opposée à la religion. Par conséquent, elle ne mène pas à une rupture radicale avec toute façon religieuse de penser. L’athéisme ressemble davantage à un “stade ultime du théisme, une reconnaissance négative de Dieu” qu’au fondement théorique d’une philosophie positive, de ce monde, de l’homme. Cela donne inévitablement naissance au désir de supplanter le Dieu qui a donc été dénié par un concept de l’homme sublimé ou déifié dans les mêmes proportions. […] Ce n’est que par un second acte de transcendance, en transcendant la médiation de l’humanisme par l’athéisme, “ce qui constitue toutefois un préalable nécessaire”, que s’ouvre la possibilité d’un “humanisme positif, d’un humanisme émergeant de lui-même de façon positive”. La base de l’athéisme de Marx et de sa métaphysique laïque n’est par conséquent pas une collection d’arguments philosophiques ou de réfutations spéculatives de l’existence de Dieu. Ce serait un fondement idéologique aussi théologique de caractère que la théologie elle-même. C’est plutôt un humanisme formulé indépendamment et qui se tient sur ses pieds de façon immédiate ou sans intermédiaire46. »
La position dialectique de Marx considérant la religion comme source d’un « bonheur illusoire », rendue nécessaire par l’impossibilité d’un « bonheur réel », signifiait qu’il était possible de reconnaître l’humanité aliénée dans la religion même. Il fut donc capable non seulement d’en référer à la religion comme au « cœur d’un monde sans cœur », mais également de faire des déclarations comme celle-ci : « Après tout, nous pouvons pardonner beaucoup au christianisme, parce qu’il nous a enseigné l’adoration de l’enfant47. » Comparé à ceci, comme Marx le faisait remarquer dans ses Thèses sur Feuerbach, un athéisme brut cherchant à s’établir à côté de la religion traditionnelle « dans les nuages, en tant que royaume indépendant » a relativement peu à offrir. La critique de la religion n’était par conséquent significative socialement que dans la mesure où elle allait au-delà de l’athéisme abstrait et du matérialisme contemplatif et donnait naissance à un athéisme enraciné à la base dans la « pratique révolutionnaire48 ».
La première critique par Marx de la religion et de la philosophie spéculative devait constituer la base de sa future critique de l’idéologie, et tout particulièrement l’idéologie de la société bourgeoise. L’idéologie devint donc un cas plus général de la même inversion d’idées et du monde matériel qui caractérisait la condition aliénée de la religion : « Les pensées dominantes », écrivaient Marx et Engels dans L’idéologie allemande en écho à une critique antérieure par Marx de l’« intellect théologisant », « ne sont pas autre chose que l’expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d’idées49 ».
Marx faisait souvent référence à la Réforme protestante et, plus spécifiquement, au luthéranisme dans le contexte allemand, comme représentant la nouvelle parure religieuse habillant la société bourgeoise naissante. Il pointait donc ironiquement du doigt l’argument de Martin Luther à propos de l’existence d’un monde universel de pillage comme une preuve du dessein de Dieu. Comme Luther le disait lui-même, « Dieu se sert des chevaliers et des voleurs comme fléaux pour punir les marchands du tort qu’ils ont fait ». En ce sens, selon Luther, ces « volerie et larcin peu chrétiens [qui] arrivent dans tout l’univers » préfigurent le jugement « que dira finalement Dieu à cela50 ». Donc, pour Luther — comme Marx entendait clairement que le comprissent ses lecteurs — la rationalité de Dieu était déployée même dans ce que Hobbes avait appelé la « guerre de tous contre tous51 » de la société bourgeoise. Dans Le Capital de Marx, l’argent, les marchandises et le capital lui-même étaient tous considérés comme prenant la forme de Dieu dans la société bourgeoise ; tandis que le profit, la rente et l’intérêt constituaient une nouvelle « Trinité ». Marx comparait le « fétichisme qui adhère aux produits du travail » aux « zones nébuleuses du monde religieux », où « les produits du cerveau humain semblent être des figures autonomes, douées d’une vie propre52 ». Les parallèles entre la critique de la religion et la critique du capital dans la pensée de Marx sont infinis.
