d'après LE SIGNE de Maupassant
La petite marquise de Romée
Venait de se lever
Quand entra dans sa chambre son amie,
La petite baronne de La Grangerie :
-« Une chose horrible vient de m’arriver »
-« Allons, viens me raconter. »
-« Hier, j’étais à ma fenêtre.
Figure-toi que de l’autre côté de la rue,
Il y avait aussi une femme à sa fenêtre.
Et je m’aperçus
Que des hommes la regardaient.
Elle, elle les guettait.
Ils échangeaient un regard avec elle.
Le sien disait :
’’ Voulez-vous monter au septième ciel ? ’’
C’était drôle de voir comment elle faisait
Son manège ou plutôt son métier.
Tu ne peux pas imaginer !
Quelquefois un des messieurs rentrait.
Je surveillais :
’’Comment faisait-elle
Pour se faire comprendre ? Ajoute-t-elle
Un geste de la tête ou un coup d’œil
…Pour qu’il veuille ? ’’
Et je me suis demandé :
’’Est-ce que je pourrais
Le faire aussi
Ce coup de tête hardi ? ’’
Alors, devant ma glace, j’allais l’essayer.
Je le faisais mieux qu’elle ! J’étais enchantée
Et revins me mettre au balcon.
Passaient sur le trottoir des gris, des blonds
Des jeunes, des blancs,
Des petits, des grands…
J’en voyais des bien bâtis
Plus beaux que mon mari et que ton ex-mari
Puisque, toi, tu es divorcée.
Je me disais :
’’Si je faisais le signe que j’ai préparé
Est-ce qu’ils me comprendraient ? ’’
Et me voilà prise d’une folle envie
De faire ce signe, mais d’une envie…
D’une envie épouvantable, tu sais,
De ces envies…auxquelles on ne peut résister !
Il faut toujours que nous imitions quelqu’un,
Nos maris,
Nos amants, nos amies,
Nos confesseurs quand ils sont hommes de bien.
Je me dis donc :
’’Voyons,
Je vais essayer sur un.
Qu’est-ce qui peut m’arriver ? Rien.
Tout à coup, je vois venir un grand blond,
Très joli garçon.
J’aime les blonds, tu le sais.
Je le regarde.
Il me regarde.
Je souris.
Il sourit.
Le geste, je le fais,
Oh ! À peine,
À peine…
Et le voilà qui monte, ma chérie !
Oh ! Quelle peur ! Mais que faire ? Dis ?
J’ai pensé que le mieux était
De lui dire qu’il se trompait,
Et de le supplier
De s’en aller.
J’ai pensé :
’’ D’une pauvre femme, il aura pitié.
Tout à fait folle, je balbutiai :
-« Allez-vous-en,
Monsieur, allez-vous-en,
Je suis une femme mariée.
C’est une erreur,
Une affreuse erreur ;
Je vous ai pris
Pour un de mes amis
À qui vous ressemblez. »
-« Ma chatte, ton histoire, je la connais.
M’a t’il répondu, si tu es mariée,
C’est deux louis au lieu d’un. »
Il m’embrasse, devient câlin…
-« Vous vous trompez ! Partez !
Mon mari va rentrer ! »
La petite marquise riait, mais riait !
Quand elle se fut un peu calmée,
Elle demanda : -« Et…il était joli garçon ? »
-« Mais oui. » -«Alors de quoi te plains-tu donc? »
-« …Mais c’est qu’il a dit…
Qu’il reviendra demain à midi
Et j’ai peur. Il semble tellement volontaire…
Que faire ?…dis,…que faire ? »
-« Fais-le arrêter. »
-« Le faire arrêter… ? »
-« Oui. Tu vas voir le commissaire.
Tu lui dis qu’un homme te suit depuis un mois,
Qu’il a eu l’insolence de monter chez toi, hier,
Qu’il t’a menacée de revenir demain,
Et tu lui demandes la protection de la loi.
Il envoie deux agents qui l’arrêteront
Et l’emmèneront
Menottes aux mains. »