Sur le BdB, nous vous parlons de livres, mais avons également un petit faible pour la presse originale et innovante. 6 mois, Polka et Feuilleton sont passés en leur temps par le filtre de nos claviers et cela fait plusieurs mois déjà que j’avais envie d’écrire un billet sur le 1, un hebdomadaire pas tout à fait comme les autres qui parait depuis début 2014. Je reçois ce matin le numéro de la semaine intitulé « Le Français a-t-il avalé sa langue ? ». Un thème suffisamment Bdbesque pour que je consacre au pied levé une petite chronique au plus littéraire des journaux d’actualité.
L’avis d’Emmanuel
Expérience uniqueParé de sa maquette aussi sobre qu’élégante et de son papier un peu trop blanc, le 1 ne paye guère de mine. Sa minceur un peu suspecte, l’amène d’ailleurs souvent, sur le rayonnage des marchands de journaux, à passer au second plan, caché derrière de tape-à-l’œil journaux à suppléments. Peu de chances que vous soyez tombé dessus par hasard donc. Son côté origami pour les nuls, ayant probablement suffi, si la providence avait toutefois forcé la rencontre, à vous dissuader d’aller plus loin. Quel dommage ! Quelle erreur ! Car si le 1 surprend au premier abord, c’est pour mieux plaire ensuite. Et s’il déroute, c’est pour créer de nouvelles habitudes chez son lecteur. Prenez le pli du 1 ! dit la réclame. Quelle belle trouvaille ! Car tout le 1 est dans la simplicité de cette expérience, celle d’une grande feuille imprimée sur toutes ses faces et recroquevillée sur elle-même que l’on déplie peu à peu pour plonger en plusieurs temps dans les profondeurs d’un sujet d’actualité.La première de couverture allèche avec son titre et son sommaire agrémenté de citations, dont bien souvent un extrait littéraire qui contextualise le sujet (Cioran cette semaine). On ouvre ensuite une double page qui met face à face un poème en rapport avec le thème, commenté, et un long texte d’opinion, écrit par une personnalité du monde des lettres ou de la culture (Reiner Maria Rilke et Nancy Huston, respectivement dans le présent numéro). On déplie ensuite pour révéler une page A3 (quadruple) qui associe une frise graphique sur l’un des aspects du thème, quelques articles « d’experts » (scientifiques, statisticiens) et un dialogue philosophique. Puis on arrive au sommet, dépliant une dernière fois pour accéder au poster, cœur battant du journal qui confronte une myriade de petits articles pour former avec une ou plusieurs iconographies d’artistes de qualité (Picabia dans le numéro que je tiens dans mes mains) une mosaïque de points de vue qui permettent au lecteur de se faire le sien propre sur la question de la semaine. Puis l’on remet tout ça en ordre, et achève sa lecture avec trois billets d’humeur, l’un centré autour d’un mot, un autre autour d’une anecdote et le dernier en forme de dessin original, dans la tradition de l’illustration de presse.
BibliocarburantAvec cette expérience, et l’exploration de cette question unique, le 1 vient apporter cette chose pour moi cruciale qui disparaît chaque jour un peu plus de l’actualité telle qu’elle nous est désormais livrée : du sens. Dans le 1, on est loin de l’information brute des dépêches AFP que vous recrache Le Monde dans ses alertes intempestives, ou des trois quotidiens gratuits que l’on vous force à prendre chaque matin à l’entrée d’une bouche de métro. Mais on n’est pas plus proche des articles de « fond » d’un Slate ou d’un Rue89, qui prétendant embrasser des sujets de société, se contentent d’un verbiage superficiel qui ne fait pas même semblant d’espérer vous apprendre quelque chose. On est au-delà de tout ça. Dans la distance réfléchie, dans l’analyse, la prise de position. Dans la confrontation des points de vue surtout. Celui de l’histoire, du penseur, de l’écrivain, de l’artiste, de la science. Plus globalement les visions de tous ceux qui prennent le temps de penser, puis de formaliser cette pensée pour l’offrir à d’autres, sans velléités d’imposer quoi que ce soit. Le lecteur, à ce contact, nourrit sa réflexion et ressort grandi.
A lire ou pas ?Ma recommandation est vive et chaleureuse. Le panorama grandiloquent que je dessine ci-dessus varie bien sûr d’une semaine à l’autre, avec des sujets qui ne suscitent pas tous le même intérêt, et une exploration qui laisse parfois dans l’ombre certaines opinions (mais ce défaut assez présent dans les premiers numéros tend à s’effacer ces dernières semaines). Pour autant, j’attends chaque mercredi mon nouveau 1 avec impatience et prend plaisir à le parcourir, pli après pli, tout au long de ma semaine (les gens pressés seront toutefois heureux d’apprendre qu’il a été pensé pour une lecture dans sa totalité en une heure).