Pourtant, Marx continua aussi à affronter la religion (y compris l’argumentation émanant du dessein) plus directement en raison des intrusions de la religion dans les domaines de la moralité et de la science. La moralité devait être jugée non en termes soit fondationalistes soit relativistes, mais en termes d’historicisme radical, dans lesquels les conditions morales se développent avec les besoins matériels des communautés humaines — un point de vue qu’on pouvait déjà retrouver chez Épicure. Il n’y avait pas d’ordre moral divin, ultime pour la société. Par conséquent, Marx attaqua toutes les notions de « tendance mystique, le but providentiel […], la Providence ». Il rejeta toute moralité fondationaliste émanant des causes finales religieuses, insistant en lieu et place sur le fait que les êtres humains étaient « les acteurs et les auteurs de leur propre drame53 ».
Dénonçant l’étroite moralité religieuse et ses effets sur le développement de l’économie politique, Marx faisait remarquer dans Le Capital que « la plupart des théoriciens de la population sont des révérends de l’Église protestante. C’est le cas […], du révérend Wallace, du révérend Townsend, du révérend Malthus et de ses disciples, de l’archi-révérend Th. Chalmers, pour ne pas parler de toute une série de tout aussi révérends mais moins importants porte-plumes de la même encre. […]. C’est plus tard, avec le “principe de population” [dans l’économie politique], que sonna le glas du clergé protestant54 ». La principale objection à de tels penseurs était qu’ils avaient abandonné les principes de la science en permettant aux arguments de la théologie générale et de la moralité religieuse de faire intrusion dans la science de l’économie politique comme faisant partie d’une défense de l’ordre de la classe dirigeante. « La théorie malthusienne », écrivait le jeune Engels en 1844, fut « l’expression économique du dogme religieux de la contradiction de l’esprit et de la nature et de la corruption des deux qui en résulte55 ». Dans sa Dissertation sur les lois des pauvres, de 1786, le révérend Joseph Townsend, faisait remarquer Marx dans le Capital, à la crainte comme motivation de la religion chrétienne ajoutait la faim comme motivation de l’industrie bourgeoise (toutes deux constituant une preuve de la loi naturelle et du dessein de Dieu). « La faim », écrivait Townsend, « non seulement exerce une pression paisible, silencieuse et incessante, mais s’avère la motivation la plus naturelle de l’industrie et du travail, celle qui mobilise les efforts les plus puissants56. »
Pour Marx, Malthus, à l’instar de Townsend avant lui, était coupable de « fanatisme clérical57 ». Bien que les arguments de Malthus eussent été présentés comme scientifiques, ils invoquaient néanmoins Dieu en tant que cause finale et ils prônaient la volonté de Dieu et la morale chrétienne en tant que justification de l’élimination des lois sur les pauvres. La colère générale des classes laborieuses à l’égard de Malthus et de sa théologie naturelle (élevée au niveau d’une science économique) fut le mieux exprimée par le radical politique William Cobbett qui, dans le même esprit général que Marx, disait de Malthus : « Au cours de ma vie, j’ai détesté bien des hommes ; mais jamais aucun autant que vous […]. Aucun assemblage de mots ne peut vous désigner de façon adéquate et, par conséquent, en tant que simple mot convenant le mieux au caractère d’un tel homme, je vous appellerai prêtre de paroisse, qui, parmi d’autres significations, comprend celle d’instrument du trafic de sièges politiques58. »
En contraste avec ces objections à l’égard de Malthus, Marx défendit fermement le caractère scientifique de l’économie d’Adam Smith contre les critiques du théologien et économiste politique Thomas Chalmers, qui considérait que Smith avait rejeté le point de vue chrétien dans sa proche connexion à Hume (qui fut influencé par le matérialisme d’Épicure) et dans son concept du travail improductif, que Chalmers considérait comme une attaque contre le clergé de Dieu. Dans ses écrits d’économie politique, protestait Marx, Chalmers permettait à la religion et à Dieu, avec tous leurs « ornements sacerdotaux chrétiens » de s’immiscer directement dans la science. « L’élément ecclésiastique est […] en évidence, non seulement dans la théorie, mais aussi dans la pratique, puisque ce membre de l’Église établie le défend “économiquement” avec ses “pains et ses poissons” et tout le complexe des institutions avec lesquelles cette Église prospère ou décline59. »
La mort de la téléologie
La conception matérialiste de la nature et la conception matérialiste de l’histoire étaient pour Marx les deux bases indispensables de la science moderne. L’histoire humaine et l’histoire naturelle constituaient finalement un seul cadre historique de référence. Par conséquent, il avança de façon cohérente des points de vue évolutifs s’opposant à toutes les notions de dessein émanant d’une déité. La vie, prétendait-il, avait commencé dans le monde en conformité avec une certaine sorte de génération spontanée. En compagnie d’Engels, il prétendait en 1846, dans L’idéologie allemande, que l’existence organique ne pouvait être comprise en termes téléologiques, mais qu’elle impliquait « la compétition la plus farouche parmi les plantes et les animaux », dans laquelle la relation des espèces aux conditions naturelles était la cause matérielle. Et, très tôt, il avait adopté la conception du temps profond émergeant de la géologie historique60.
