Nous vous avons conté, récemment l’épopée, jugée peu crédible par les historiens contemporains, des frères Zen qui, selon les vénitiens, auraient découvert l’Amérique avant Christophe Colomb.
Il est intéressant de constater qu’Estotiland et Drogeo, présentés comme des îles par Zeno, sont très tôt retranscrits comme des territoires américains, au Nord-Est du continent. Cette localisation a été durablement défendue par les Vénitiens. Au XVIIIème siècle, l’abbé Formaleoni parle d’une gloire volée par Colomb aux frères Zeno : « gloria per altro nom sua ; poiche rapita anch’essa ai nostri Zeni« . En effet, si Antonio Zeno avait réellement abordé le continent américain vers 1400, Venise aurait alors damé le pion à sa grande rivale maritime, Gênes, patrie de Christophe Colomb ! Ce sont sans doute ces considérations politiques qui ont poussé Nicolo Zeno à élaborer sa mystification littéraire et géographique.
Antonio Zeno, informé de l’existence de terres sauvages au sud-ouest du Groenland, l’Estotiland et le Drogeo, part les explorer, découvrant en route l’Icarie. Au fil du temps, on a essayé de découvrir quels territoires pouvaient se trouver ainsi décrits. Une hypothèse encore défendue par certains aujourd’hui est que le Frisland ferait référence aux iles Féroé, l’Estotiland au Labrador et le Drogeo à Terre-Neuve : selon cette interprétation, les frères Zeno auraient ainsi navigué jusqu’à l’Amérique avant Christophe Colomb…
Cette thèse des Vénitiens en Amérique a été entretenue jusqu’au XIXème siècle, surtout chez les auteurs italiens, comme Placido Zurla.
Mais le scepticisme a commencé à se développer à partir des années 1830, et a été renforcé par la redécouverte de la Carta marina d’Olaus Magnus en 1886.
La carte de Zeno présente en effet des similarités avec la Carta marina réalisée par Olaus Magnus, et publiée pour la première fois à Venise en 1539 ; ou avec la Caerte van Oostlant de Cornelius Anthoniszoon, datant de 1543. Mais l’inspiration cartographique la plus frappante semble se trouver chez un voyageur et cartographe danois, Claudius Clavus (Claussön Swart). Au cours des premières décennies du XVème siècle, un voyage l’a mené au Nord de l’Europe, jusqu’en Islande et le long des côtes du Groenland, où il aurait atteint à l’ouest le 70e parallèle nord. Clavus a retranscrit les connaissances acquises alors sous forme de deux cartes manuscrites du Nord-Ouest de l’Europe, faisant de lui notamment le premier cartographe du Groenland. La position géographique, la forme et l’orientation de ce dernier, ainsi que de l’Islande, se retrouvent quasiment à l’identique chez Zeno.
A la fin du XIXème siècle, l’ouvrage de Fred W. Lucas consacré à la démonstration de la supercherie de Nicolo Zeno a annoncé la reconnaissance généralisée de la nature fictionnelle du récit.