Note : 3/5
En deux films seulement, aussi flamboyants l’un que l’autre, Céline Sciamma s’est fait une solide réputation de grand espoir du cinéma français. Il est vrai que cela faisait longtemps qu’une réalisatrice ne s’était attaquée aussi frontalement, aussi justement, à la question de la recherche d’identité, que ce soit les adolescentes de Naissance des Pieuvres (2007) en pleine interrogation quant à leur orientation sexuelle, ou la petite fille de Tomboy (2011) qui ne peut s’empêcher de se faire passer pour un petit garçon.
Difficile donc de croire que la jeune réalisatrice française ferait autre chose qu’un bon film pour Bande de Filles. Or, malheureusement, Sciamma, avec ce dernier, si elle confirme son sens de la mise en scène, montre quelques limites à traiter le sujet qu’elle a choisi d’aborder, délaissant un peu trop la douce et fragile subtilité qui faisait le charme de ses précédentes œuvres.
© Pyramide Distribution
Le film est le récit de Marieme, jeune fille d’environ 16 ans qui, alors que les vacances d’été vont commencer, se voit refuser une rentrée prochaine dans une seconde générale. Accablée par cet échec scolaire, mais aussi par la loi machiste qui régit tous les rapports de la cité dans laquelle elle vie, elle trouve refuge auprès d’un trio de fille, menées par la charismatique Lady, un moyen de s’émanciper, de trouver son identité dans ce monde peu conciliant au sein duquel elle vit.
Si le postulat de départ d’inclure Marieme dans cette bande de fille est d’abord alléchant et même bien mené pendant la première partie du film, Sciamma tombe rapidement dans une radiographie des cités stéréotypée, empêchant rapidement son héroïne d’avoir une autonomie et une liberté, mais surtout en l’engluant dans absolument tous les problèmes de société auxquels sont confrontées les banlieues HLM : l’échec scolaire, le machisme, la difficulté d’un travail ingrat, mais aussi le jugement constant des autres et les qu’en-dira-t-on, ou encore la drogue, le trafic ou la prostitution.
À trop vouloir en faire, à trop vouloir dénoncer une vie des cités qui opprime la jeune femme, Sciamma oublie qu’un récit n’est jamais aussi fort que quand il est subtil, travaillé dans le non-dit des interdits, et non pas dans une exposition stérile car trop explicative. Du drame que la jeune réalisatrice veut mettre en place, on ne voit en effet que le postulat stérile de vouloir faire un portrait des banlieues parisiennes le plus complet, le plus explicatif qui soit.
Bande de Filles n’aurait-il pas été plus fort si, justement, il respectait son postulat de départ ? Celui de montrer le combat quotidien de jeunes filles face à l’oppression machiste commune qui régit les rapports adolescents au sein des barres d’immeubles de Bobigny. Or Sciamma, avec une dernière partie qui agit un peu comme une goutte d’eau faisant déborder le vase, se tire une balle dans le pied, choisissant de faire de son héroïne une martyr pour laquelle la seule sortie possible est le trafic de drogue. Elle deviendra en effet dealeuse pour le caïd du coin, qui, là encore, en plus d’être un voyou s’avère être un machiste qui veut profiter d’elle. Triste constat que celui de Sciamma qui, après avoir offert une porte de sortie avec la bande de filles, ne trouve rien de mieux que d’isoler à nouveau Marieme, et d’en faire un personnage sans avenir.
Car c’est réellement cette conclusion, cette dernière partie du film construit en trois actes bien distincts, qui plombe une œuvre qui tenait alors la route, jouant allègrement avec les stéréotypes des banlieues tout en proposant cette belle idée de la bande de filles qui recueille Marieme en son sein. Il y a une véritable force dans la manière dont ces dernières se démènent sans cesse pour vivre leur féminité, même si il faut pour cela aller racketter d’autres filles pour pouvoir se déguiser en femmes dans une chambre d’hôtel louée pour la nuit.
© Pyramide Distribution
Ces filles sont intéressantes, fortes, car c’est véritablement un combat qu’elles mènent contre le monde qui est le leur, contre les règles de bonnes conduites que leur dicte la microsociété machiste de la cité. Et il faut reconnaître que, malgré tous ses défauts, Bande de Filles est un très beau film de mise en scène. Sciamma, comme elle avait fait notamment dans le final éblouissant de Naissance des Pieuvres, arrive à créer de très beaux moments de cinéma, filmant avec brio la complicité, la violence, et la volonté de ces jeunes femmes qui refusent leurs destins tous tracés qu’ont dessiné pour elles les hommes de la cité.
On aurait aimé voir ces beaux instants se concrétiser, ne pas être gangrénés par cette autre volonté de montrer tous les stéréotypes de la vie en banlieue. Ces quatre jeunes femmes qui affirment être « belles comme des diamants » en chantant sur la chanson de Rihanna, dans la lumière bleutée de leur chambre d’hôtel : telle est l’image qu’on aurait voulu garder en mémoire. L’image électrisante de quatre jeunes filles dans le vent qui font fi de toutes les conventions sociales qui régissent leur vie, qui se battent justement contre les stéréotypes et les clichés dans lesquels elles sont enfermées.
Malheureusement Sciamma en a décidé autrement, faisant de cette jeune Marieme une jeune femme qui ne montre pas réellement de résistance, et cède peut-être beaucoup trop vite aux forces antagonistes qui veulent l’empêcher de vivre pleinement la vie de jeune femme libérée qu’elle semble vouloir vivre. Car l’autre grand défaut du film, c’est aussi de nous présenter une héroïne qui nous apparaît d’abord comme une battante et qui ne se bat justement pas assez dès qu’elle se trouve face à l’adversité, choisissant la « facilité » de se tourner vers le trafic de drogue, et non pas la difficulté de rester unie à ses amies.
© Pyramide Distribution
Comment alors s’attacher pleinement à Marieme ? Comment accepter qu’elle abandonne ses amies, ce qui semble le plus important à ses yeux (la dernière séquence de groupe à l’hôtel nous le montre bien) dès la première grosse épreuve ? Comment alors ne pas être déçu par Bande de Filles ? Seulement lorsque la réalisation est telle qu’elle suffit à gommer tous les défauts. Sciamma y arrive presque, mais une bonne mise en scène ne suffit pas toujours.
Simon Bracquemart
Film en salles depuis le 22 octobre 2014.