L’admiration de Marx envers la théorie de l’évolution de Darwin est bien connue. On a dit qu’il n’avait parlé de rien d’autre, des mois durant, après la publication de L’origine des espèces. En lisant l’ouvrage de Darwin peu de temps après sa parution, Marx écrivait à Ferdinand Lasalle : « C’est ici que, pour la première fois, la “téléologie” dans les sciences naturelles a reçu non seulement un coup mortel, mais a également vu sa signification rationnelle expliquée de façon empirique61. » Sa seule critique à l’encontre de Darwin, c’était qu’en s’appuyant sur Malthus pour l’inspiration dans le développement de sa théorie de la sélection naturelle, il avait par inadvertance ajouté foi, au sein du royaume social, à la doctrine malthusienne, qui avait épousé la moralité chrétienne, la théologie naturelle et les justifications bourgeoises de la division de classe et de propriété. Dès ce moment, Marx et Engels cherchèrent de tout temps à séparer la doctrine darwinienne du malthusianisme ou du darwinisme social, en même temps qu’ils adhérèrent à une science matérialiste et humaniste, cherchant à développer plus avant la liberté de l’homme.
S’écartant de la loi malthusienne abstraite de la population, qui était censée justifier les rapports de classes, Marx se tourna de plus en plus vers le nouveau domaine de l’anthropologie afin de développer une compréhension historique, matérialiste et scientifique du développement des populations et sociétés humaines dans tous leurs aspects. Il fit remarquer que, de même que Darwin avait fait référence aux organes développés par les espèces comme à un genre de « technologie naturelle62 », résultat de la sélection naturelle, les outils humains étaient également une extension des organes des êtres humains et le produit d’une évolution sociale. « Mais l’histoire de la formation des organes productifs de l’homme social, de la base matérielle de toute organisation particulière de la société, ne mérite-t-elle pas la même attention ? Et ne serait-elle pas plus facile à exposer puisque, comme le dit Vico, l’histoire des hommes se distingue de l’histoire de la nature en ce que nous avons fait l’une et pas l’autre63 ? »
De façon significative, au moment même où Darwin introduisait sa théorie de l’évolution par l’évolution naturelle, un second assaut, non moins sérieux, contre la conception biblique du monde, se produisait. L’année 1859, celle de la publication de L’origine des espèces de Darwin, marqua également le début de ce qu’on a appelé la « révolution dans l’ère ethnologique64 ». Bien que les restes de Néandertal aient été découverts en 1856, il a fallu du temps aux naturalistes pour réaliser ce dont il retournait exactement. La découverte en 1859 de restes humains préhistoriques dans la caverne de Brixham, près de Torquay, dans le sud-ouest de l’Angleterre, a fourni la preuve scientifique définitive de ce que les êtres humains avaient existé sur terre depuis des temps immémoriaux65. Ceci étendit la ligne du temps humain bien au-delà de l’histoire enregistrée, contredisant le point de vue reposant sur la Bible et disant que l’humanité n’avait tout au plus que quelques milliers d’années. Brusquement, les scientifiques étaient confrontés à des preuves de ce que les êtres humains avaient évolué durant une période de temps bien plus longue que celle accordée à l’histoire de la Terre par les auteurs de la Bible. Les biologistes et les géologues étroitement associés à Darwin, comme John Lubbock et Thomas Huxley, se mirent à considérer la question de l’évolution humaine en s’appuyant en partie sur ce qui devait être révélé des temps préhistoriques.
