Ce mois-ci, on vogue de surprises en surprises. Après avoir découvert avec stupéfaction que les banques françaises, c’est du solide, après avoir poussé un gros « ouf » de soulagement en apprenant que le budget français était accepté par Bruxelles grâce aux efforts de Sapin, on apprend avec la plus grande des stupeurs que le patron de la CGT aurait eu des faiblesses avec l’argent de son syndicat.
Rendez-vous compte : d’après des informations du Canard Enchaîné, journal satirique rarement pris en défaut, Thierry Lepaon, l’actuel secrétaire général du syndicat ouvrier, aurait bénéficié de la remise à neuf de son logement, situé près du château de Vincennes, tous frais payés par son employeur, la CGT. Et quels frais ! La facture initiale s’établissait à 150.000 euros mais aura été réduite par l’humilité du leader syndical qui aura, pour économiser 20.000 euros, renoncé à l’installation d’un home-cinéma et d’une cave à vin. Au final, cette facture de rénovation du domicile s’élève finalement à 130.000 euros pour cet appartement de 120 mètres carrés dans une résidence de standing, qui sera donc payée par les militants de la CGT (ce qui représente 750 adhésions annuelles tout de même).
Enfin… Payée par les militants, on s’entend.
En pratique, tout le monde sait que les fonds de la CGT ne proviennent pas exclusivement de ces cotisations ni d’une vente de muguet qui avait, en son temps, permis au parti communiste de durer un peu au-delà de la Chute du Mur de Berlin. La récente condamnation de la même CGT, au sein de laquelle éclate ce nouveau scandale à 130.000 euros, permet de bien resituer l’ambiance générale qui règne dans le syndicalisme français. Entre les financements particulièrement occultes, voire carrément mafieux, les exactions diverses (allant du vol à l’intimidation en passant par la séquestration en bande organisée) et les agissements souvent indépendants de l’intérêt des salariés qu’il est censé représenter, le syndicalisme à la française tient beaucoup plus de la bonne tuyauterie politico-fiscale pour endormir des sommes conséquentes au nez et à la barbe des consommateurs, des entreprises et même de l’État, que d’un système sain destiné à protéger le salarié quand celui-ci est en difficulté avec son employeur.
Bien sûr, comme le remarque avec justesse Eric Verhaeghe dans un article publié sur le Figaro, il ne faut pas douter une seule seconde que si Lepaon est ainsi placé sous les feux de l’actualité, c’est parce qu’opèrent actuellement des luttes intestines au sein de la centrale syndicale et aussi parce que l’actuel leader n’est pas du tout en odeur de sainteté auprès du pouvoir qui fait donc tout pour le dégommer. Un renouvellement des têtes à la CGT est prévisible et même souhaitable, tant pour la CGT que pour l’État. Voilà qui justifie amplement que soient menées quelques opérations de nettoyage à son encontre. Certes.
Si l’on se rappelle que d’autres leaders, pour d’autres syndicats (par exemple Blondel, de Force Ouvrière, avec cigares et chauffeur personnel) avaient déjà cette habitude de vivre très au-delà des moyens des ouvriers dont ils ont la représentation officielle, on comprend qu’il ne s’agit pas là d’un petit accident de parcours. En réalité, ce qui arrive à Lepaon, missile tiré pour en finir avec l’actuelle tête de la CGT, n’est qu’un exemple des dérives multiples et répétées du syndicalisme à la française.
Et ce syndicalisme à la française, je ne vois vraiment pas pourquoi on fait tant pour le conserver. Je ne vois pas pourquoi on va même jusqu’à obliger, au premier janvier 2015, chaque salarié à abonder aux fonds versés à ces syndicats, qu’il le veuille ou non. Je ne vois pas pourquoi, compte-tenu des catastrophes que ces syndicats ont provoquées (la SNCM en est un exemple récent très documenté), et compte-tenu de la situation économique désastreuse du pays, on continue d’accorder autant d’importance, autant de crédit et autant de fonds à ces organisations. Je ne comprends pas pourquoi les condamnations de ces syndicats, pour des faits franchement graves, sont aussi clémentes.
Ou plutôt si, je comprends très bien. Je comprends très bien le noyautage que ces syndicats sont parvenus à réaliser, partout, depuis les médias jusqu’à la magistrature, noyautage qui permet à ces condamnations d’être si légères, et les retombées médiatiques d’être si faibles, sauf lorsqu’il s’agit précisément de faire tomber un individu gênant. Je comprends très bien que, parties prenantes (et pour prendre, elles prennent) de « systèmes paritaires » dans lesquels des sommes colossales sont injectées (la Sécurité Sociale en premier), ces syndicats soient rapidement devenus de véritables états dans l’Etat, et qu’ils n’entendront pas lâcher le gâteau sans faire un maximum de dégâts avant. Je comprends très bien que les politiciens, main dans la main avec ces organisations mafieuses, ne bougeront pas le petit doigt pour changer quoi que ce soit à ces situations iniques et corrompues au plus haut point : ils en bénéficient aussi directement et indirectement.
Cette « affaire Lepaon » va, à l’évidence, se terminer en jus de boudin. Si le but poursuivi est atteint, l’actuel dirigeant partira et sera remplacé par une autre marionnette. Sinon, ce ne sera que partie remise. Mais quoi qu’il arrive, les agissements louches, les bidouilles comptables, le train de vie décalé des cadres continueront.
Si les syndicats à la française étaient là pour les syndiqués, à force, ça se serait vu.
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