Lubbock bâtit son œuvre sur la distinction opérée par Épicure et Lucrèce entre les âges de la pierre, du bronze et du fer. Pendant ce temps, Lewis Henry Morgan introduisit son ouvrage de pionnier de l’anthropologie, Ancient Society (la société ancienne), reposant surtout sur ses études des Iroquois — faisant remonter les racines de sa propre perspective évolutionniste à Lucrèce66. Une grande partie des recherches de Marx durant le reste de sa vie, après la publication du Livre I du Capital, en 1867, recherches qui allaient même prendre le pas sur ses recherches économiques, fut consacrée aux études ethnologiques plus poussées telles qu’elles sont représentées dans ses Ethnological Notebooks (Carnets de notes ethnologiques, 1880-82). L’approche de Marx s’appuya sur celle de Morgan, dans le sens qu’il tenta de comprendre le plein développement des relations productives et familiales humaines, reconnaissant qu’une véritable anthropologie humaine de la préhistoire était désormais concevable. Cela constitua donc une extension du magistère de la science aux dépens de celui de la religion.
En partant de là, et bien que Marx ait consacré la plus grande partie de sa vie d’adulte à développer la critique du régime du capital en tant que forme de production basée sur les classes, ceci doit être considéré comme une partie d’une vision du monde matérialiste et humaniste bien plus fondamentale qui naquit de sa critique de la religion. À l’instar de Hume, Marx adorait faire référence, non seulement à Lucrèce, mais aussi au satiriste ultérieur, l’épicurien Lucien de Samosate (vers 120-après 180) et à ses Dialogues des dieux, dans lesquels, selon Marx, les dieux mouraient d’une seconde mort due à la comédie. Et, de la même façon que Hume s’était tourné vers Lucrèce et Lucien sur son lit de mort, la réponse de Marx à la mort, telle que la narre Engels, fut de citer Épicure : « La mort n’est pas une infortune pour celui qui meurt, mais pour celui qui lui survit. »
En effet, fit remarquer Marx, Épicure prétendait que « le monde devait être désillusionné et, tout particulièrement, libéré de la crainte des dieux, car le monde est mon ami ». Lucrèce avait écrit, de son côté : « Les choses accèdent à l’existence sans l’aide des dieux. » Marx ajouta que toute l’histoire de l’humanité, y compris le développement de la nature humaine, la formation des nouveaux besoins, etc. était faite par les êtres humains en tant qu’êtres automédiateurs de la nature, sans l’aide des dieux67.
1 En ligne : http://monthlyreview.org/2008/10/01/marxs-critique-of-heaven-and-critique-of-earth.
2 Karl Marx, « L’éditorial du no 179 de la Kölnische Zeitung », dans Karl Marx et Friedrich Engels, Sur la religion, Éditions sociales, Paris, 1960, p. 24. La raison « spirituelle », faisait observer Marx à la suite, c’est l’un des plus anciens pères de l’Église, Tertullien, qui « l’exprime de la manière classique suivante : verum est, quia absurdum est ». (C’est vrai, parce que c’est absurde.)
3 Karl Marx, « Différences de la philosophie de la nature chez Démocrite et chez Épicure », dans Œuvres philosophiques, tome 1, Alfred Costes, Paris, 1952, p. 71.
4 Center for Renewal of Science an Culture, Discovery Institute, « The Wedge Strategy » [document], 1999 (http://www.antievolution.org/features/wedge.html) ; Benjamin Wiker et Jonathan Witt, A Meaningful World, InterVarsity Press, Downers Grove (Illinois), 2006, 15 16, 60.
5 Karl Marx, « Critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction », Annales franco-allemandes, 1844. Dans Karl Marx et Friedrich Engels, Sur la religion, Éditions sociales, Paris, 1960, p. 41, p. 42. Ou Critique du droit politique hégélien, Éditions sociales, Paris, 1975, p. 197, p. 198.
6 David McLellan, Karl Marx, Harper an Row, New York, 1973, p. 1-16 ; Arend Th. van Leeuwen, Critique of Heaven, Charles Scribner’s Sons, New York, 1972, p. 40–43, p. 78 ; Marx et Engels, Collected Works, International Publishers, New York, 1975, vol. 1, p. 636-639 ; Sidney Hook, From Hegel to Marx, University of Michigan, Ann Arbor, 1962, p. 81.
7 Marx et Engels, Correspondance, tome 1, Éditions sociales, Paris, 1971, p. 35 (http://www.marxists.org/archive/marx/works/1837-pre/letters/37_11_10.htm). En allemand : « Brief an den Vater in Trier », p. 8-9 (http://www.mlwerke.de/me/me40/me40_003.htm#S8).
8 Ibid., p. 37.
9 Marx et Engels, Collected Works, vol. 4, p. 126-128 ; Arend Th. van Leeuwen, Critique of Heaven, Charles Scribner’s Sons, New York, 1974, p. 14-16.
10 Francis Bacon, Philosophical Works, Freeport, New York, 1905, p. 473 ; Marx et Engels, Collected Works, vol. 1, p. 201 ; Charles Darwin, Notebooks 1837-1844, Cornell University Press, Ithaca, New York, 1987, p.637.
11 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Lectures on the History of Philosophy, University of Nebraska Press, Lincoln, 1995, vol. 3, p. 184-187.
12 Friedrich Engels, « Esquisse d’une critique de l’économie politique », Annales franco-allemandes, 1844. Dans Marx, Critique de l’économie politique, 10/18 no 667, Paris, 1972, p. 33. Aussi dans Karl Marx, Écrits de jeunesse, Quai Voltaire, Paris, 1994, p. 464.
13 Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, dans Marx et Engels, Œuvres choisies en deux volumes, vol. 2, p 402.
14 Charles H. Talbert, « Introduction », Hermann Samuel Reimarus, Reimarus: Fragments (Chico, Californie : Scholars Press, 1970), 1 ; Julian Jaynes et William Woodward, « In the Shadow of the Enlightenment : I. Reimarus Against the Epicureans », Journal of the History of the Behavioral Sciences, vol. X, no 1 (janvier 1974) : p. 5-6.
15 Le titre allemand complet des Instincts des animaux de Reimarus (1760) était : Allgemeine Betrachtungen über die Triebe der Thiere, hauptsächlich über ihre Kunsttriebe, zur Erkenntnis des Zusammenhanges zwischen dem Schöpfer und uns selbst.
16 Hermann Samuel Reimarus, The Principal Truths of Natural Religion Defended and Illustrated, in Nine Dissertations : Wherein the Objections of Lucretius, Buffon, Maupertuis, Rousseau, La Mettrie, and Other Ancient and Modern Followers of Epciurus are Considered, and their Doctrines Refuted, B. Law, Londres, 1766, p. 117-120, p. 152, p. 220.
17 Reimarus, Principal Truths of Natural Religion, p. 76, p. 84, p. 242.
18 Reimarus, Principal Truths of Natural Religion, p. 156-157, p. 229-234, p. 250-251.
19 Jaynes et Woodward, « In the Shadow of the Enlightenment : I. Reimarus Against the Epicureans », 4 ; Julian Jaynes et William Woodward, « In the Shadow of the Enlightenment : II. Reimarus and His Theory of Drives », Journal of the History of the Behavioral Sciences, vol. X, no 2 (avril 1974), p. 154.
20 Karl Marx, Capital, Livre I, Éditions sociales, Paris, 1983, p. 200.
21 Marx, Early Writings, p. 328-329 ; A. van Leeuwen, Critique of Earth, p. 20, p. 53. L’importance revêtue par Reimarus parmi les jeunes hégéliens est évidente dans l’œuvre de Strauss, qui rédigea une étude majeure sur l’Apologie de Reimarus, dans laquelle il déclarait : « Toutes les religions positives sans exception sont ouvrages de tromperie ». David Strauss, « Hermann Samuel Reimarus and His Apology », dans Reimarus, Reimarus : Fragments, p. 46.
22 Marx et Engels, Collected Works, vol. 4, p. 79.
23 Voir Karl Marx et Friedrich Engels, Ex Libris (Berlin : Dietz Verlag, 1967), p. 127 ; Gottfried Wilhelm Leibniz et Samuel Clarke, The Leibniz-Clarke Correspondence (New York : Manchester University Press, 1956), p. 166 ; Marx et Engels, Collected Works, vol. 1, p. 190.
24 Paul M. Schafer, « Introduction », dans Schafer, dir., The First Writings of Karl Marx (Brooklyn, New York : Ig Publishing, 2006), p. 45 ; Marx et Engels, Collected Works, vol. 1, p. 43. Pour une discussion générale de la relation de Marx à Épicure, voir John Bellamy Foster, Marx’s Ecology (New York : Monthly Review Press, 2000), p. 32-65.
25 Friedrich Engels, « Bruno Bauer et le christianisme primitif », dans Karl Marx et Friedrich Engels, Sur la religion, Éditions sociales, Paris, 1960, p. 194.
26 A. van Leeuwen, Critique of Heaven, p. 74.
27 Karl Marx, « Différences de la philosophie de la nature chez Démocrite et chez Épicure », dans Œuvres philosophiques, tome 1, Alfred Costes, Paris, 1952, p. xxiv.
28 Ibid. p. xxiii.
29 Ibid.
30 A. van Leeuwen, Critique of Heaven, p. 77.
31 Marx et Engels, Collected Works, vol. 1, p. 51, p. 74-75, p. 91, p. 448, p. 508-09.
32 Marx et Engels, Collected Works, vol. 1, p. 84.
33 Paul Henri Thiry, baron d’Holbach , Système de la nature ou des lois du monde physique et du monde moral , Londres, 1771. Voir http://classiques.uqac.ca/classiques/holbach_baron_d/systeme_de_la_nature/Systeme_de_la_nature%20.pdf, p. 335.
34 Marx et Engels, Collected Works, vol. 1, p. 102-105, p. 446-448, p. 509.
35 Cité dans Hook, From Hegel to Marx, p. 17.
36 Marx et Engels, La Sainte Famille, VI. « La Critique critique absolue » ou « la Critique critique » personnifiée par M. Bruno, 1. Première campagne de la critique absolue, a. L’ « Esprit » et la « Masse » http://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/09/kmfe18440900q.htm).
37 Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (avant la critique du § 270).
38 A. van Leeuwen, Critique of Heaven, p. 195.
39 Ernst Bloch prétendait que « les première et onzième thèses sur Feuerbach sont déjà présentes de façon embryonnaire dans les références à Épicure » dans la dissertation de Marx. Voir Bloch, Karl Marx (New York : Herder an Herder, 1971), p. 156.
40 La relation de Marx à Feuerbach est plus complexe quand on considère que, dans son Histoire de la philosophie moderne, Feuerbach a traité en détail de la résurrection d’Épicure par Gassendi et que ceci a influencé Marx dans la rédaction de sa dissertation. Voir Marx et Engels, Collected Works, vol. 1, p. 94.
41 Ludwig Feuerbach, The Fiery Brook (Garden City, New York : Doubleday, 1972), p. 161, p. 172, p. 198 ; Foster, Marx’s Ecology, p. 68-71.
42 A. van Leeuwen, Critique of Heaven, p. 12.
43 Marx, Early Writings, p. 243-245.
44 Marx, Early Writings, p. 357.
45 Marx, Early Writings, p. 218.
46 Thomas Dean, Post-Theistic Thinking : The Marxist-Christian Dialogue in Radical Perspective ; (Philadelphie : Temple University Press, 1975), p. 69.
47 Marx cité dans Eleanor Marx, « Karl Marx : A Few Stray Notes », dans Institute of Marxism-Leninism, Reminiscences of Marx and Engels (Moscou : Foreign Languages Publishing House, non daté), p. 253.
48 Thèse 4. Karl Marx et Friedrich Engels, Œuvres choisies en deux volumes, Éditions du Progrès, Moscou, s. d. (conforme à l’édition russe de 1955), t. 2, p. 440.
49 Marx et Engels, L’idéologie allemande, Éditions sociales, Paris, 1976, p. 44.
50 Cité par Marx au chapitre 20 du Livre III du Capital. Éditions sociales, Paris, 1957, Livre III, tome 1, p. 339-340, note 1. Marx se réfère au Von Kauffshandlung und Wucher de Luther en 1524. Marx revient encore à Luther sur l’usure, ibid., tome 2, p. 270.
51 Hobbes, « bellum omnium contra omnes » dans le De cive, 1642 et « … such warre, as is of every man, against every man », dans le Leviathan, 1651.
52 Karl Marx, Capital, Livre I, chap. 1, « 4. Le caractère fétiche de la marchandise et son secret ». Éditions sociales, Paris, 1983, p. 83.
53 Cornel West, The Ethical Dimensions of Marxist Thought (New York : Monthly Review Press, 1991) ; Marx et Engels, Collected Works, vol. 6, p. 170, p. 173 ; Épicure, The Epicurus Reader (Indianapolis : Hackett Publishing Co., 1994), p. 35.
54 Karl Marx, Capital, Livre I, chap. 23, « 1. Demande croissante… ». Éditions sociales, Paris, 1983, p. 691.
55 Marx an Engels, Collected Works, vol. 3, p. 439.
56 Karl Marx, Capital, Livre I, chap. 23, « 4. Diverses formes… ». Éditions sociales, Paris, 1983, p. 725. Marx cite Townsend aussi dans Grundrisse (Penguin, 1973, p. 845).
57 Karl Marx, Grundrisse (Penguin, 1973, p. 605).
58 Cobbett cité dans Kenneth Smith, The Malthusian Controversy (Londres : Routledge and Kegan Paul, 1951).
59 Karl Marx, Theories of Surplus Value (Moscou : Progress Publishers, 1971), part 1, p. 299-300 (http://www.marxists.org/archive/marx/works/1863/theories-surplus-value/ch04.htm#s19) ; part 3, p. 56-57 (http://www.marxists.org/archive/marx/works/1863/theories-surplus-value/ch19.htm). Théories sur la plus-value (Éditions sociales, 1974), tome 1, p. 342-343 ; tome 3…
60 Voir Foster, Marx’s Ecology, p. 117-126 ; Marx, Collected Works, vol. 5, p. 471-473.
61 Karl Liebknecht, « Reminiscences of Marx », dans Institute of Marxism-Leninism, Reminiscences of Marx and Engels, p. 106 ; Marx et Engels, Collected Works, vol. 41, p. 232, p. 246-247.
62 Karl Marx, Capital, Livre I, chap. 13, « 1. Le développement de la machinerie ». Éditions sociales, Paris, 1983, p. 417 ; Darwin, The Origin of Species (Londres : Penguin, 1968), p. 187-188.
63 Marx, Capital, ibid, p. 417-418.
64 Thomas R. Trautmann, Lewis Henry Morgan and the Invention of Kinship (Berkeley : University of California Press, 1987), 35, 200 ; Foster, Marx’s Ecology, p. 212-221.
65 Jacob W. Gruber, « Brixham Cave and the Antiquity of Man », dans Melford E. Spiro, dir., Context and Meaning in Cultural Anthropology, Free Press, New York, 1965, p. 373-402. L’importance de certains des premiers restes humains préhistoriques retrouvés au 19e siècle (y compris ceux de Néandertal) fut d’abord mise en doute en raison des mauvaises conditions dans lesquelles ces trouvailles furent exhumées, en s’écartant du processus lent et prudent requis par le travail géologique, en négligeant souvent de conserver le contexte stratigraphique propre, ce qui amena des observateurs scientifiques à soupçonner que des restes de strates géologiques différentes avaient été mêlés les uns aux autres. Par contraste, l’exhumation des restes de Brixham fut supervisée par la Société géologique de Londres et c’est à partir de là qu’il fut confirmé pour la première fois et à titre définitif que les êtres humains avaient existé sur terre dans un passé très ancien.
66 Trautmann, Lewis Henry Morgan, p. 32, p. 172-173.
67 Marx et Engels, Collected Works, vol. 5, p. 141-142 ; Marx et Engels, Collected Works, vol. 3, p. 179 ; Foster, Marx’s Ecology, p. 51-62 ; Frederick Engels, « Letter to Friedrich Adolph Sorge, March 15, 1883 », dans Philip S. Foner, ed., Karl Marx Remembered (San Francisco : Synthesis Publications, 1983), p. 26 ; István Mészáros, Marx’s Theory of Alienation (Londres : Merlin Press, 1971), p. 162-189.
Source: http://www.marx.be/fr/marx-critique-ciel-terre